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Je passe presque tout le voyage en avion à dormir. Harry m'a donné des pilules avant le vol, et je ne fais même pas de cauchemars. Je me réveille seulement, brusquement, un peu avant que l'on entame la descente, sonné. J'ai l'impression qu'on m'a volé quelques heures. Je voulais, j'avais tellement de choses à dire à Harry et maintenant...

Je dois avoir l'air complètement paniqué, parce qu' Harry prend mes mains.

- Lou ? Qu'est ce qui se passe ? Tu as fait un cauchemar ?
Je voudrais lui répondre que le cauchemar, c'est que tout ça est la réalité, mais je n'ai même pas la force d'être cynique. Un sentiment d'urgence plane sur moi. Il faut que je lui parle. Il faut que je lui dise...

- Est-ce que tu habites à Paris ?

- Heu, oui.

- Alors je vais te revoir ?

- Lou...

- Ou est-ce que tu as un copain en France ? Ou même si tu voulais juste quelqu'un là-bas pour te soutenir et que tu ne veux rien de plus, je comprendrais je te jure, ce n'est pas ça, c'est juste que j'ai besoin de te revoir, même une fois, une seule, tu comprends ce que je veux dire ? Si tout s'arrête d'un seul coup alors toute ma vie, je vais avoir l'impression que ces dix jours, c'était un cauchemar horrible et jamais je ne pourrais passer au-dessus et j'en ai besoin, j'en ai besoin...

Je parle à toute vitesse, je mange mes mots au passage. J'ai l'air paniqué, Harry très malheureux. Il finit par m'attirer contre lui, je niche mon visage dans son cou et je pleure un peu.

- On pourra se revoir autant que tu le voudras. Je n'ai pas de copain, ce n'était pas un truc comme ça et si tu crois que moi, j'ai envie de te laisser partir... Oh, Lou...

Il caresse mon dos, mais bientôt on doit attacher nos ceintures. Il garde ma main dans la sienne, il me sourit. Je lui dis que je vais avoir besoin de parler de ce qu'on a vécu, je vais avoir besoin d'en parler énormément, et il me dit que c'est normal. Qu'il y a un suivi psychologique, de toute façon. Que je ne suis ni le premier ni le dernier. Que je vais survivre.

Et qu'il sera là.

- C'est une promesse.

On finit par atterrir. J'étais ici il y a moins de deux semaines et pourtant j'ai l'impression que c'est une autre personne. Le Louis que j'étais avant a disparu. Je regarde la main d' Harry qui tient la mienne. Avant-hier soir. Notre premier baiser, c'était avant-hier soir. Il y a quoi, trente-six heures. Je suis tellement attaché à lui que j'ai l'impression que c'était il y a des semaines. On ne se lâche pas d'une semelle, le temps de récupérer nos bagages. Nos familles nous attendent dans le hall, par hasard côte à côte. Je serre mes parents dans mes bras, je pleure. Harry me présente rapidement ses parents, je lui présente les miens. On se dirige vers les taxis, c'est là qu'on doit se dire en revoir. On note nos numéros, on ne l'avait pas fait avant. Et puis on hésite. Ça fait mal. Je bredouille :

- On se revoit quand ?

Il tremble un peu, je sais qu'il a très envie de pleurer, parce que j'en ai envie aussi. Tout a été si dur.

- Demain, si tu veux. Demain. J'ai envie d'aller... Manger un McDonald's bien gras et puis de m'allonger dans un parc. Ça te dit ?

Je hoche la tête. Ça me convient très bien, un McDonald's, et un parc. Tout me va, de toute façon. Tant que c'est avec lui. On met nos bagages dans les coffres des deux taxis, ne parents montent et... C'est le moment où l'on doit se dire en revoir pour de bon, maintenant, tout de suite. J'ai peur de le laisser, j'ai peur de ne jamais le revoir.

- Tu promets, pour demain ?

- Midi et demi devant le McDonald's de St Michel. Celui de Cluny, face au musée du Moyen-Age. Dans le parc du musée, même. D'accord ?

- Midi et demi.

Et je me fous de ce que mes parents ont prévus pour fêter mon retour. J'ai démentiellement besoin de lui.

Lentement, il me prend dans ses bras. Il me serre de toutes ses forces contre mon torse, je frissonne de plaisir quand il écrase un peu ma cage thoracique. Je ne pourrais jamais me passer de ça. Puis, devant nos parents, et c'est terrifiant à quel point je peux m'en foutre, il me donne un baiser. Un long baiser, d'une tendresse débordante qui me fait rougir bien plus que s'il m'avait donné un baiser langoureux.

J'ai les yeux mouillés quand il se détache de moi. On monte chacun dans un taxi. Je vais poser la tête sur les genoux de ma mère. Et je pleure un bon coup. Je dors chez mes parents, ce soir-là, dans mon ancienne chambre d'ado. J'y reste une semaine, a vrai dire, le temps de me remettre un peu, le temps que ma mère accepte que je rejoigne mon appartement, en promettant de venir les voir très souvent.

Je revois bien Harry le lendemain au musée. Il saute dans mes bras comme si on ne s'était pas vu depuis des jours, et non pas depuis moins de vingt-quatre heures.  On s'embrasse. On se gave de frites et de nuggets sauce chinoise. On s'embrasse, on se balade.

On se revoit tous les jours. On parle beaucoup de l'Afghanistan, en thérapie ou tous les deux. On dort souvent ensemble. Parfois, on fait des cauchemars. Mais on ne les affronte pas seul. On n'emménage pas ensemble, mais on squatte énormément l'un chez l'autre. On ne supporte pas d'être séparés.

Les nouvelles ne sont jamais très bonnes. On ne supporte plus de les écouter. On n'entend pas le mot bombardement de la même façon quand on a été sur place. On pense à repartir, on hésite, on en parle.

Tant que l'on est tous les deux, au fond...

On s'aime.

Et pour le monde, on espère.

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voilà, tu as ici l'une des fins possibles à l'histoire ! n'hésite pas à recommencer et à faire d'autres choix pour découvrir les autres 😘

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