Chapitre 8
Et, lorsqu'il revint, il jura avoir trouvé ces trois fabuleuses rivières, qui l'avaient guéri de son mal.
Il était tard.
Très tard.
Pourtant, allongée dans son lit, à la lueur tamisée de sa lampe de chevet, Adèle ne pouvait s'empêcher de lire et relire l'histoire de cet homme.
Comment en savoir plus ? Fallait-il lire entre les lignes ? Relire, de nouveau ? Une information importante lui avait-elle échappé ?
Et de quel mal souffrait-il ? Une malédiction magique ? Ou bien une maladie bien réelle, tel que le cancer ?...
Les petites lettres noires encrées dans le vieux papier devenaient de moins en moins précises pour les yeux fatigués d'Adèle : bientôt, c'était une traînée de tâches noires qui couvraient la page, et non le récit des trois rivières.
Une légende connue ? Certainement, puisque sa grand-mère la connaissait.
Mais plus Adèle relisait et relisait cette histoire, plus elle sentait le regard pesant de Nadia sur cette activité.
Pour elle, c'était grâce ce genre d'histoire à en dormir debout que l'on devenait des personnes comme Karine.
À ce dîner, elle n'était d'ailleurs pas là : ayant beaucoup mangé au cinéma, elle s'était endormie directement dans sa chambre, sans passer dire au revoir à sa mère et à ses enfants.
Peut-être va t-elle se réveiller tôt, demain ? pensa Adèle, tournant la page de son livre.
Là, sur la dernière page de ce chapitre, était dessiné une petite rivière d'aquarelle.
La peinture azure semblait couler d'elle-même sur le papier, comme l'aurait fait une souple cascade.
Existait-elle ?...
... Peut-être.
Peut-être pas.
Doucement, le livre glissa des mains d'Adèle. Ses paupières tombèrent, et la lumière tamisée ne fut qu'un lointain point lumineux dans son esprit.
***
Le lendemain, Karine ne se réveilla pas plus tôt que d'habitude.
Comme chaque semaine, Adèle et Nadia préparaient leur vélo respectif, afin de rejoindre le centre-ville, et sa bibliothèque.
« Faites attention sur la route ! recommanda gentiment Jeanne, tout en arrosant les derniers tournesols que ses deux petites filles avaient ramené. Il n'y a certes pas beaucoup de voitures, mais un animal peut toujours passer à l'improviste sur la chaussée, ou un trou dans le béton peut vous faire tomber !
— T'inquiète, mamie, ça fait longtemps qu'on pratique », répondit Nadia.
Puis, après un instant de réflexion, elle grimaça entre ses dents :
« Trop longtemps, même. »
Jeanne fit mine de ne pas entendre, mais chacun avait compris le sens de ces mots.
Cela faisait presque un mois qu'ils avaient quitté la capitale, pour se réfugier dans la maison de Jeanne.
C'était la première fois qu'Adèle, son frère et sa sœur étaient parti aussi longtemps en vacances.
Quand allaient-ils rentrer chez eux, dans leur chaleureux petit appartement ?
Allaient-ils le revoir, au moins ?
La tête lourde de sombres questions, Adèle suivit en silence sa sœur aînée, son vélo sous le bras, jusqu'au portail du jardin.
Ni une, ni deux, elles enfourchèrent leur vélo, et se mirent à pédaler.
Tandis qu'elles longeaient un grand champ surpeuplé de tournesols, Nadia releva qu'il était peut-être temps d'en cueillir de nouveau, pour leur grand-mère.
Adèle haussa les épaules.
« Les derniers sont encore là, non ?
— Ça fane vite, ces choses-là, répliqua Nadia. On ira en chercher ce soir : pour le moment, les agriculteurs sont de sortie. »
Elle désigna du menton un tracteur, qui entrait tranquillement dans le champ de fleurs.
Adèle le suivit du regard.
« Hé ho ! Pourquoi tu ralentis ? fit Nadia. Tu as une crampe ? »
Elle était à quelques mètres de sa sœur, déjà.
Adèle secoua la tête.
« Non... Dis, est-ce que les agriculteurs qui travaillent ici nous en veulent ? »
Nadia fronça les sourcils, perplexe.
« Pourquoi nous en voudraient-ils ?
— On arrache quelques tournesols chaque semaine, quand-même. On leur pique leur travail, non ? »
Adèle sentit le regard de Nadia la dévisager, cherchant certainement la raison de ces pensées.
« ... Non, finit par répondre sa sœur, remontant d'un geste mécanique sa pédale du pied. Non, au fond, nous n'en prenons pas beaucoup. Trois au maximum. Nous ne bousillons pas leurs plantations pour autant. Et puis, je suis certaine qu'un bon nombre de tournesols présents dans ce champ mourront, soit par le voyage jusqu'à l'usine, soit par une maladie, soit parce qu'ils se sont égarés... »
Adèle n'était pas très convaincue.
Elle se détourna vers le tracteur, qui s'était arrêté au milieu de l'allée du champ. L'agriculteur descendait d'un pas rapide son engin, sautant les deux dernières marches.
« Arrête de le fixer, déclara Nadia. C'est bizarre. »
Et, sur ce, elle fit claquer sa chaîne de vélo, et se remit en route.
« Et puis, n'as-tu pas envie d'avoir une grand-mère heureuse ? »
Sa grand-mère méritait totalement ce petit bonheur hebdomadaire.
Mais cet homme, est-il content de voir ses fleurs disparaître ?
Peut-être ne les a-t-il même pas remarquées...
Pour lui, ce champ n'est pas sa famille ; c'est simplement un amassement de marchandises.
Peut-être n'aime-t-il même pas les fleurs.
Les pensées et les questions devenaient trop lourdes.
Adèle se détourna enfin de l'homme et de son tracteur, et pédala à toute vitesse afin de rattraper sa sœur, qui, comme à son habitude, était déjà loin.
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