Chapitre 28

Lorsque Nadia, Benjamin et Jeanne rentrèrent, ils eurent la surprise de découvrir Adèle et Karine dans la cuisine, Adèle assise sur une des chaises rustiques qui entouraient la table, le pied posé sur une seconde chaise.

« Qu'est-ce qui se passe ? » interrogea Benjamin, dubitatif.

Adèle sentit le regard inquisiteur de Nadia scruter la scène.

Quand Adèle, après avoir rangé les vinyles avec sa mère, s'était levée, elle avait immédiatement tressaillit lorsque son pied endolori avait touché terre.

Aussitôt, sa mère avait découvert la cheville gonflée de sa fille, et cette dernière s'était empressée de débiter son mensonge préconçu.

Avait-il fait mouche ou non, ça, Adèle ne le saurait jamais ; Karine avait simplement hoché la tête, puis l'avait emmenée dans la cuisine, afin de la soigner un maximum.

« Adèle a chuté dans les escaliers, cette nuit, expliqua Karine d'un ton patient, tout en farfouillant dans un placard en hauteur. Je crois qu'elle s'est tordu la cheville.

— C'est cassé ??? s'écria Benjamin. Il faut appeler les pompiers !!

— Tordu ne veut pas dire casser », répliqua sèchement Nadia.

Elle observait avec méfiance Karine, tandis qu'elle s'activait, cherchant visiblement quelque chose de bien particulier.

Enfin, elle le trouva : elle dégaina d'un bocal rangé dans un tiroir une longue plante aux moulures mauves, qu'elle tendit à sa fille avec un sourire :

« Tu savais que cette plante-là peut faire disparaître les tensions dans la peau ? »

Adèle dévisagea la fine tige, un peu perplexe.

Puis acquiesça avec un sourire.

Elle se souvenait.

Chez eux, la pharmacie n'intervenait qu'en second plan ; d'abord, il fallait laisser parler la médecine qu'apportait les plantes.

Karine avait tout un tas de recettes, à la maison : tisanes adoucissantes, bois d'aulne pour mal de tête, miel pour la gorge...

C'était l'une des seules "folies" qu'acceptait son père, et même qu'il cautionnait : pour lui, les plantes reposaient sur une étude profonde, et pouvaient s'avérer plus efficaces et plus saines que certains médicaments.

Mais Nadia, sur le moment, ne semblait pas tant d'accord avec cela.

« Maman, tu ne vas pas la guérir avec une simple petite plante, soupira t-elle, tout en posant les bruyants sacs de carton sur la table. Il doit y avoir des médicaments dans la salle de bain.

— Détrompe-toi, ma chérie, intervint Jeanne. J'ai grandi soignée avec ceci - et j'ai éduqué mes filles ainsi ! »

Adèle surprit sa grand-mère, adressant un regard reconnaissant et plein de gratitude à sa fille, ce même regard qu'elle réservait d'habitude à ses chers petits-enfants.

Karine le lui rendit avec un sourire amical, puis continua de s'affairer autour de la cheville d'Adèle.

Elle passa délicatement la plante autour de l'épiderme de sa fille, et la noua d'un noeud sec et précis.

« Ne t'appuie pas trop dessus, recommanda patiemment Karine. Mais d'ici quelques jours, il n'y aura plus rien... »

Adèle remua prudemment sa cheville emprisonnée par la plante, puis hocha la tête.

« Ça picote un peu, releva t-elle.

— Ça veut dire que c'est en train de guérir... »

***

La pluie n'avait pas l'intention de s'arrêter, ce jour-là.

Après le déjeuner, composé d'une délicieuse quiche faite-maison, Nadia, Adèle et Benjamin s'étaient réunis autour de la table basse du salon, et avaient décidé à l'unanité de sortir un jeu de société.

Il n'y avait pas des milliards de jeu auxquels ils pouvaient jouer, alors ils jouèrent aux...

« Un cheval de sorti ! » annonça fièrement Benjamin.

Tout content, il pavana son nouveau pion à travers tout le plateau, l'apportant aux yeux de ses sœurs.

« Il s'appelle Rex, déclara t-il, et il va me faire gagner !

— Rex, c'est pour les chiens, coupa Nadia d'un ton acerbe. Pas les chevaux. »

Était-ce parce que la totalité de ses pions étaient encore aux écuries ou le mauvais temps, mais Nadia était passablement énervée.

Elle attrapa d'un coup sec les dés, et les lança.

Toujours pas de six.

Nadia serra sèchement les lèvres.

« C'est pas possible, marmonna t-elle. Il doit y avoir un truc. »

Adèle commençait réellement à croire que les dés sentaient, eux aussi, l'agacement de Nadia, et qu'ils faisaient tout pour qu'elle s'énerve d'avantage.

Peut-être, après tout.

Peut-être y avait-il une divinité du jeu de société, qui veillaient sur eux, à cet instant même ?

« T'as pas de chance, souleva Benjamin. Aucun de tes chevaux ne sont sortis. »

Adèle vit Nadia se retenir d'expédier un regard noir à son petit-frère.

Au lieu de ça, elle déclara :

« Je préfère avoir de la chance dans la vie plutôt que dans ce genre de jeu. »

Elle passa les dés à Adèle.

Sept.

Nadia souffla bruyamment, voyant les chevaux verts d'Adèle sortir à leur tour, puis plaqua une main sur la table basse.

Les chevaux tremblèrent sous l'impact.

« J'en ai assez, s'écria t-elle. Je m'ennuie, pas vous ?

— Bah non... »

Nadia n'accorda pas une seconde d'intention à son petit-frère, ni à ses propos.

Elle commença à ranger les chevaux.

« Mais héééééé ! cria le petit garçon, ça-va-pas-la-tête ? »

La jeune fille le fixa quelques instants, puis laissa retomber le plateau de jeu sur la table.

« Bon, bah continuez de jouer sans moi. Le ménage, dans cette maison, ne va pas se faire tout seul. »

Sur ce, elle quitta le salon.

Les deux restèrent silencieux.

« Qu'est-ce qu'elle a ? » souffla Benjamin à voix basse, sans détacher du regard la porte où venait de disparaître Nadia.

Pour toute réponse, Adèle haussa les épaules.

« Parce que, elle n'était pas comme ça, tout à l'heure, au magasin... »

Adèle revit son visage fermé, tandis que Karine enroulait délicatement sa cheville de cette plante médicinale.

Elle était encore là, d'ailleurs. Entortillée le long de son pied.

« Bon ! déclara Benjamin. On continue ? »

Sans attendre la réponse de sa sœur, il empocha les dés de ....

Il les secoua longuement, d'un geste fébrile ; les dés s'entrechoquèrent dans un bruit de plastique.

Mais à peine eut-il le temps de les rejeter sur la table qu'un cri traversa l'air.

Adèle bondit sur ses pieds, alarmée.

Sa cheville vacilla légèrement.

« Qu'est-ce que c'est ? » fit Benjamin, dubitatif.

Adèle ne répondit pas.

Le cri se prolongeait, augmentait de volume même.

Elle traversa le salon au pas de course, et gagna le hall d'entrée.

...Ce n'était pas un cri.

C'était un bruit d'aspirateur.

Adèle resta pétrifiée sur le seuil de la cuisine.

Sa mère était là. Agenouillée sous la table de la cuisine, l'aspirateur dans la main droite, bougeant les chaises de sa main gauche.

Nadia était là, également, mais elle n'était ni stupéfaite, ni surprise, ni rien de tout cela.

Elle était en colère.

« Depuis quand tu passes l'aspirateur, toi ? » cria t-elle par-dessus le boucan de l'engin.

Karine fronça les sourcils, sans comprendre les paroles de sa fille.

Elle ratissait tranquillement le carrelage de la cuisine, et semblait plongée dans son activité.

Enfin, la mère eut l'idée ingénieuse d'éteindre l'aspirateur.

Ce dernier eut un dernier soupir avant de mourir.

« Qu'est-ce qui se passe ? demanda Karine. Un problème ?

— Je disais : depuis quand passes-tu l'aspirateur ? »

Nadia en semblait surprise, mais l'émotion qui régnait en maître sur son visage à cet instant était la colère.

Une colère Nadiaenne.

Mais pourquoi l'était-elle ? Karine ne venait-elle pas de la débarrasser d'une tâche longue et ennuyeuse ?

Que je sache, Nadia n'est pas une fan de ménage...

Ou peut-être que si.

Karine haussa les épaules.

« La cuisine avait besoin d'un petit dépoussiérage. Tu ne trouves pas ? »

Nadia s'apprêtait à répliquer sèchement.

Mais pour une raison qui échappait à tous, elle se ravisa.

Elle envoya un dernier regard enflammé à sa mère, et quitta la cuisine au pas de course.

Adèle la suivit du regard, s'écartant du seuil au passage de sa sœur.

L'escalier grinça, signe que Nadia était déjà remontée.

Karine questionna d'un regard perplexe sa fille, derrière ses rondes lunettes de métal.

« Il y a eu quelque chose ? » fit-elle.

Adèle eut un instant de réflexion.

Puis secoua négativement la tête.

« Non. »

Karine leva une dernière fois les yeux vers la porte où venait de disparaître Nadia, certainement dans l'espoir de la voir ressurgir de nouveau, calmée, et peut-être même enjouée.

Mais elle ne revint pas.

Alors, Karine redémarra l'aspirateur.

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