Chapitre 11 - Déceler le vice


- Nan.

- Pourquoi ? Je suis toute seule chez moi.

- Raison de plus.

Elle soupire et tape nerveusement du pied, comme une enfant qui n'a pas l'habitude qu'on lui refuse ses caprices.

- Juste en attendant que la pluie cesse, au moins ?

- Tu tiens vraiment à ce que je monte ?

- Oui.

- Pourquoi ?

Elle laisse le grillage se refermer et renifle légèrement en me regardant tristement. J'esquisse un sourire face à son jeu d'actrice.

- Je n'ai pas de raison à te donner.

- Alors on en reste là.

Un léger signe de tête en guise d'au revoir et me voilà reparti.

- S'il te plaît, ne pars pas.

Je me retourne face au corps tremblant qui m'implore du regard. La dernière fois qu'une fille m'a supplié de monter, elle s'est retrouvée avec le sommier de son lit brisé en deux.

Je ne suis absolument pas prétentieux, et je ne compte pas toucher le moindre cheveu de cette adolescente en rut, mais ce choix ne me semble pas judicieux.

- Je te montrerai la retranscription de l'interview, ajoute-t-elle, innocemment.

Mais sa proposition n'a rien d'innocent. Nous savons elle et moi qu'elle ne me montrera rien de tout ça, et qu'elle me réserve sûrement quelque chose de plus ambitieux.

J'aurais aimé savoir ce qu'il se trame dans sa tête. C'est évident qu'elle n'agit pas sans réfléchir, sa confiance en elle est perceptible dans ses gestes, elle sait parfaitement ce qu'elle fait. Alors pourquoi est-ce qu'elle souhaite tellement me voir chez elle ? Elle me réserve quelque chose ? Ou elle cherche à m'amadouer ?

Je ne peux m'empêcher d'être suspicieux.

D'un autre côté, si je lui montre ma réticence, elle sera beaucoup moins ouverte à moi, et ce n'est pas le but. Il faut qu'elle pense que je lui cède ma part de naïveté, puisqu'elle joue sur sa jouvence, pour me faire penser que ce n'est pas un être réfléchi.

Pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt ?

Je ne sais pas pourquoi elle me tourne autant autour, mais elle a réussi à attirer mon attention. J'ai envie de savoir.

Et la seule manière d'avoir des réponses à mes questions est de franchir cette grille.

- D'accord, juste le temps que ça passe, j'acquiesce en désignant l'intempérie.

Je vais être aussi naïf qu'elle veut que je sois, pour qu'elle le soit autant que moi.

Et là, la vérité sortira.

Elle me fait entrer chez elle et me fais brièvement visiter le propriétaire.

C'est grand, bien trop grand pour une lycéenne sans travail.

Même en admettant qu'elle en ait un, je doute que son salaire puisse couvrir le loyer d'un appartement de cette envergure.

- Mon père vit avec moi, normalement. Amorce-t-elle en répondant inconsciemment à mes questions. Mais il est rarement là.

- Le travail ? Je demande, en retirant mon couvre-chef désormais trempé.

- Pas vraiment. Il a refait sa vie, et il vit maintenant avec sa nouvelle compagne et son enfant, quelques arrondissements plus loin. Dit-elle en s'emparant de mon bonnet pour le poser sur l'un de ses radiateurs.

- Pourquoi tu ne vis pas avec eux ?

Elle grimace en ôtant son manteau et ses chaussures.

- C'était indiscret, laisse tomber.

- Nan, c'est rien. J'ai pas envie de vivre avec eux, chez elle. Je me sens pas tellement à ma place, tu vois ?

J'hoche la tête et la suis jusqu'à la pièce à vivre où elle m'invite à m'asseoir.

- J'ai pas de bière, un coca ça te va ? Demande-t-elle.

- Ouais, t'embêtes pas.

Elle m'apporte une canette et un verre, ce qui me soulage inconsciemment. Si elle m'avait apporté un verre déjà servi, je n'aurais sûrement pas bu. Qui sait ce que cette fille est capable de mettre dedans.

- Bon, parles-moi de toi. Dis-je en me servant.

- Il n'y a pas grand chose à dire, tu sais...

- Tant mieux, de toute façon je ne compte pas m'éterniser.

Elle sourit légèrement.

- Dis-moi ce que t'aimes dans la vie, ce qui occupe tes journées, peu importe.

- Je vais en cours la plupart du temps, j'aime le rap, les pandas aussi...

- C'est pour ça que tu te maquilles comme eux, alors.

Elle m'afflige un regard noir, c'est le cas de le dire.

Ma conscience rigole à gorge déployée tandis que je tente de me reprendre.

- J'déconne.

- Tu déconnes pas, mais c'est pas grave, c'est pas faux.

- Tu comptes faire quoi plus tard ?

- J'en sais foutre rien.

- Aucune idée après le bac ?

- Je l'aurais pas mon bac. J'aime pas les cours. J'me force à y aller pour que mon père continue de m'entretenir, sinon ça ferait bien longtemps que j'aurais déserté ce lycée pourave.

- Y a forcément une activité qui te plait plus qu'une autre, je reprends après un court silence.

- J'aime écrire, ça occupe pratiquement toutes mes journées.

- Vraiment ?

- Ouais.

- T'écris quoi ?

- Des poèmes, des nouvelles, pleins de trucs comme ça...

- C'est cool.

Elle n'a pas l'air très à l'aise.

- J'ai des potos dans l'édition, si un jour tu sens l'envie de te faire publier, fais-moi signe.

Elle sourit et acquiesce doucement avant de s'excuser et de me fausser compagnie. Elle revient quelques minutes plus tard, changée et démaquillée. J'ai l'impression d'avoir affaire à une toute autre personne ; non pas que ça déplaise.

- Ne me regardes pas comme ça, je suis malaisée.

- Tu ne devrais pas, je rétorque les yeux dans les siens.

Ses joues prennent la même teinte que ce qu'elle met sur ses joues en temps normal puis s'assoit en tailleur sur l'une des chaises.

- Je t'ai pas remercié d'être venu me chercher, j'imagine que t'avais d'autres choses à faire que de te coltiner un boulet comme moi, alors merci.

Je la regarde droit dans les yeux sans un mot. C'est dingue comme elle n'a pas l'air mauvaise.

- C'est rien.

Elle joue trop bien son jeu. Il faut que je me l'apprivoise un maximum jusqu'à ce qu'elle soit carrément niaise.

C'est à son tour de vouloir me soutirer quelques infos, en passant de mon prochain album à mes fréquentations. Je reste le plus vague possible tout en lui donnant l'impression que je lui réponds.

- Mon entourage n'est pas aussi prestigieux qu'on ne le croit. Nekfeu je le connais bien parce qu'on a fait parti du même collectif, mais c'est pas le raclo que je côtoie tous les jours, tu vois ? Je reste discret, mais j'ai mes contacts.

Elle assimile mes paroles et me questionne cette fois sur mes éventuelles relations, sûrement pour indirectement connaître ma situation.

Je souris intérieurement. Elle s'intéresse aux moindres détails. Il n'y a donc pas que ma carrière qui l'intéresse, ce qu'elle cherche est bien plus profond.

- Tu ne m'as pas parlé de ta mère, dis-je pour briser le silence et devancer ses potentielles questions.

Ses yeux se baissent instantanément. J'ai touché un sujet sensible, sans hésitation.

- Il n'y a rien à dire.

- D'accord.

La pluie s'est arrêtée dehors. Il est quatre heures vingt huit à ma montre, il faudrait que je songe à retrouver mon cocon.

Je me lève, face à ses yeux ronds, elle a du mal à cacher sa déception.

- J'ai des choses à faire demain, il faut que je me repose un minimum.

- Je comprends. C'était sympa de rester avec moi, tu n'étais pas obligé.

Elle m'apporte mon bonnet que je garde en main avant de franchir son palier. Nous nous saluons sans gestes significatifs puis je dévale les escaliers.

J'enfile mon bonnet et grimace au contact de ce qui me semble être une épine contre ma boîte crânienne.

Je le retire et examine le tissu jusqu'à en trouver une boucle d'oreille.

Amateure.

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