Chapitre 31
Jeanne avait d'abord jeté un coup d'œil au jardin, mais Nadia n'y était déjà plus.
On avait alors couché Benjamin, lui assurant que Nadia n'était pas bien loin. Par chance, il s'endormit sans souci.
Puis la vieille femme avait sorti deux vieilles lampes électriques, aux poignées froides et à l'halo de lumière grésillant.
Une pour elle et Karine, et une pour Adèle.
Toutes trois avaient quitté la demeure de Jeanne, et baladaient à présent leur lampe sur le paysage.
« Nadia ! » appela Jeanne.
Sa voix usée ne fit guère d'effet, sinon quelques toux de la part de sa propriétaire.
Karine tenta à sa place :
« Nadia ! »
Mais elle ne répondit pas plus.
Adèle tremblotait.
Était-ce le froid de la nuit ? Non, ils étaient en plein été...
« Na-nadia ! » grelotta t-elle, braquant sa lampe vers les champs.
Il n'y avait pas d'âme qui vive.
« On ne peut pas laisser Benjamin tout seul, affirma Karine, se tournant vers Jeanne et sa fille. Maman, reste ici — je pars avec Adèle. »
***
Karine avait emprunté la route par la gauche — chose qu'Adèle n'avait jamais fait auparavant.
Baladant leurs lampes respectives tout autour d'elles, elles criaient, appelaient Nadia.
Mais elle ne répondait toujours pas.
« Maman... est-ce que Nadia va mourir ? »
Cette angoisse était sortie comme ça de la bouche d'Adèle.
Mais son cœur en était surpeuplé, d'angoisses ; elle avait besoin d'y faire le tri.
Karine s'arrêta net de marcher. Ses yeux saphirs brillaient dans l'ombre comme l'auraient fait ceux d'un chat.
« Adèle, ne dit pas ça. »
Elle replaça nerveusement une mèche de cheveux blond derrière ses oreilles, puis souffla tout de même :
« On va toujours finir par mourir... »
Refroidie par cette affirmation, Adèle se recroquevilla.
L'air autour d'elle devenait de plus en plus pathogène : il s'engouffrait sous ses vêtements, dans ses manches, dans son col à chaque pas, et brûlait sa peau de son contact gelé.
« Adèle, j'ai une idée. »
Sa mère pivota sur ses talons, vers sa fille. Cette dernière braquait un regard effaré sur le paysage, similaire, mais atrocement différent à la fois.
« Qu-quoi ? grelotta t-elle.
— J'ai deux idées d'où pourrait se trouver Nadia, mais il faut faire vite. L'une de nous deux pourrait aller au premier lieu, et l'autre, au second.
— Tu— tu veux qu'on se sépare ? »
L'idée semblait inconcevable dans l'esprit d'Adèle.
Comme si on arrachait les ailes d'un oiseau en plein atterrissage dangereux.
Karine hocha la tête.
« Il y a un escalier de pierre, pas très loin — il suffit de suivre les buissons. Elle pourrait se trouver ici. Moi, j'irai chercher du côté de la prairie. Elle est forcément quelque part entre les deux. »
Adèle ne l'écoutait déjà plus.
Elle n'entendait que son cœur, cognant de plus en plus fort, et de nouvelles angoisses, qui remontaient à ses oreilles comme un ras-de-marée.
« Je peux te faire confiance ? » entendit-elle néanmoins.
Sa mère la fixait, scrutant son visage.
Doucement, la tête d'Adèle se balança en un oui.
***
Karine était partie.
Adèle longeait prudemment les buissons du bas-côté de la route, les jambes grinçantes et crispées.
Je suis à un endroit que je ne connais pas. Je suis un chemin que je ne connais pas.
Elle manqua de trébucher dans un trou que formait le béton défoncé.
Elle laissa échapper un petit cri de détresse.
« Nadia ! »
Toujours rien.
Adèle leva le nez au ciel.
Seule, reine, entourée d'éclats de lumière, la Lune siégeait dans le firmament, répandant sa lueur bleutée sur la Terre.
C'était certain qu'elle avait vu Nadia passer.
Adèle revint sur Terre, et se cramponna d'avantage à sa lampe, qu'elle braquait devant elle tel un bouclier.
« Nadia ! » tenta t-elle, à nouveau.
Soudain, son regard accrocha sur quelque chose.
À gauche.
Un grand escalier sinueux de pierres bétonnées partait de là, du rebord de la route, et s'enfonçait à perte de vue dans une forêt aussi dense et touffue qu'obscure.
Nadia ?
Un mélange de mots confus remontaient les escaliers, mélange que son oreille peinait à comprendre.
Pourtant, son cœur battant lui soufflait d'y reconnaître Nadia.
Mais était-ce réellement sa voix ?
Prise de doute, Adèle lança timidement :
« Nadia ?... »
Un éclat de phrase sauta à ses oreilles, et il résolut toutes ses craintes : c'était bien Nadia.
Adèle balaya les marches de son faisceau doré.
Puis descendit lentement la première marche.
***
L'escalier était long.
Incroyablement long.
Mais extraordinairement bien dégagé : pas une feuille reposait sur les marches de bitumes d'un gris apus.
Le ciel disparaissait sous la canope des arbres, c'était à peine si la Lune éclairait encore le chemin d'Adèle.
Une froide odeur nocturne et bucolique emplissait les narines de la jeune fille.
Parfois, elle s'arrêtait, regardait autour d'elle, légèrement essoufflée :
« Nadia ? »
Mais personne ne répondait.
Alors, elle s'enfonçait plus profondément encore.
Lorsque l'escalier prit fin, Adèle déboucha sur un sentier terreux, bordé de grands arbres, et de grands buissons.
C'était un véritable tunnel de verdure.
Était-elle actuellement sous terre ?
Adèle leva la tête vers le ciel, et vit un faible petit point brillant, dont les rayons traversaient avec difficulté les feuilles des arbres.
La lumière de sa lampe faiblit soudain. Adèle secoua l'engin, prise d'angoisses, mais elle ne réussit qu'à faire trembler dangereusement le faisceau d'or.
Adèle releva la tête vers le sentier.
Puis avança.
***
...
Une main s'enroula autour de son poignet, la tirant doucement en arrière.
Adèle se détourna.
« Nadia ? »
Personne.
Le sentier de terre était vide.
Elle entendit néanmoins un ronflement ironique.
Les ténèbres devaient se moquer gentiment de cette petite-fille, ayant confondu un coup de vent avec un geste amical.
Pourtant, Adèle sentait encore la pression des doigts à travers son pull, caressant doucement sa peau...
Elle posa ses doigts sur son poignet, comparant le contact de ce geste à celui ressentit.
Elle continua sa route.
Cette fois-ci, ce fût l'épaule.
Une gentille accolade, mais plus ferme.
À nouveau, Adèle se détourna, le cœur battant.
Qui s'amuse à me toucher de cette manière ?
Elle fouilla les lieux du regard, les arbres, les buissons ; mais son potentiel suiveur n'avait pas beaucoup de cachette.
Ses poignets se mirent à trembler.
Nadia, s'il te plaît, reviens vite, je veux rentrer...
Soudain, une poigne ferme lui agrippa la naissance de sa main, et la tira en arrière.
Adèle pivota sur ses talons, déséquilibrée.
Et c'est là qu'elle le vit.
C'était ce que pointait à présent son majeur.
Un passage entre les buissons.
Un rai de lumière s'échappant de derrière.
Adèle, perdue, fixait sa main, pointée vers le passage.
Elle s'avança, et posa une main sur le feuillage.
Il bruita légèrement sous ses doigts.
Adèle y aventura un pied. Les branches semblaient s'écarter au contact, laissant une simple griffure sur ses vêtements.
Adèle ferma les yeux, et s'aventura à tâtons dans le dédale de branches feuillues.
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