Chapitre 15 - Déserteur désossé
La tape pseudo amicale qu'Ess afflige à mon dos m'arrache un léger gémissement de douleur. Je me suis endormi sur la banquette du studio comme un clochard et je crois que j'ai un torticolis ce qui me fous d'emblée, de mauvaise humeur.
- Tu fais quoi ce soir ? S'enquit-il.
- Je dors, j'suis cuit.
On sort du bâtiment et je lui remercie quand il me tient la porte.
- Elle est grave triste ta vie, viens chez moi, non ?
- Y'aura qui ?
- Personne.
- Si t'avais eu un vagin j'aurais peut-être accepté.
- Pourquoi tu fais le dalleux ? J'croyais que t'avais un plan avec ta soi-disant pote.
Je souffle du nez et shoot un tas de feuilles mortes.
- J'baise pas avec mes potes.
- T'as la mémoire bien courte, t'oublies ta blackette là... Comment elle s'appelle déjà ?
- On fait tous des erreurs de parcours.
Son rire gras résonne dans le quartier étrangement silencieux à cette heure. La douleur de mon dos est atroce, mais je reste silencieux et supporte.
- Et Sandra c'était quoi bâtard, va ? Et...
- C'est bon ferme-là, on a compris.
Il s'étrangle de rire tandis que je fourre les mains dans mes poches aussi glacées que le ton que j'emploie. Je n'ai la tête à rien aujourd'hui, ni même à me réjouir de la présence qu'il m'apporte.
Cette séance au studio a été plus draconienne que je ne l'aurais imaginé. Mon corps en a clairement payé les frais.
De plus, cet abruti de barbu ne cesse de se foutre de moi, mais qu'importe.
Dans deux cent mètres nos chemins se séparent et j'aurais enfin la paix.
- Sérieux, pourquoi tu tentes pas ? J'te sens tendu depuis quelques temps. J'espère que c'est pas une casse couille de groupie.
Ma conscience plisse les yeux et se pose elle-même la question à laquelle elle n'a jamais pensé.
Céleste regroupe à elle-même le champ lexical du loufoque et pourquoi pas fêlé.
Mais même cela ne l'a définit pas assez.
- J'sais pas gros, c'est chelou.
- Pourquoi ?
Je souffle et replace ma casquette pour étouffer un soupir agacé.
Je n'aurais pas dû répliquer, maintenant je vais devoir me confier.
Peut-être que je peux encore l'envoyer chier ?
Mais à quoi bon se cacher. J'suis clairement en train de me faire entourlouper par une gamine qui n'a sûrement pas toutes ses dents de sagesse.
Qu'est-ce que j'attends pour que cela cesse ?
Je le confesse, je n'aurais jamais dû lui montrer mon adresse. Tout comme je n'aurais jamais dû montrer tant de souplesse et gentillesse à cette diablesse fortement bien dissimulée sous les allures de princesse funeste.
Mais maintenant c'est fait, il est trop tard pour regretter.
Et oublier sa paire de fesses.
Je ferme les yeux et ralentis le pas pour mater Ess.
- C'est une gamine, frérot.
- Une gamine genre quoi ? Vingt, vingt et un ? Tu sais que c'est à cet âge là qu'elles prennent pas la tête...
- Une gamine genre lycéenne, je le coupe presque en stress.
- Sa mère.
Il éclate de rire une nouvelle fois et me demande si je suis bel et bien sérieux, j'acquiesce.
- Elle est bonne ?
- Putain Ess.
- Quoi ? Quitte à aller en zonz autant profiter garçon.
J'entreprends une légère tape derrière sa tête qu'il esquive de justesse.
- Mais qu'est-ce tu fous avec ce genre de gonzesse ?
- J'sais ap', c'est elle qui me branche depuis le début, j'ai jamais vu une meuf aussi entreprenante. Carrément elle me prend de court, des fois.
- OK mon gars, ça c'est le triple C.
- Le triple « C » ?
- Le choix entre la célébrité ou le chibre.
- Je pige rien, putain.
- Soit elle te veut toi, soit elle veut Jazzy Bazz. Dans tous les cas t'es gagnant, tu peux faire ce que tu veux d'elle.
- J'ai pas envie, on joue pas dans la même cour.
- Si tu joues pas avec elle, c'est contre tes pulsions que tu vas jouer.
- Tu racontes que de la merde.
- Tu fais le mec mais si elle t'intéressait pas tu te serais même pas arrêté comme un gros bouffon sur le bord du trottoir alors qu'il caille sa mère, pour me parler d'elle.
Il sort une clope et l'allume.
- Elle m'intéresse parce qu'elle est sur mes côtes. Alors qu'une meuf comme elle devrait chercher à se faire désirer, je rétorque.
- Arrêtes de généraliser sans arrêt sur les femmes, parce que déjà elle, c'est pas une femme.
- En devenir.
- Ça change tout. Même si elle a des mamelons dignes d'une go de trente piges, elle pense encore comme une ado. Alors si elle est sur tes côtes, c'est peut-être sa seule manière de te dire baise-moi. A cet âge elles ont déjà du ce-vi, mais tu peux encore intercepter et anticiper leurs coups.
Je soupire et prend la cigarette qu'il me tend.
- Mais vas y gros, j'me suis pas émancipé de toutes ces chimères à la shneck juteuse pour me retrouver avec une gosse !
- Alors sors la de ta life, avant que tu t'imprègnes d'elle et que tu nous sortes un nouvel EP avec en titre « j'ai dépucelé, j'aurais pas dû ».
- Tu casses les couilles.
Il rigole et me tapote l'épaule, semblant avoir oublié le supplice qu'il m'afflige, puis me contourne pour gagner la bouche de métro.
Je commence à marcher, me faufilant tête baissée entre les passants pour passer incognito.
- Hey ! Je me retourne en reconnaissant Esso, ma clope connard, c'est ma dernière.
Je lui rends sa tige à moitié consumée et remonte vivement la fermeture éclair de mon perfecto. La température doit avoisiner les négatives, j'ai les membres qui se gèlent crescendo.
J'ai beau lutter, je n'arrive pas à oublier ce que viens de me dire Esso. Si cette gamine ne cherche qu'à apaiser sa libido, ce serait plus simple pour moi de lui mettre un râteau, sans la mener en bateau.
Ou alors profiter de son corps qu'elle m'offre sur un plateau...
J'ai honte de penser cela, ne serait-ce que d'imaginer qu'on puisse se retrouver peau contre peau, autant que je la zappe illico presto. D'ailleurs il faut que je pense à supprimer sa photo et ses sms aux allures de sexto, avant qu'ils ne me retombent sur le dos.
J'arrive à mon immeuble et ma surprise se fait grande lorsque je la reconnais de dos contre les barreaux. Elle m'aperçoit tandis que je ne vois qu'un fléau.
Je rebrousse chemin comme un gros blaireau, incertain de passer au travers de son assaut.
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