Chapitre 05 - Palpitant pourpre
Chez le pote d'un pote, l'ambiance est assurée par la vingtaine de raclos assis sur le parquet.
Doum's fait passer le carton de pizza et je m'empresse de prendre la dernière part. Deen derrière ne mâche pas ses mots et m'insulte comme le dalleux qu'il est.
- Même pas tu fais kékro, ton crâne là.
- T'avais qu'à être vif.
Je m'affale sur le canapé et profite du son calé. Les soirées posées avec les gars c'est ça qu'on aime.
Je m'allume une clope et ferme les yeux. Normalement je devrais être en train de me torturer et de me vider la tête tout la night.
Mais ce soir, je fais une trêve. Ça fait une blinde que j'ai pas vu toute la clique, même si certains manquent à l'appel.
- Vous avez vu la nouvelle polémique ? Se marre Eff Gee en désignant l'ordi.
Voyant que personne ne riposte. Il s'éclaircit la voix et monte dans les aigus.
- Fanfictions, les midinettes s'emparent de nos grandes surfaces.
Phénomène international, les fanfictions ont souvent fait l'objet de critiques houleuses auprès des tiers. Cette époque semble quasi révolue. On compte aujourd'hui près d'une centaine de fanfictions réadaptées et mises en ventes dans nos librairies...
- Ferme ta gueule.
- On s'en bat les couilles.
Je souris en voyant Doum's lui tapoter le crâne pour qu'il arrête le parler.
- Vous voulez pas savoir la suite bande d'enculés ? C'est nous les héros de ces fictions wesh, on passe pour des gros gilfra et personne dit rien.
- Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? On a vu ce que ça donnait pour Nekfeu, quelques scènes de cul et basta. Rien d'alarmant. S'écrie Esso.
- J'en ai vues quelques unes sur moi, c'est chelou un peu. Ajoute le vieux Burb.
- C'est grave glauque, ouais. T'as des meufs qui s'inventent des vies avec toi gros, pire maintenant y en a qui se font de la maille sur ton dos, réplique Eff.
- On change les blases.
- Même, on sait jamais ! Qui te dit qu'un jour on racontera pas une histoire vraie ? Une pute que t'as ken en deux deux dans les chiottes de Bercy ou une ex qu'a le seum. Ça peut aller grave vite. Comme ce qu'elle a fait l'ex de Hollande, là.
- Vas y frère tu vas trop loin. C'est un délire de groupie ça, c'est tout. Elles étaient, sont et resteront dans le game et ça sert à rien de te plaindre, tu crois que c'est qui qui t'as permis de quiera ta paire de Zanotti ? Demande Esso.
- J'ai pas de Zanotti.
- C'est bien ce que je dis.
On s'esclaffe tous comme des gros porcs après la vanne du barbu. Eff ne relance pas et c'est tant mieux. Ça me rappelle la fiction qu'il m'arrive de lire de temps à autres.
C'est troublant, déroutant et parfois même gênant, de s'imaginer qu'une personne inconnue puisse nous visualiser dans des scènes enfantines ou intimes.
On se demande sur le coup ce qui leur passe par la tête, puis on oublie parce qu'on a autre chose à faire.
Les mecs proposent de sortir histoire de se vider et de se péter le crâne au showcase d'Alpha. Nous sommes une dizaine à accepter tandis que l'autre moitié décide de rester cloitré dans l'appart étroit.
La cigale est noire de monde. On vadrouille entre la loge et les backstages pour finalement finir dehors.
J'veux me griller une clope et Esso a envie de pécho ce soir, j'ai juste envie de le voir trimer pour approcher une go tellement il est pété.
Depuis qu'il a perdu sa meuf à cause d'un énième adultère, il se sent obligé de soulever tout Paname pour apaiser sa peine.
Je le rappelle à l'ordre parfois, du moins j'essaye. Après tout on a tous déjà eu notre période défonce. Quand il en aura marre d'être à l'Ouest tous les soirs il s'en passera.
- Regardes et apprends. Souffle-t-il après avoir visualisé sa proie visible de dos.
Il fourre les mains dans ses poches et sa démarche qu'il veut assurée nous donne l'impression qu'il perd l'équilibre. Je secoue la tête en soupirant.
Il s'approche d'une jeune femme mince aux cheveux longs et raides qui ne le repousse pas. Ils discutent quelques minutes avant le moment fatidique.
Il tente de l'embrasser.
Et comme dans quatre vingt dix pourcent du temps, il se prend un vent.
Je décide d'intervenir pour récupérer le colis, et m'excuser alors que je n'ai pas de quoi pour la manque de tact de mon pote.
- Désolé à cette heure-ci il sait plus trop ce qu'il fait.
D'abord de profil, la brune se retourne et esquisse un sourire poli.
- J'avais cru comprendre.
Elle a le visage pâle et les yeux cernés. Ses joues sont légèrement rosies par le froid et ses lèvres tremblantes couleur pourpre me rappellent que j'ai déjà eu affaire à cette personne auparavant.
- J'te connais, toi.
- Contente d'avoir marqué ton esprit.
- J'arrive pas à savoir où, par contre.
- C'est moi qui t'ai interviewé de bon matin, il y a une semaine de ça je dirais.
- C'est ça.
- Ça va, je vous dérange pas ? Tu veux me tacler bâtard, c'est ça ?
- Ta gueule Ess' la vérité.
- Je rentre façon, elle est aussi blanche que mon cul. J'veux pas ken une meuf malade. Dit-il en nous tournant le dos.
- L'écoutes pas, il est pas dans son état normal.
Elle sort une cigarette de sa poche et la porte à sa bouche.
- T'as du feu ? Demande-t-elle, totalement désintéressée.
- T'es pas un peu jeune pour fumer ?
- Y'a un âge pour fumer ?
- Nan, mais y'a un âge où on ne devrait pas.
Elle ôte de sa bouche la tige marquée par son rouge à lèvre ignoble et me regarde.
- J'suis majeure, vaccinée et consentante. Si ça peut te rassurer.
- Tu fais quoi dans la vie ? M'enquis-je en lui tendant mon briquet.
- J'suis au lycée, marmonne-t-elle en allumant sa clope, j'ai retapé mon année.
- Tu devrais pas réviser le bac plutôt que de venir à ce genre de réssoi ?
- Tu peux dire adieu à ton feu.
Je souffle du nez.
- J'rigole, tant que tu passes une bonne soirée...
- J'ai failli faire un malaise avec tout ce monde et cette chaleur. Je n'arrive jamais à tenir dans la foule. C'est un peu ce qui me gâche la soirée.
Elle me redonne mon briquet.
- Ça m'a fait la même chose au Cabaret sauvage, et c'est là que je me suis fait passer pour une folle capricieuse qui pleure son idole.
Je plisse les yeux pour me remémorer la soirée.
Alors c'était elle aussi ?
- Décidément t'es partout, toi.
- En toute groupie qui se respecte.
- Tu fais Bercy en décembre ?
- J'pense pas.
- Donc on ne se reverra pas, je conclus.
Elle expulse de ses lèvres une longue et interminable fumée blanchâtre qui me trouble la vue quelques secondes.
Cette fille fume comme un pompier.
- Sauf si tu veux qu'on se revoit, réplique-t-elle calmement.
Je marque un léger temps de pause. La sincérité et le calme dont elle fait preuve sont saisissantes.
Je gratte la semelle de mes docs sur l'asphalte comme pour me débarrasser de l'embarras qui me serre aux chevilles à présent.
- T'aimerais qu'on se revoit ?
- Si je dis oui, il se passe quoi ?
Je ne réponds pas.
Je ne me suis jamais retrouvé dans cette situation avec une fan. Je ne la connais pas, j'ignore absolument tout d'elle, si ce n'est qu'elle fume à s'en cramer les poumons et qu'elle est encore dans le circuit scolaire.
J'suis un détraqué de parler à cette gamine, et d'imaginer le simple fait qu'on puisse se revoir.
Mais pourquoi alors, je ne réfute pas cette idée ?
- Laisse, je plaisantais. Qu'est-ce qu'un mec comme toi irait faire avec une fille comme moi ? Elle pouffe et jette son mégot. Je suis hors jeu, dès le départ. D'ailleurs ça me surprends que tu aies tenu la conversation. Ça m'a fait plaisir, vraiment.
Elle sort des écouteurs de son sac et les enfile sous mes yeux confus.
- Tu t'en vas ? Je demande alors, la parole retrouvée.
- Oui, il est tard, j'ai cours demain.
- T'es loin d'ici ? Je t'appelle un uber ?
Mon excès de bienveillance pour compenser la bâche que je viens de lui mettre excède ma conscience qui ne manque pas de me le faire remarquer à coup de forceur répétitifs dans un coin de ma tête.
- C'est bon je suis à un quart d'heure, c'est gentil.
J'hoche la tête en guise d'acquiescement. Elle me sourit une ultime fois avant de s'engager sur la route pour traverser, sans même regarder les voitures qui l'évitent de justesse.
Elle est chelou cette meuf, mais ce n'est pas ce qui m'inquiète.
J'suis inquiet parce que son étrangeté me fascine.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top