2. Le sans-abri
Pdv Shoto
Y'avait combien de chance pour que je me retrouve nez à nez avec lui en squattant dans cette ruelle...
Je pensais qu'il s'était barré à Kyoto à la mort de ses parents, pas qu'il resterait à Musutafu.
J'avais complètement oublié que l'épicerie familiale n'était qu'à quelques pas. Si y'a bien quelqu'un que je ne voulais pas croiser, c'est bien lui.
Je ne sais même pas pourquoi il n'a pas fait demi-tour en me voyant.
On m'avait dit qu'un jeune homme d'environ mon âge passait trois fois par semaine et distribuait à manger, que c'était quelqu'un de bienveillant et de très souriant, j'aurais dû deviner que c'était lui.
Eijiro est un ancien camarade de lycée avec qui je m'entendais super bien, mais le problème, c'est que j'en étais amoureux.
Durant deux ans et demi, ça n'était pas un problème, je le pensais inaccessible, car pour moi, il était en couple avec Mina, donc hétéro.
Quand j'ai appris qu'en réalité il était gay, il est devenu dangereux pour moi de le fréquenter.
Vis-à-vis de ma famille, je ne pouvais pas céder à cette envie irrépressible que j'avais de me jeter dans ses bras.
Je me suis éloigné sans lui donner de raison et il a respecté ma volonté même s'il semblait en souffrir.
Il avait sa bande d'amis, alors je me suis dit que ça irait et j'ai tenu bon jusqu'à la remise des diplômes.
Ensuite, je suis allé me former auprès de mon père afin de reprendre l'entreprise avec mes frères dans quelques années.
Tout se passait bien, j'arrivais à cacher ce que ma famille considère comme une déviance, puis il y a eu cette soirée trop arrosée.
J'étais avec mes futurs employés et mes frères, j'ai beaucoup trop bu et ils ont commencé à me charrier sur le fait que je n'avais pas de petite amie. Ils m'ont harcelé de questions et j'ai fini par craquer.
J'ai littéralement hurlé dans le bar que j'étais gay et il n'a fallu qu'une poignée d'heures pour que mon père l'apprenne et me foute dehors à coups de pompe dans le cul.
C'était il y a six mois et depuis, je me pose où je peux, ce qui m'a amené ici hier.
Je me retrouve face à mon premier amour, pour ne pas dire le seul. Il est toujours aussi beau, son regard et son sourire ont gardé toute la douceur qui me manquait depuis quatre ans.
Il a des traits plus virils qui s'accordent avec cette carrure qu'il doit entretenir malgré qu'il n'ait pas continué dans le foot. Il continue de teindre ses cheveux noirs en rouge et ça lui va toujours aussi bien.
Eijiro : Shoto ? Qu'est-ce que tu fais ici ?
Shoto : Bah, comme tu vois...
Eijiro : Tu t'es disputé avec ton père ?
Shoto : On va dire ça oui
Eijiro : Ça fait longtemps que tu es à la rue ?
Shoto : Quelques mois. Il paraît que tu distribues à manger
Eijiro : Oui, mais tu ne veux pas plutôt venir chez moi ? Je n'ai pas de chambre d'amis, mais je peux te mettre un futon dans mon bureau
Shoto : Non merci, j'ai seulement faim
Il me tend un sac plein à craquer qui sent incroyablement bon. J'accepterai volontiers de venir chez lui, sauf qu'avec ce que je lui ai fait au lycée, je ne me vois pas profiter de sa générosité.
La nourriture, il en donne à chaque personne qui dort dans cette ruelle, alors ça va, par contre, je ne veux pas plus.
C'est quelqu'un de bien trop gentil, je l'ai vu plus d'une fois se faire avoir, en souffrir, puis se laisser à nouveau embobiner le lendemain, si ce n'était pas dans les minutes qui suivent.
Eijiro : Tu sais, tout comme au lycée, être gay n'est pas contagieux
Shoto : Ton humour pourri ne m'avait pas manqué
Eijiro : Je continuerais volontiers cette conversation ô combien agréable avec un vieil ami, mais Mina m'attend
Shoto : Évite d'ébruiter que tu m'as vu ici s'il te plait
Eijiro : Tu me connais assez pour savoir que ce n'est pas mon genre
Shoto : Merci, et pour la bouffe aussi, ça a l'air très bon
Eijiro : Tu me diras ce que tu en as pensé quand je reviendrai lundi
Shoto : Si je suis encore là
Eijiro : J'espère, et si entre temps, il te prend l'envie de venir te réchauffer dans l'épicerie, tu y es le bienvenu
J'acquiesce d'un geste de la tête, ça semble lui suffire, même s'il sait pertinemment que je ne viendrai pas.
Par contre, il a aussi très bien compris que j'allais rester dans le coin, au moins pour l'hiver.
Ici, j'ai des couvertures, un abri de fortune, mais qui a le mérite de me couper du vent et de me protéger de la pluie.
Il distribue de la nourriture trois fois par semaine de ce que j'ai compris, donc objectivement, je suis mieux dans cette ruelle que n'importe où ailleurs.
Puis, on ne va pas se mentir, même si j'aimerais fuir comme il y a quatre ans, j'en suis incapable.
J'ai tellement souffert de l'avoir rejeté, et ensuite de ne plus avoir de ses nouvelles, que je ne pourrais pas me résoudre à recommencer.
Quand je l'ai reconnu, deux émotions se sont bousculées en moi, la panique et une immense joie.
Physiquement, il est encore plus canon que dans mes souvenirs, pourtant j'étais persuadé de l'idéaliser.
Il est devenu aussi grand que moi, alors qu'à l'époque, je le dépassais de quelques centimètres.
Sa musculature de footballeur a légèrement fondu, mais il reste suffisamment taillé pour que ça se remarque malgré ses vêtements d'hiver.
Par contre, son visage n'a pas changé, il a seulement mûri. Ses yeux grenat sont toujours aussi lumineux et envoûtants.
Son sourire demeure sincère et bienveillant, en dépit du fait que je devine qu'on a dû profiter de sa gentillesse plus d'une fois depuis qu'on s'est quittés.
Ce mec a une capacité inébranlable à croire en l'être humain, c'est admirable et flippant à la fois.
J'espère qu'il ne croisera jamais le connard de trop et surtout, qu'il trouve quelqu'un qui sache lui rendre tout l'amour qu'il est capable de donner.
J'aurais bien voulu être cette personne et si j'avais su qu'un jour, je me ferais jeter par mon père, j'aurais assumé mes sentiments pour lui au lycée.
J'avais déjà honte à l'époque, mais aujourd'hui, je ressens aussi une énorme culpabilité, depuis que je sais qu'il a cru que je m'étais éloigné parce qu'il me dégoûtait.
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