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Le regard de l'homme est suppliant. Je ne peux pas me résoudre à l'endormir, à me soucier de ses blessures physiques sans penser à celles qui le bouffent peut être à l'intérieur, à la peur, à quoi que ce puisse être. Alors je cours dans l'allée en demandant en anglais quelqu'un qui puisse traduire, et vite. Je trouve finalement un infirmier, qui court avec moi jusqu'à l'homme. Ils se parlent très vite, et quand l'infirmier me retraduit, je pourrais pleurer de joie de l'avoir écouté, tant ce qu'il dit est vital.

- Son fils est coincé sur le côté de l'hôpital, une partie du toit lui est tombé dessus. Il ne pouvait pas le dégager, il était trop blessé. Va chercher quelqu'un pour t'aider et va chercher son fils. Vas-y !

Je ne me le fais pas dire deux fois. Je cours vers les ruines, je me fous complètement du danger. J'hèle des jeunes sur le côté, ils ne parlent pas anglais mais les gestes sont largement suffisants. Le petit n'est même pas blessé, il est seulement coincé dans une sorte de poche, sous une énorme poutre. On doit s'y mettre à quatre pour le dégager, et ensuite il pleure, mais il accepte de venir avec moi. Je retourne vers le père. Il est presque fini de recoudre, totalement inconscient et il me faut un moment pour faire comprendre au petit que son père est seulement endormi.

Il aurait pu mourir. Si je n'avais pas écouté ce que l'homme avait à dire. Il aurait pu perdre son fils. Et je ne sais pas pourquoi ça me fait si mal au cœur. Comme si j'avais besoin de ce détail là pour faire gaffe à la fragilité de la vie.

Harry m'attrape par les épaules.

- On s'en va.

- Quoi ?

- On s'en va, le camion est là, on part. On rentre, Louis. Viens.

J'étais perdu dans mes pensées, je mets un moment à capter. Harry me pousse vers l'avant, une main dans mon dos. Je suis le mouvement, on monte dans un camion de l'armée, à l'arrière, au milieu d'un bordel de trucs, on s'installe comme on peut, je me retrouve blotti entre les jambes d'Harry, il m'enlace, il embrasse ma nuque et me dit :

- C'est fini, d'accord ? On rentre à la maison.

Je hoche la tête. Mais la maison n'est plus comme avant. Quant au bout de deux heures et demie de route, on arrive à l'ambassade française, c'est pour être écrasés par des nouvelles plus alarmantes les unes que les autres. Des attentats à Paris. Des bombardements en Syrie. La guerre. La mort. Nous sommes cernés par une haine que rien ne peut arrêter, explosant de tous les côtés à la fois. Il n'y a rien à faire et j'ai mal au ventre. Je finis par sortir de la salle de réunion, entrainant Harry avec moi. Liant nos doigts, on marche au hasard des couloirs, un petit moment. On ne parvient pas à parler. Je finis par murmurer :

- Je voulais rentrer à la maison. Mais maintenant il y a nulle part où j'ai envie d'être.

Harry soupire. Il joue avec mes cheveux du bout de ses doigts.

- Ça va se tasser.

- C'est la guerre.

- Même.

Je hausse les épaules. Je ne sais pas quoi dire. Je regarde le sol, jusqu'à qu'Harry pose la main sur mon torse. Il la remonte lentement vers mon visage. Quand elle arrive à ma joue, il se penche et m'embrasse lentement sur les lèvres.

Rends-toi au paragraphe 31.

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