Chapitre 18 - Briguer la rancœur
J'ai accepté l'interview d'un groupe de mecs plutôt cool avec qui le courant passe bien. Marcher dans le tiekar ça change des locaux, je me sens dans mon élément parmi les miens.
On marche le long de la rue Goubet, il caille mais pas trop. Julien sait tenir la conversation alors j'arrive à passer outre.
- Racontes les bails quand t'étais en club, dit-il. Askip t'étais gardien, c'est la loose nan ?
- Ça charie hein, je réponds le sourire au lèvres. Mais ouais c'est ça. Je t'avoue que je ne l'ai pas choisi, c'est les cages qui m'ont choisi.
On rigole.
- Mais je regrette ap', être gardien c'est pas que rester comme un piquet à attendre que ça se passe tu vois, y'a tout un jeu de stratégie derrière.
- J'vois, j'vois... Et donc c'est là que tu trainais à tes heures perdues ?
On arrive sur une esplanade face à un collège, occupé par quelques gosses habitant aux alentours. On s'y pose le temps de reposer nos jambes et on reprend notre route.
- J'étais un vagabond moi, j'étais ici et autre part.
- Tu viens d'ici et d'ailleurs.
- Voilà, j'étais ici physiquement mais mentalement j'étais ailleurs.
Il sourit derrière son reflex. Il doit me prendre pour un ouf.
Mais je suis serein, c'est tellement plus frais de se balader près de chez soi plutôt qu'être enfermé entre quatre mur face à quelques paires d'yeux qui nous étouffent.
- On va où, là ? Me demande-t-il.
- On va capter Jimmy et un autre pote, t'inquiète j'ferai les présentations.
Il me suit sans un mot tandis que je pense à ma prochaine destination. On ne s'est pas mis d'accord avec les gars sur le lieu de rencontre. J'appelle alors le premier dans ma liste d'appel quand on approche doucement de mon canal grisâtre.
Cet endroit n'a décidément pas le même aspect le jour. Moi qui aime tant me balader ici la nuit, j'suis tenté de faire demi-tour.
Et là, mon cœur devient lourd.
Je ne suis pas sûr de ce que je vois, mais elle lui ressemble. La cosmos auquel je l'associait s'est métamorphosée en belle-de-jour.
C'est elle, il n'y a pas de doute. Je reconnais ses longs cheveux bruns et son déhanché incertain. Et je n'arrive pas à croire qu'elle soit responsable de la moiteur de mes mains.
- Tout va bien ? Demande julien, interloqué par mon mutisme soudain.
- Ouais, c'est Jimmy qui répond pas, ce chien.
Je raccroche et la regarde s'en aller en empruntant ce pont duquel elle a sauté quelques semaines plus tôt. Elle n'a jamais répondu à mon texto.
J'ai surpris mes guibolles à vouloir la rattraper.
Traitres.
Elles oublient vite comment elle m'a snobé. Même si au fond c'était mérité, parce que je l'ai blessé. J'ai voulu faire un pas vers elle et elle m'a repoussé.
Je me sens humilié mais pas assez.
Puisque je déverrouille mon cellulaire pour tenter de la joindre.
Julien reste stoïque à ma droite avant de se décider à faire quelques plans caméra pour occuper les quelques secondes qui nous surplombe. Et pas des moindres.
Retourne-toi... J'implore dans ma tête, alors qu'elle ne devient qu'un point noir bientôt plus visible.
Mais elle ne répond pas, et cette fois j'ai la preuve formelle que c'est volontaire, ce que c'est risible...
Ma conscience s'esclaffe devant mon ultime défaite de recoller les morceaux avec cette nymphette qui m'échappe en longeant les roseaux.
C'est pas possible, elle l'a fait exprès. Elle n'a aucune raison d'être ici, et chez elle ce n'est pas tout près...
Je souffle longuement avant de me retourner pour faire face au caméraman délaissé.
- Vas y viens on va essayer de les capter plus loin, je lui propose en sur jouant mon entrain.
Nous marchons quelques minutes en silence avant qu'il ne se décide à le briser.
- Tu me dis si tu veux qu'on arrête, y'a pas de souci, j'te sens ailleurs.
- Nan t'inquiètes, je viens juste de me rappeler que j'avais une course à faire soir-ce.
- Donc le showcase il tient plus ?
Merde.
J'avais oublié ce petit détail. Et je me maudis soudainement à faire des promesses en bal que je ne suis pas foutu de me rappeler.
Faut que je taille.
Elle m'a fait bader en deux secondes j'ai même plus envie de continuer.
Esso m'envoie un texto me demandant ce que je fous de ma journée. Je suis tenté de le caser à ma place au concert alors je lui dis de se ramener.
- Si, t'inquiète je vous fait pas faux bond.
Il sourit, satisfait, et nous reprenons.
- Sinon, tu taf sur un nouvel album ou c'est comment ?
- J'écrivais un son pas plus tard qu'hier soir. J'étais censé le finir ce matin, je m'étais mis la pression de malade et j'savais pas pourquoi.
- Tu voulais le présenter ce soir ?
- En exclu, tu connais. Mais j'ai été retardé.
- Personne ne t'en voudras.
Encore heureux qu'on ne m'en tienne pas rancune. J'en ai déjà une sur le dos qui m'importune.
Et la raison ne me saute pas aux yeux.
Qu'est-ce qu'elle a de plus que les autres qui me fais me sentir nul quand la lune s'accapare les cieux ?
J'avais pas envie de penser à elle, pas maintenant. Je voulais passer ma journée pépère, faire mon concert puis rentrer tranquillement.
Ta journée entière est remise en cause à cause d'elle ? C'est consternant.
Ma conscience sait choisir les mots pour me réveiller et me motiver en un rien de temps. Je vais passer la soirée avec mes gavas, rien à foutre de cette enfant.
Esso nous rejoint et on prend la gov' pour aller manger un bout, tout en continuant l'interview qui prend des allures de reportages qui ne me déplaisent pas.
Puis Paname enfile sa robe de velours noire vers sept heures du soir. On se rend à l'hôtel où la soirée est prévue en petit comité.
Un DJ me fait écouter quelques instrus retro tandis qu'une femme blonde, une organisatrice sûrement me rapporte un problème de micro.
- On n'en n'aura qu'un, vous ne pourrez pas faire perf' à deux, m'explique-t-elle, en désignant timidement Esso.
- Y'a pas moyen d'en trouver un autre ?
- Si mais... Il est bientôt dix heures et...
- Moi perso je suis pas pressé, la coupe le barbu, visiblement vexé d'avoir été evincé du projet.
- Fais ce que t'as à faire, on attend dans le couloir, t'inquiètes, j'ajoute calmement.
Elle hoche la tête et s'éclipse.
- Elle est bonne mais j'aime pas quand on me boycott.
- Du calme, viens on se met d'accord sur les sons.
Je demande un papier et un stylo au petit groupe qui nous a suivit, sans m'attendre à une réponse favorable. Mais à ma plus grande surprise, l'un d'entre eux me tend un carnet et un bic. Je le remercie et m'assois au sol.
On kick deux, trois rimes sur une instru aléatoire dans le silencieux couloir. Avant de l'être nous-même.
On attend des nouvelles. Et j'en profite pour regarder les notifications de mon tel.
Rien d'elle.
Ça m'énerve, bien plus que ce que je ne me l'avoue. Alors dans un énième message, je tente le tout pour le tout.
« Pièce jointe : J'fais un showcase dans une heure, au Crimee. J'aimerais t'y voir. Montres ça à l'entrée. »
Je regrette d'emblée quand je vois la ligne verte m'indiquer que le message a été envoyé.
Mais je m'efforce d'oublier ma position de faiblesse tout en vagabondant dans les couloirs désertés le temps que le problème soit réglé.
On nous appelle à vingt trois heures. Bigo a pointé le bout de son nez.
Je le tcheck et nous montons sur la mezzanine, face à une trentaine de personnes privilégiées qui nous acclament.
Et là, j'ai le cœur qui s'enflamme.
Elle est là.
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