Chapitre 5
« Les enfants ! On mange ! »
Adèle ne bougea pas.
Elle était là, étalée sur son lit, comme une nappe sur une table. Le regard levé vers le plafond, sans que ce dernier ne soit fixé.
« Adèle ! »
Adèle redressa faiblement la tête, et vit Nadia, passant la tête dans sa chambre.
« On va manger, indiqua t-elle. Ça va ?
— Fatiguée, répondit Adèle, laissant tomber sa tête sur son oreiller.
— Tu as fait du sport ?
— Non... »
C'était pire que si elle en avait fait. Elle était drainée de toute son énergie. Plus rien ne circulait entre ses membres, elle se sentait pourrir, là, sur son lit. Peut-être que si elle attendait un peu, et qu'elle fermait les yeux, il ne resterait plus rien d'elle...
« Bon, allez, bouge-toi, grosse marmotte, déclara Nadia, tirant Adèle par le bras. Allez allez, ce n'est qu'un repas ! »
Adèle bougonna un peu, et se laissa traîner dans le couloir, puis dans les escaliers.
Ce soir, leur grand-mère avait concocté un délicieux potage fait-maison. Karine était déjà attablée, et dévorait son bol sans même respirer.
Quant à Ben, emprisonné comme à son habitude dans sa chaise haute, il regardait d'un air interrogateur le liquide inconnu miroitant dans son propre bol.
« Ça va Adèle ? s'inquiéta immédiatement Jeanne, posant sa casserole dès qu'elle la vit. Tu es toute pâle... »
La concernée secoua la tête, soufflant un « j'suis fatiguée... ».
Elle s'attabla à son tour, et attrapa le bol fumant que lui tendait sa grand-mère.
« C'est quoi ? interrogea Ben, qui n'avait toujours pas osé plonger sa cuillère dans cet étrange repas.
— Du potage, trésor ! Goûte, c'est délicieux ! »
Jeanne se garda bien de rajouter que c'était bourré de légumes en tout genre, ce qui aurait dissuadé à tout jamais le bambin de manger son repas.
Benjamin fixa à nouveau le bol de soupe, comme si ce fut un ennemi à combattre. Ses grands yeux enfantins étaient écarquillés, et sa bouche légèrement entrouverte.
Nadia, Adèle et leur grand-mère assistaient au spectacle, amusées.
Benjamin saisit sa cuillère de plastique, tout en continuant son jeu de regard avec son bol de potage. Parfois il fronçait les sourcils. Parfois il faisait une grimace, comme pour déstabiliser son adversaire.
C'était un duel de cow-boys.
Enfin, il plongea la cuillère dans le potage, et la porta à sa bouche. Méfiant, il avala doucement la mixture.
« ... C'est bon. »
Ce fût automatique : Nadia, Adèle et leur grand-mère applaudirent à tout rompre, à en faire trembler les fenêtres de la cuisine.
Benjamin, tout content d'être aussi acclamé, reprit une nouvelle cuillerée de son repas, ce qui lui valut encore d'autres applaudissements.
« Eh bah tu vois, que ce n'était pas si terrible ! sourit Jeanne, pinçant affectueusement la joue du petit garçon.
— Cette journée doit être notée sur tout les calendriers ! s'exclama Nadia en riant. En ce mois de juillet, Benjamin a osé manger le potage de mamie !
— Oh, arrête, on dirait une mixture affreuse ! rit Jeanne.
— Tout le monde soit se souvenir de cette date ! insista la jeune fille. Tout le monde ! »
Sauf celui qui a accompli l'exploit.
Adèle sursauta, à l'entente de cette pensée soudaine.
Elle se tourna vers le petit Ben, très fier de lui visiblement.
Est-ce qu'il s'en souviendra ? se demanda t-elle. Est-ce qu'il se souviendra de ce moment de gloire ?
Tout d'un coup, le nuage qu'elle avait quittée sans s'en rendre compte revint sans crier garde.
D'un regard peiné, elle observa son potage, diminué de sa moitié.
« Qu'est-ce que tu en penses, Karine ? » demanda Jeanne, en direction de sa fille.
La femme redressa la tête :
« Hein ? De quoi ? »
Un grand silence s'abattit dans la cuisine.
Nadia soupira, agacée :
« Non, rien. »
***
Après le repas, Karine avait proposé de regarder quelque chose à la télévision. Nadia refusa immédiatement, et embarqua dans sa décision Benjamin :
« Il faut que j'aille le coucher. Il a les yeux qui se ferment tout seuls... »
Karine se tourna alors vers Adèle, les yeux plein d'espoir.
« Et toi ? »
Adèle avait réellement envie d'aller se coucher, et d'oublier cet espèce de nuage qui lui polluait l'esprit.
Mais comment pouvait-elle l'expliquer à sa mère, sans qu'elle ne soit horriblement déçue ?
« En fait... hem... je suis plutôt fatiguée... tenta t-elle d'expliquer d'une voix prudente.
— Karine ! Ne force pas les enfants s'ils sont fatigués ! intervint Jeanne, qui rangeait tranquillement la vaisselle.
— Bon, eh bien, je vais la regarder toute seule, mon émission. »
Karine se détourna, et s'engouffra dans le salon.
Adèle la regarda partir.
Finalement, elle ne semblait pas tant déçue que ça... Peut-être ne voulait-elle pas d'elle, finalement ?
Ou alors se forçait-elle à plaquer un sourire sur son visage, et à dire que tout allait bien ?
Dans les deux cas, Adèle s'en sentait soit démunie, soit peinée.
Mais comment faire plaisir à tout le monde ?
Tourmentée, Adèle grimpa les escaliers, à la suite de Nadia, qui portait Benjamin dans ses bras, où il commençait doucement à dormir.
« Je vais lui lire une histoire, dit Nadia à l'intention d'Adèle. Puisqu'elle ne peut pas le faire. »
Arrête, Nadia. Pitié.
Adèle avait une soudaine envie de fondre en larmes.
Au lieu de ça, elle pressa le pas vers la salle de bain, où elle y ferma la porte, et se planta devant le miroir.
Adèle. Je suis Adèle.
C'était l'une des seules choses qu'elle pouvait affirmer, dans cette période de vie incertaine.
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