18

Je descends de la moto, prends une grande inspiration pour calmer définitivement mes larmes.

- Ici c'est bien. C'est très bien.

Harry hoche la tête et va attacher la motocyclette. En se relevant après avoir verrouillé le cadenas, il me souffle :

- Garde tes distances, d'accord ? Les gays ici... Enfin, ils pourraient mal interpréter, et c'est toujours passible de la peine de mort. Par contre ils ne parlent pas le français.

J'essaye de prendre ça à la rigolade, même si ça me fait bondir, même si ça me donne envie de l'embrasser au milieu de la route et de dire à ceux que ça dérange d'aller se faire pendre ailleurs.

- Et mon câlin alors ?

Il me fait un clin d'œil.

- Quand on sera rentré. Je te promets.

Ça me réchauffe bêtement. On marche jusqu'au bar, il n'est pas très grand. Harry me fait signe de m'asseoir dans le coin, sur la banquette. Il commande à ma place puis vient se glisser à côté de moi, mais pas tout contre. Au déjeuner avec les enfants, souvent il est assis à côté de moi. J'aime bien sentir son genou, et les quelques fois ou quelque chose ne va pas, il pose souvent sa main sur ma jambe, juste une seconde, pour me faire signe de rester calme, et que tout va bien. Mais là, il ne peut pas le faire.

Il va pour dire quelque chose mais je le coupe, les mots sortent de ma bouche sans que je n'ai eu le temps de les contrôler.

- Je tiens à toi, tu sais.

Il me regarde étrangement, coupé dans son élan et ne sachant que répondre. Je continue sur ma lancée, parlant vite et bas, sans comprendre ce sentiment d'urgence qui monte en moi. Je fixe mes mains, je ne peux pas le regarder.

- Je ne sais pas si c'est cet endroit, cette situation qui pousse les gens à se souder ensemble ou s'il y a un truc chez toi qui me plait bien plus que je n'aurais pu le penser mais, même si ça ne fait pas dix jours que je te connais, je n'ai pas envie qu'il t'arrive des ennuis et quand tu te mets à rire ça me fait du bien alors je crois que je tiens à toi, vraiment, je tiens à toi.

Ses mains saisissent les miennes sur la table et les enserrent, quelques secondes, si fort. Je redresse la tête, j'ai à peine le temps de croiser son regard, à peine le temps de commencer à déchiffrer la détresse que j'y lis qu'il lâche mes mains et détourne la tête. Il se recule, s'affaisse un peu dans sa chaise. Le patron du bar pose deux tasses devant nous, une grande théière argentée et une assiette de qrouti, un genre de tartine de fromage, d'oignon et de menthe.

- Tu t'en sors bien, tu sais.

Il a complètement changé de sujet. Il se redresse mais reste au fond de sa chaise, loin de moi. Il sert le thé.

- Avec les gamins. Tu es doué. Tu sais te faire aimer d'eux. Tu sais te faire aimer des gens, je crois.

Il dit ça en souriant et je sais qu'il y a un sous-entendu mais ce que j'entends aussi, c'est que ce que j'ai dit un peu avant est tombé très à plat. D'accord, on efface. Je ne sais pas ce que j'ai à être si sentimental. J'aime très vite, très fort, j'ai besoin de le dire. Je suis de cette espèce-là Et Harry, il... Je me sens bien quand il est là. Je sens sa présence à travers la pièce, comme si sa chaleur rayonnait jusqu'à moi.

On parle un peu, au-dessus du thé et des tartines. Des progrès des petits, des nouveaux et de ceux qui vont rentrer dans leurs familles ou qui vont être transférés ailleurs, de l'intendance, et puis de nous. Pas de nous avant, ni de nous après. De nous ici. De nous tracas, angoisses, bobos et soucis. On vide le sac au milieu, on se plaint et on se réjouit. C'est facile et ça aide à recharger les batteries.

Harry finit par proposer que l'on rentre. Il me regarde d'une drôle de façon en allant payer, il me regarde un peu comme tout à l'heure, dans cette fraction de seconde avant qu'il ne lâche mes mains. Puis on sort, on remonte sur la moto, on repart vers le centre.

Le chemin n'est que très partiellement éclairé, on doit utiliser les phares de la moto et la lumière de la lune pour retrouver notre chemin. Il doit être près de 23h. Et puis au milieu de la route, alors que l'on est entre deux champs et qu'il n'y a pas âme qui vive à la ronde, Harry arrête la moto, pose un pied à terre et coupe les phares. La lune est cachée derrière les nuages, l'obscurité est complète. Je le sens se retourner, se tordre sur son siège pour pouvoir me faire face. Il murmure.

- Ça m'a beaucoup touché, ce que tu as dit tout à l'heure, Lou. Ça m'a fait très plaisir, mais ça m'a surtout vraiment...

Il cherche ma main, la pose sur son tee-shirt. Son torse est tiède en dessous et moi je cherche mon souffle.

- ...secoué.

Je distingue mal les traits de son visage. Ses yeux surtout, sans aucune lumière pour en faire irradier le vert, sont deux taches noires. Ma main caresse son tee-shirt, j'entends son souffle et le mien. Il y a quelque chose qui vibre, je crois que c'est à l'intérieur de mon ventre et que c'est le désir.

Puis ses doigts touchent ma nuque, l'effleure à peine et brusquement je l'embrasse, il m'embrasse, je ne sais plus mais ses lèvres sont contre les miennes, nos yeux fermés, j'ai le tournis et j'effleure à peine sa langue qu'il me repousse doucement.

- Il faut qu'on rentre. Ça craint, ici. Ça craint vraiment.

Je hoche la tête, la gorge serrée. J'ai envie de demander un autre baiser avant, même très vite du bout des lèvres, parce que j'ai besoin de savoir, si ce n'était qu'une impulsion sans suite ou s'il y aura plus. Je ne veux pas attendre même les quelques minutes restantes de trajet pour savoir. Je voudrais qu'il pose sa main sur la mienne, sur son ventre. Mais il tient le guidon à deux mains. Il me dépose même devant la porte et me dit qu'il va garer la moto, il me dit d'aller me coucher.

Je traverse le dortoir, complètement perdu. Est-ce que c'est moi qui l'ai embrassé bien plus que l'inverse, est ce qu'il n'avait pas envie ? Est-ce que j'ai été trop empressé au point de tout faire foirer ? Je me retrouve à faire les 100 pas dans ma chambre en guettant son retour. Mais il ne toque pas à ma porte. Il se glisse dans sa chambre et moi sous ma couette en rechignant. Qu'est-ce que je suis con. Je l'imagine déjà s'expliquant gentiment demain, me disant qu'il m'aime bien mais qu'il est désolé car en fait...

Il toque à ma porte, très doucement. Je vais lui ouvrir, fébrile. En caleçon et tee-shirt de pyjama, un sourire emprunté décorant son visage, il entre avec précautions.

- Excuse-moi, j'avais besoin... De prendre l'air une minute.

Je hoche la tête, m'installe à nouveau sur mon lit. Il fait quelques pas au hasard dans la pièce, avant de s'asseoir à côté de moi avec un soupir. Puis bien contrairement à mes ententes, il se tourne vers moi, m'enlace d'un bras et glisse sa main libre sur ma nuque à nouveau.

Le second baiser est meilleur encore que le premier. Plus tendre et plus passionné à la fois. Dans ses bras, je me sens glisser sur le matelas, je le sens grimper avec moi, la tension dans ses jambes, ses genoux entre les miens, une main qui caresse mon ventre. Il se détache pour me regarder, j'ai les lèvres rouges et humides.

- Est-ce que ça va ?

Je hoche lentement la tête. Il caresse ma peau nue, ses mains sont légèrement rêches, noueuses. Je frisonne.

- Est-ce que je peux rester un peu avec toi ?

- Tu devais me faire un câlin.

Ma voix voulait sonner enjôleuse, mais il y a un bug dans mon système à cause de sa main sur mon ventre. C'est la voix d'un môme, presque plaintive. Il se redresse un peu.

- C'est vrai. Viens là.

Il ramène la couette sur nous, je me blottis dans ses bras, la tête dans son cou. Il m'enserre, me caresse les cheveux. Sa voix qui murmure est très douce, elle me berce au premier mot.

- Tu es bien, là ?

- Voui.

- Voui ?

Ça le fait rire. Il caresse ma taille, mon ventre de ses mains et je gigote un peu contre lui.

- Ça te chatouille ?

Je grogne.

- Non... Ça m'excite.

- Oh... J'arrête, alors ?

- J'sais pas...

Mais il arrête. Ses mains passent plusieurs fois sur mon dos, hésitent à la naissance de mes fesses mais finissent par remonter vers mes épaules et mes cheveux. On roule un peu l'un sur l'autre, je l'embrasse dans le cou.

- Tu restes toute la nuit ?

- Si tu veux.

Il se racle la gorge et rajoute :

- J'aimerais bien.

Je glisse mes bras dans son dos en guise de réponse. Contre lui, je respire mieux. Il laisse de petits baisers sur mon visage, éparpillés sur mon front et mes cheveux. Il soupire plusieurs fois, il me serre un peu plus. Et puis il parle.

- Tu n'as pas idée... D'à quel point ça me fait du bien. Je me sentais tellement seul, avant que tu n'arrives. Cette solitude que tu as quand tu es entouré de plein de gens mais qu'aucun n'est capable de comprendre vraiment... Ce que je ressens... Ça fait presque deux mois que je suis ici, les gens comme toi ne font que passer et repartir, Liam est toujours occupé, je ne fais que parler boulot toute la journée... Ca me manquait tellement qu'il y ait, juste, quelqu'un de mon âge, ou qui, enfin je n'en sais rien, quelqu'un avec qui je pourrais discuter, me sentir bien... Quelqu'un que je pourrais serrer dans mes bras... Ca fait tellement longtemps que je n'ai pas serré un autre homme dans mes bras et...

Il est sur moi, ses mains viennent encadrer mon visage, il m'embrasse à nouveau, il y a un abandon dans la façon dont il me touche, il le fait avec douceur mais de toutes ses forces, il se donne entièrement quand il m'embrasse et c'est magnifique à voir, c'est tellement intime que ça me perturbe et je caresse machinalement ses cheveux. Je me sens petit, quand il me bouscule contre son corps, qu'il nous enroule dans la couette, qu'il respire mes cheveux. J'ai l'impression d'être pris dans les pattes d'un grand félin.

- Et c'est tellement agréable...

Il ne dit plus rien, après. Il s'endort tranquillement. Son souffle me berce, je finis par m'endormir aussi. Je n'ai pas l'habitude de dormir avec quelqu'un collé à moi et je me réveille pas mal de fois, lui aussi. On s'embrasse, on se rendort. C'est agréable. Au petit matin, il n'est pas six heures à mon réveil, il sort du lit. Sa main caresse une dernière fois mon ventre nu.

- Je préfère qu'on... Tu sais, dans ce pays c'est...

- Décapitation sur la place publique ?

- Lapidation. Enfin, je n'en sais rien et je ne veux pas savoir. Mais je préfère qu'eux non plus, ils ne sachent pas. Ni les médecins, ni même Liam...  Je veux dire, c'est sérieux. On ne risque pas de se faire gauler par nos parents, là, mais par la police. Tu comprends ?

- Je comprends.

- Alors je retourne dans ma chambre. Je te vois tout à l'heure. D'accord ?

Je hoche la tête, il embrasse mon front avant de se lever. A ma porte, il fait volte-face, hésite.

- Louis ?

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- C'est bizarre, si je te remercie ?

- Un peu. Je préfère que tu m'embrasses.

Il rit tout bas, retourne près de moi et m'embrasse. Ça me fait des frissons à la con et je grogne quand il s'en va.

- A tout à l'heure.

Et puis la porte se referme.

C'est l'amour. Tu gagnes un ❤️.

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Rends-toi maintenant au paragraphe 3.

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