Chapitre 16
Lourd réveil.
Les yeux brûlants de fatigue, Adèle décolla douloureusement ses paupières l'une de l'autre, émergeant d'un sommeil profond.
Au loin, résonnait encore un bruit continu, rebondissant d'une paroi à l'autre de son crâne, à lui en donner la migraine.
La rivière.
Aussitôt qu'elle eut mis la main sur sa mémoire, son cœur accéléra la cadence.
Elle avait trouvé la première rivière - la rivière légendaire.
Adèle avait commencé son périple, à la recherche de la recette du bonheur.
... Ou pas ?
L'esprit encore ensommeillé, Adèle avait du mal à confirmer l'exactitude des évènements.
Avait-elle réellement grimpé un mur, elle pas si téméraire, pour passer dans une résidence privée ? Avait-elle réellement rencontré un jeune homme au visage si familier avec celui de son frère qu'Adèle avait manqué de l'appeler Benjamin ?
Ses souvenirs étaient beaucoup trop brumeux, et saupoudrés de tâches noires, dissimulant le reste des photos de sa mémoire.
La rivière n'avait peut-être jamais existé. Ni le jeune homme, qui ressemblait beaucoup trop à Benjamin pour être vivant.
Perturbée, Adèle commença lentement à s'habiller, la tête lourdes de questions.
Elle inversa ses chaussettes, et mit son tee-shirt à l'envers sans s'en rendre compte, et descendit les escaliers.
« Ah ! Tu es réveillée ! s'exclama Jeanne, lorsqu'elle entra dans la cuisine. Oh ! Tu as mis ton haut à l'envers, ma mignonne ! »
Adèle haussa vaguement les épaules, sans même jeter un regard vers son tee-shirt, et s'assit à table.
« Où est Benjamin ? demanda t-elle brusquement, apercevant la chaise haute vide.
— Dans le salon, je crois, avec ta sœur. Ou dans le jardin, peut-être. »
Puis elle désigna le frigidaire :
« Tu veux prendre un rapide petit-déjeuner, ou attendre le repas de midi ? »
Adèle secoua négativement la tête. Elle n'avait pas vraiment faim, sa nuit passée lui pesait sur l'estomac.
Elle se leva, et se dirigea vers le salon.
Elle n'y trouva que Karine, sa mère, qui ronflait de manière sonore sur le canapé.
Nadia et Benjamin étaient dans le jardin. Le petit garçon animait deux petits cailloux, qui, pour lui, étaient les plus grands guerriers du monde.
Adèle resta figée sur le pas de la porte, fixant Benjamin d'un œil analyseur.
Il y avait tellement peu de différences avec le garçon qu'elle avait vu hier soir...
Nadia aperçut sa petite sœur au loin, et la salua de la main.
Adèle s'approcha.
« Alors, ça va ? s'enquit Nadia.
— De quoi ? »
Nadia jeta un petit coup d'œil à Benjamin, s'assurant qu'il ne faisait pas de bêtises.
« Bah, tu n'arrivais pas à dormir, hier soir... je me trompe ? »
Il y eut un déclic dans l'esprit d'Adèle.
Le moment où elle était allée dans la chambre de Nadia, et où celle-ci lui avait proposé d'aller faire un tour dehors...
« Tu m'avais proposé d'aller me balader ? interrogea Adèle.
— Euh... oui, je crois.
— Et j'y suis allée, ou pas ? »
Nadia fronça les sourcils.
« Mais je n'en sais rien !... Oui, peut-être, puisque j'ai entendu la porte claquer... Mais pourquoi ? »
Adèle se sentait soudainement pleine d'une énergie nouvelle.
Non, ce qui s'était déroulé n'était pas un futile rêve, fruit de son imagination : la rivière existait bel et bien !
« Rien ! C'est que, comme j'étais fatiguée... Bah voilà. »
Nadia fronça d'avantage les sourcils.
« ... Tu sais, tu avais vraiment l'air totalement paniquée, quand tu as déboulé dans ma chambre. »
Oh oui, ça, Adèle s'en souvenait parfaitement. Elle se revoyait, cherchant le bouton de la lampe, la faisant tomber par terre, puis s'affoler...
La nuit, toutes les émotions semblaient être décuplées par dix, chez elle. Elle ne comprenait même plus la cause de sa soudaine angoisse — peut-être même ne l'avait-elle jamais comprise ?
Nadia ne rajouta rien, et reporta son attention sur Benjamin, dont les cailloux débutaient un duel singulier féroce.
« Vous voulez faire quoi, aujourd'hui ? » questionna Nadia.
Benjamin soupira, et rejeta ses cailloux dans l'herbe :
« Je ne sais pas ! On rentre quand ? »
En toute réponse, Nadia lui caressa les cheveux d'un air tendre.
***
Comment se débarrasser de sa famille, en quelques méthodes simples.
D'abord, prenez une grand-mère, Jeanne de préférence, qui doit aller faire ses courses en ville.
« Qui vient avec moi ? » doit-elle demander.
Incorporez un petit bambin de cinq ans excité, ainsi que sa sœur, mûre et protectrice, qui accepterons l'invitation.
Retirez une mère, fatiguée, qui doit aller se reposer.
C'est comme cela que, cet après-midi-là, Adèle s'était retrouvée presque seule à la maison — avec sa mère, certes, mais profondément endormie.
Les aiguilles de son réveil avançaient lentement, et Adèle commençait à regretter son choix amèrement.
Elle qui voulait rester un peu à la maison, se détendre, réfléchir à la nuit passée... Elle se rendait compte que ses pensées étaient ennuyantes, ou du moins pas assez intéressantes pour les écouter parler durant une heure entière.
Si je prends mon vélo, se dit-elle, et que je fais mon plus gros effort pour arriver au centre-ville le plus vite que possible. Est-ce que je pourrais rejoindre Nadia, Benjamin et mamie ?
Oui, tout était possible.
Et puis, ils n'étaient pas partis il y a si longtemps que cela...
Elle se leva, et quitta sa chambre.
Elle passa prudemment devant celle de sa mère, dont la porte était légèrement entrouverte. Un petit ronflement s'en échappait, régulier et paisible.
Adèle descendit doucement les escaliers, choisissant avec précaution les endroits où elle poserait les pieds.
Une fois dans le jardin, elle s'empara de sa bicyclette, et, d'un coup de pied méthodique, remonta la pédale.
Elle grimpa sur la selle, et s'engagea sur la route.
Où peuvent-ils bien faire leur course ? À l'épicerie ? Ou dans une grande surface ?
Adèle ne pédalait pas qu'avec les pieds : dans sa tête également, un flot de pensées se bousculaient, si bien qu'elle ne se vit pas prendre à droite, au lieu de continuer la route.
Elle se retrouva soudainement sur un sentier de terre, bordé de fougères et d'arbres touffus.
Devant elle, se dressait un mur de pierres...
Elle posa son vélo à terre, et s'approcha du mur.
Allait-elle l'escalader ?...
Non, pas cette fois.
Elle longea le mur, à la recherche d'une porte, d'un portail peut-être, ou juste une entrée.
Si c'est une maison, il y a forcément un passage...
Les branches d'arbres la retenaient par le tee-shirt, comme s'ils lui soufflaient :
« N'y vas pas ! N'y vas pas ! »
Amusée, Adèle les défia du regard, avant de continuer sa route.
Lorsque le mur tournait, elle tourna aussi.
Elle tourna trois fois.
À la troisième, elle vit au loin enfin un portail, de fer forgé, grand ouvert.
Les gongs étaient tellement endommagés par la pluie qu'Adèle devina rapidement que cela faisait longtemps que ce portail n'avait pas été fermé.
Mais personne ne rentrait ?...
Intimidée, elle dévisagea le jardin d'herbes sèches, sous le nouvel angle qu'était le sien.
Elle découvrit à quel point ce jardin était gigantesque. Un véritable parc, qu'un enfant aurait tout simplement adoré.
Adèle eut une courte pensée pour Benjamin, soudain remplacée par ce garçon, qui s'était assise à côté d'elle, cette nuit-là, et possédait les mêmes yeux...
Elle fit un pas dans le jardin.
Puis un second.
Alors que son esprit lui interdisait de continuer, elle posa un troisième, puis un quatrième, et un cinquième, et pourquoi pas un sixième ?...
Arrête Adèle, ce n'est pas chez toi...
Elle traversa une grande partie du jardin ainsi.
Le soleil se reflétait dans les herbes safrans, et ces dernières exhalaient la chaleur reçue.
Des petits grillons chantaient à droite à gauche, saluant l'arrivée d'Adèle.
Et enfin, elle arriva au pied des marches menant au perron de cette étrange demeure.
Elle aussi, était imposante. Contrastant avec la pelouse sèche qui l'entourait, elle possédait un charme à la fois luxueux et à la fois simple.
Adèle gravit consciemment les marches, et arriva à la porte.
Là, elle hésita, de nouveau.
Puis elle frappa.
Il y eut un roulement de quelque chose, derrière la porte, puis des éclats de voix, et quelques soupirs, aussi.
Soudain, la poignée tourna, et la porte s'ouvrit sur un homme, dont une partie des cheveux manquaient sur son crâne.
Adèle eut un mouvement de recul.
Je ne le connais pas, ce type.
« Oui ? » fit-il d'une voix impatiente.
Adèle entrouvrit la bouche.
Un simple filet d'air réussit à sortir de sa gorge nouée.
« Euh... je... »
Le vieil homme la pressa du regard.
« Je... euh... »
Ses épaules s'affaissèrent, d'un air presque déçu.
« De la pub ? » devina t-il.
Adèle secoua négativement la tête, puis, rassemblant ses mots et sa salive, prononça timidement :
« Est-ce que vous avez... un fils ? »
Les épais sourcils blancs du vieux se froncèrent.
« Un fils ? Oui, j'ai bien un fils...
— Ou un petit-fils, plutôt, dit précipitamment Adèle, après réflexion. Euh... plutôt grand... des cheveux... sombres, avec des yeux noisettes... »
Elle justifia chacun de ses propos par de petites mimiques indicatives et nerveuses.
Elle vit l'homme secouer négativement la tête.
« Non, désolé. Ici, la plupart des têtes sont blondes, les seules dérobant à la règle étant rousses. Mais il s'agit de mes deux petites-filles, et vous cherchez un garçon, hum ? »
Le sang monta brusquement aux joues d'Adèle, qui acquiesça vigoureusement la tête, pressée d'en finir.
« Vous l'avez peut-être déjà aperçu ?...
— Navré, je ne sors jamais de chez moi. »
Cela concluait tout.
Il n'y avait plus de question à poser : cet homme ne le connaissait pas, et ne le connaîtrait jamais, puisqu'il ne sortait jamais de chez lui.
Adèle était terriblement déçue. Il n'y avait plus rien à creuser, plus rien pour entretenir son espoir.
« Bon, eh bien, tant pis... »
Elle se détourna lentement.
Peut-être l'homme allait-il soudain s'exclamer :
« Peut-être parlez-vous de ce jeune homme, que j'ai aperçu il n'y a pas longtemps... »
Mais il se contenta de claquer la porte.
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