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Je me mets au travail. Partout autour de moi, des infirmiers, doctoresses, en tenue ou improvisé sur le tas, soignent, rassurent, calment, fourmillent en tous sens. Je m'occupe d'abord d'une famille de trois, une mère et ses deux fils, tous serrés sur un lit. Le grand-frère est torse nu, son tee-shirt roulé en boule sur le front du petit frère, gorgé de sang. Ils ont tous des ecchymoses, des plaies, la terreur dans le regard. Le petit garçon, sous le tee-shirt de son frère, a une large plaie qui lui barre l'arcade et remonte jusqu'à la lisière de ses cheveux. Je le désinfecte, lui parle tout doucement. Aucun ne parle ma langue, mais on se comprend quand même. Ce qui est en train de se passer, c'est bien au-delà de la langue. Ils se tiennent la main. Je ne peux pas recoudre le gamin, je n'ai ni le temps ni les compétences. Je referme la plaie avec des stéri-strips, lui bande la tête.  Le grand a une sérieuse plaie sur le bras, mais il n'en a rien à faire. Tout ce qui lui importe, c'est son petit frère. Il me montre la salle d'un signe de tête, les autres gamins qui attendent encore, la peur dans leurs yeux. C'est comme s'il me disait « Eux d'abord ». Je bande son bras. Avant de s'en aller, de rentrer chez eux, la mère me serre dans ses bras. Elle me dit, dans un anglais rauque : Soigne-les, puis rentre protéger ceux que tu aimes. Je lui rends son étreinte, ils partent tous les trois.

Je passe au lit suivant. Une jeune femme à demi allongée, les bras entourant son ventre rond. Le sang entre ses jambes, traversant sa robe. Je ne sais pas ce que c'est, si c'est le bébé ou elle et je ne sais pas faire ça, je ne suis pas médecin. Je dois avoir l'air vert, elle pose la main sur mon bras. Elle n'a pas peur. Je découpe sa robe jusqu'à la taille, elle ne me quitte pas un instant des yeux. Je puise du courage dans son regard, dans la fierté que j'y lis. Ils ne m'auront pas. Ils ne me tueront pas. Ils ne me démoliront pas.

Son ventre n'est pas touché. Ce n'est pas ça qui saigne, c'est sa hanche et sa cuisse. Elle a des morceaux de verre partout, qui ont traversés le tissu, l'ont fiché à l'intérieur de la plaie. J'enlève les petits morceaux, je soigne comme je peux. Il en reste un gros, je ne peux pas l'enlever. Il faudra qu'elle attende qu'un vrai médecin la prenne en charge et recouse à l'intérieur. Mais en attendant, ça ne saigne plus. Ça va aller. Je vais pour lui remettre correctement sa robe, mais elle prend mes mains et les pose sur son ventre nu, sous sa robe découpée.

Le bébé remue. Je le sens sous mes mains.

Il ne faut pas que je pleure.

J'embrasse les mains dans la jeune femme, elle me dit merci pour son bébé et je voudrais lui dire merci pour votre courage, pour celui que vous me donnez. Je passe au lit suivant. Un homme d'une cinquantaine d'année, en larmes, le genou complètement tordu. Lit suivant. Un père paniqué, un tout petit bébé dans les bras, qui n'arrête pas de hurler. Lit suivant. Trois ados qui ne veulent pas se lâcher, deux filles avec du sang séché partout sur le visage et un garçon un peu plus grand, très effrayé, un doigt tordu vers l'arrière et qui pleure et qui supplie, je ne veux pas, je ne veux pas, je ne veux pas.
Je repense à la première femme, avec ses deux fils. Je repense à sa voix, à ses mots dans son anglais rauque et pur. Protège ceux que tu aimes. Je pense à Harry. Je pense à ses mains noueuses, je pense à ses cheveux qui dessinent des entrelacs sur ses épaules nues quand il passe sous le jet d'eau de la cour. Je pense à son rire, j'entends son rire dans ma tête et j'ai mal au ventre. Je pense à lui, je regarde les lits autour. Ils ont besoin de moi ici, lui il n'est pas blessé, il faut que je reste ici, il n'est pas en train de lui arriver quoi que ce soit, il n'est pas en danger. Il faut que je reste ici.

Protège ceux que tu aimes.

Si tu dois à tout prix chercher Harry parce que tu sens qu'il a besoin de toi, rends-toi au paragraphe 51.

Si tu sais qu' Harry s'en sort très bien tout seul et qu'il faut que tu restes ici pour soigner les autres personnes blessées, va au paragraphe 16.

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