Chapitre 9

Adèle ne ramena rien de nouveau à la maison de la bibliothèque, sinon une vieille bande-dessinée qu'elle avait déjà lue.

Quant à Nadia, elle avait déniché un livre de science-fiction, encore une fois, qui lui avait attiré l'œil.

« Le dernier était bien ? » avait demandé Adèle, tandis qu'elles deux rangeaient leurs nouveaux ouvrages dans le large sac de tissu prévu à cet occasion.

Nadia avait fait une moue.

« Le début était lent, et la fin, trop rapide. L'écrivain de ceci ne savait clairement pas où il s'en allait. J'ai vu mieux. »

Adèle avait froncé les sourcils.

« Quoi ? avait lâché Nadia, apercevant sa sœur renfrognée.

— Tu n'as jamais dit qu'un livre était bien.

— C'est-à-dire ? »

Adèle avait fait une courte pause, ravalant sa salive, et éclairant sa voix.

« Tu trouves toujours quelque chose à critiquer. Jamais, un jour, nous sommes allées à la bibliothèque, et tu as pointé un livre en disant qu'il était bien. »

Le front de Nadia s'était plissé, puis elle avait laissé échapper un petit rire.

« C'est vrai. Tu as raison. »

Adèle eut été surprise de cette soudaine révélation.

« Mais alors, tu n'as aimé aucun livre jusqu'ici ?

— Critiquer n'est pas opposé à aimer, très chère. »

Critiquer n'est pas opposé à aimer.

Cette phrase mystérieuse n'avait pas de sens à Adèle, et résonnait dans sa tête, comme si elle cherchait un endroit dans son esprit où se mettre.

Dans la case « idée validée et certifiée » ?

Dans la case « idée stupide » ?

Ou très certainement dans cette case, qu'Adèle utilisait malheureusement de plus en plus souvent : la case « idée non-validée, et qui ne le sera jamais ».

Cette case était apparue depuis plusieurs mois maintenant ; avant, Adèle n'avait pas conscience de son existence.

Qu'il y avait certaines choses, certaines pensées, qui ne pouvaient être validées par tout le monde.

Cette case lui causait beaucoup trop de tourments.

Adèle et Nadia étaient rentrées, mais malheureusement, elles ne purent aller chercher des tournesols pour leur grand-mère, puisqu'il était déjà tard, et que de lourds nuages chargés de pluie labouraient le ciel.

« On ira demain », promit Nadia, alors qu'elle et sa sœur rangeaient leur vélo dans le garage.

Adèle hocha la tête.

Peut-être était-ce le temps orageux, et l'atmosphère tendue qui l'entourait, mais Adèle sentait que quelque chose n'allait pas.

Pour en avoir le cœur net, elle s'empressa d'entrer dans la maison, et lança à la cantonade depuis le hall d'entrée :

« On est rentrée ! Ça va, tout le monde ? »

Un petit « oui ! » enfantin lui confirma que Benjamin allait bien, et l'arrivée de Jeanne dans le couloir la rassura immédiatement : ce n'était qu'un mauvais présage, rien de plus.

« Vous allez bien, les filles ? s'enquit Jeanne, ouvrant ses vieux bras à ses petits-enfants. Pas de pluie ?

— Pas encore, répondit Nadia, qui traversait la porte juste à ce moment-là. Mais ça ne va pas tarder. »

Leur grand-mère hocha la tête. Son regard tomba sur le sac de tissu, pendant à l'épaule de Nadia, dont la forme de deux livres se dessinait à travers le coton.

« Alors, vous avez pris quoi ? »

En toute réponse, Nadia descendit le sac de son épaule, et sortit son roman de science-fiction.

Jeanne le saisit entre ses vieilles mains fripées, et le tourna sous toutes ses coutures.

« Oui, je le connais, sourit-elle. Il est merveilleux, ce livre.

— Vraiment ?

— Oh que oui. Franchement, il devrait te plaire ! »

Elle adressa un large sourire à Nadia, tout en lui tendant son livre.

« Et toi, Adèle ? » demanda t-elle, se détournant vers la cadette.

Adèle fit la moue :

« Une BD. Rien de dingue, ni de merveilleux.

— Le dessin est un art qui vaut parfaitement des dizaines de paragraphes d'un roman, déclara Jeanne. Tu peux lire cette BD sans te sentir coupable, ma chérie. Lis ce que tu veux. Si tu lis de grands auteurs classiques, on te prendra pour quelqu'un de pédant. Si en revanche tu lis des livres jugés plus modestes, alors tu seras vue comme une illettrée. La littérature est un art, au même titre que la peinture, et peut-être qu'un grand savant ne saura s'émouvoir devant le plus grand des chefs-d'œuvres. Va vers ce qui te parle, et vis ! »

Adèle cligna des yeux.

Était-ce cette bonne vieille Jeanne, son grand sourire, ses yeux rieurs qui venait de dire tout ceci ?

Adèle baissa le nez vers sa bande-dessinée, qu'elle-même jugeait piètre du regard des autres.

Nadia scrutait le visage de sa grand-mère, perplexe.

« Mais enfin, mamie, tu ne peux pas nier que certains auteurs sont des génies — et qu'en général, ils n'écrivent pas ceci ! »

Elle désigna d'un geste dédaigneux l'ouvrage que tenait sa sœur.

Jeanne secoua la tête.

« Il est tard ! s'exclama t-elle, consultant sa montre. Je vais préparer le repas. Montez vous faire une toilette, et on passe à table ! »

Et, sur ce, elle se déplaça jusqu'à la cuisine, et plus jamais elle ne remit ce débat sur le tapis.

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