Chapitre 6
Le lendemain, le ciel était morne.
Il transmit sa morosité à la jeune Adèle, dès son réveil.
Il allait pleuvoir, aujourd'hui.
Adèle se traîna avec lenteur jusqu'au couloir, dans une drôle d'atmosphère de sommeil. Une sensation de coton, d'un mur la séparant du reste du monde.
Une petite bulle de savon.
Adèle descendit les escaliers, et entra dans la cuisine, qui était déjà en activité.
Mamie Jeanne faisait frire tranquillement des œufs — les œufs du week-end !—, sa grande sœur Nadia croquait dans une tartine plus que gratinée, et Benjamin, fidèle à son habitude, gesticulait comme un singe dans sa chaise haute.
« Manger, manger ! ordonnait-il, brandissant ses couverts en plastique.
— Repose ça tout de suite, bonhomme, répliqua Nadia, s'emparant de sa petite fourchette. On ne joue pas avec les couverts.
— Je suis un chevalier !
— Un chevalier, c'est avec des armes, pas des couverts en plastique. Tiens, salut, Adèle. »
Aussitôt, dès qu'elle entendit sa petite-fille, Jeanne vit volte-face, sa poêle au poing, un grand sourire lumineux aux lèvres :
« Oh, bonjour Adèle ! Mon trésor !
— B'jour Adèle ! » rigola Benjamin.
Adèle répondit à toutes ces salutations par un hochement de tête, avant de prendre place autour de la table, silencieusement.
Nadia pesta encore un peu après Benjamin, qui avait découvert un nouvel usage de son assiette : celle d'un Frisbee.
Jeanne termina rapidement de faire cuire ses œufs, et déposa les plus gros dans les assiettes de ses petits-enfants :
« Bon appétit ! Que voudriez-vous faire, aujourd'hui ?
— Jouer dehors !! S'écria Benjamin.
— Ben ! gronda Nadia. Ton œuf ! »
Ce pauvre dernier avait manqué de se retrouver collé au plafond. Benjamin prit un air peiné :
« Pardon. »
Nadia lui adressa un sourire.
Ses rares sourires sont toujours adressés à Benjamin, souleva silencieusement Adèle, tandis qu'elle tranchait d'un geste machinal son petit-déjeuner.
« On peut jouer dehors ? questionna alors le petit garçon, d'un ton posé et poli.
— Mon pauvre garçon, je ne crains qu'il ne fasse trop moche pour jouer dehors !... répondit tristement sa grand-mère.
— S'il te plaît ! »
Les yeux du petit enfant se mirent à briller de supplication.
Nadia se mit à réfléchir, fixant sa grand-mère.
« Avec des bottes adéquates et un imperméable, ça devrait aller, non ?... » fit-elle, songeuse.
Jeanne eut quelques instants de réflexion, elle aussi.
Adèle, quant à elle, suivait le débat sans aucune opinion.
Lorsqu'enfin, les premières gouttes commencèrent à rouler le long de la vitre de la cuisine, Jeanne se décida.
« D'accord. »
***
Mais qu'est-ce que je fais là...
Morose, Adèle fixait ses pieds bottés, reluisants de pluie, jouer distraitement avec un malheureux caillou qui se trouvait là, lui aussi.
Quelques mètres plus loin, Benjamin ne partageait absolument pas le sentiment de sa sœur : il venait de se découvrir une passion pour sauter dans les flaques, faisant le plus de remous que possible.
Et, quand la flaque était vide, il s'en attaquait à une autre.
C'était sans fin.
Non loin de là, Nadia l'observait d'un œil vigilant, prête à intervenir au moindre souci.
Leur mère avait enfin décollé du canapé... pour se réfugier au cinéma. Elle avait pris la voiture, et, sous la pluie estivale, avait quitté la maison, pour aller voir un film dramatique, ou policier, ou les deux, peut-être.
Adèle leva les yeux vers le ciel gris.
Quelques gouttes roulèrent le long de ses joues, et s'infiltrèrent dans ses yeux. Froides, mais douces.
Adèle cligna rapidement des paupières, chassant la pluie de ses yeux, et soupira.
C'était officiel : elle n'aimait pas la pluie.
Qui pouvait bien aimer un paysage aussi gris ?
On aurait dit que le ciel pleurait son existence...
« Adèèèèèèèèèèèèèèèèèle ! »
La jeune fille descendit le regard sur son petit-frère, jovial.
« Dis Adèle, tu veux jouer à chat avec moi ? »
Adèle secoua instantanément la tête.
Courir.
Ses muscles étaient raides, et ses pieds, plantés dans ses bottes, elles-mêmes plantées dans le sol, et il n'était pas question que ça change.
« Non merci. Je n'ai pas envie de courir.
— S'il te plaît !
— Non ! »
Benjamin pencha sa tête vers le côté, de manière suppliante.
« S'il te... »
Adèle sentit une brusque colère échauffer son sang.
Elle serra les poings, souffla bruyamment, et s'éloigna d'une dizaine de pas, tournant dos à son frère et à sa sœur.
Sa tête lui semblait brûlante de pensées colériques, et la pluie sur son front ne calma rien ou presque.
Dans son dos, elle entendit la petite voix enfantine de Benjamin :
« Pourquoi elle est en colère ? »
Il y eut un petit silence, puis la voix de Nadia lui répondit :
« Ça va lui passer. Une petite crise, c'est de son âge. »
Et pas du tiens, peut-être ?
Adèle se mordit fort la lèvre, levant les yeux au ciel, essayant de canaliser sa fureur.
... Finalement, la pluie dégoulinant le long de ses joues n'était pas si désagréable...
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