Chapitre 15
Il y avait une cascade.
L'eau rebondissait souplement sur les roches claires, avant de se jeter dans une rivière, en contre-bas.
Quelques plantes dévoraient les pierres, d'un vert profond sous cette lumière lunaire.
Adèle était d'abord interloquée.
Stupéfaite d'être tombée ici, par une succession de hasard et d'instinct.
Puis, lentement, elle s'assit.
Elle ramena timidement ses jambes vers elle, les croisant en tailleur, posant ses mains à plat entre les sombres herbes humides.
Elle buvait des yeux cette énorme spectre d'azur, gondolant contre la roche dans un énorme bruit d'étoffe, comme si des millions et des millions de personnes secouaient au même instant la plus pure des soies.
Il y avait un peu d'écume — pouvait-elle appeler cela ainsi ? — qui pétillait aux bords de la chute, une mousse couronnant le champagne.
La cascade ne tombait pas seulement dans la rivière : elle tombait dans le cœur d'Adèle, l'emplissait, l'alimentait de manière continue, si bien qu'elle en jura de n'avoir jamais sentit son cœur en un seul et solide morceau.
L'aura de cet endroit n'avait de qualificatif qui ne lui était propre ; c'était si personnel qu'Adèle n'osait même pas fouiller dans son esprit pour lui poser une définition.
« Et, lorsqu'il revint, il jura avoir trouvé ces trois fabuleuses rivières, qui l'avaient guéri de son mal... »
La légende disait-elle donc vrai ?
Les rivières cachées de Trois-Rivières soignaient donc l'âme ?
Sans en connaître la raison, Adèle se sentait aussi pacifique, et aussi calme que l'eau qui coulait.
Son cauchemar ainsi que son réveil soudain était très loin dans son esprit. Toutes questions avaient trouvées réponses appropriées, et les seules qui demeuraient en suspends ne la dérangeaient plus tant que cela désormais.
Alors c'était officiel : Adèle devait se mettre à la recherche des deux autres rivières.
Celles qui allaient soigner son esprit pour de bon.
Bercée, la jeune fille osa laisser pendre ses jambes le long de la paroi rocheuse.
Parfois, quelques petites gouttelettes en provenance de la cascade sautaient, et effleuraient ses mollets nus.
Alors, son épiderme s'ébrouait, transpercé d'un doux frisson.
Ce n'était pas parfait.
C'était plus simple, et ainsi, plus limpide à comprendre.
« C'est beau, n'est-ce pas ? »
Adèle sursauta, refaisant surface.
Elle ramena ses jambes à la terre ferme, et braqua un regard alarmé autour d'elle.
Elle n'en crut pas ses yeux.
Le garçon qu'elle avait devant elle pouvait être Benjamin, avec quelques années en plus. Des yeux bruns, des cheveux sombres, un petit visage évasé...
Elle se retint de souffler le prénom de son petit-frère : la voix de ce jeune homme ne pouvait lui appartenir.
L'inconnu lui adressa un sourire — identique à celui de Benjamin —, avant de s'asseoir à ses côtés.
Adèle se décala légèrement, un peu agacée de sa subite venue en ces lieux.
Ne pouvait-elle pas être seule, face à cette cascade, dans le paisible silence de la nuit ?
C'est peut-être celui qui habite la maison du champ... Et si ça se trouve, il vient me chercher, parce que j'ai saccagé quelque chose en passant...
À cette idée, elle sentit son cœur battre plus fort, et des sueurs froides lui couler le long de la nuque.
Pourtant, l'inconnu ne semblait absolument pas lui vouloir de mal. Il regardait le paysage, avec une petite lueur amusée dans ses yeux — encore une fois, la même que Benjamin.
Se pouvait-il...
« Comment vous appelez-vous ? » souffla timidement Adèle.
Le jeune homme se détourna vers Adèle, et lui adressa un sourire malicieux.
« Je ne sais pas trop, en fait. Appelle-moi comme tu veux. Guillaume, Baptiste, Benjamin !... »
Adèle sursauta à l'entente du dernier prénom.
Le garçon sourit de nouveau :
« Tu veux m'appeler Benjamin ? »
Adèle détourna le regard.
Combien de fois on lui avait répété de ne pas parler aux inconnus ?
Et combien tant voulait-elle dérober à la règle, juste ce soir-là ?
L'atmosphère de l'endroit engourdissait ses sens, et semblait effacer les principes qu'Adèle avait toujours eu.
Alors elle se tut.
Mais l'inconnu n'insista pas.
Il recommença à observer le paysage.
...Quel âge pouvait-il bien avoir ?
En même temps, voulait-elle vraiment le savoir ?
Elle commença doucement à se relever, murmurant du bout des lèvres :
« J'y vais. »
Ça ne sert à rien, de dire ça à voix haute...
Mais l'inconnu l'avait entendue. Il sourit :
« Pas de soucis. Tu reviens quand tu veux.
— Vous... vous habitez ici ? osa enfin demander Adèle.
— En quelques sortes, oui. »
L'éclat de ses prunelles n'étaient que trop familier.
Des milliards de questions lui brûlaient le palais, mais Adèle n'osait pas, soit ne voulait pas les poser.
La jeune fille tourna le dos à la rivière, avec grands regrets.
Mais alors qu'elle s'apprêtait à s'engager dans la forêt, elle se détourna :
« Connaissez-vous la légende de Trois-Rivières ? »
Le garçon se détourna à son tour :
« La légende de Trois-Rivières ? Bien sûr que je la connais.
— Vous savez où sont les deux autres rivières ? » fit Adèle, pleine d'espoir.
D'un air amusé, le jeune homme observait Adèle, d'un regard pétillant de malice.
« S'il vous plaît ! s'écria Adèle. Benjamin—! »
Ses cordes vocales se tordirent, quand elle entendit le nom de son petit-frère sortir.
L'éclat joyeux de l'inconnu grandit encore.
Apeurée, Adèle tourna les talons, et s'éloigna pour de bon.
***
Elle eut un peu de mal à retrouver son chemin, mais elle finit par tomber sur un sentier de terre, la ramenant à un mur de pierres — le jardin d'herbes sèches.
Elle le franchit sans difficulté, encore un peu sonnée par sa rencontre.
Il doit habiter là-bas.
Son regard se perdit vers l'espèce de manoir de campagne, dont les dernières fenêtres s'étaient éteintes.
C'était forcément lui, qui avait ouvert la porte, tout à l'heure, ce grincement qui l'avait paniqué. Il avait vu Adèle, avait décidé de la suivre, juste pour voir ce qu'elle traficotait dans son jardin.
Mais quel âge avait-il ?
Adèle ne pouvait lui en donner. Il semblait jeune... Très jeune, mais à la fois emprunt d'une maturité inattendue.
Une maturité amusée, comme si ce garçon défiait les lois de la vie avec malice, sans toute fois leur manquer de respect.
Il ressemblait tant à Benjamin.
Adèle retrouva la route écaillée sans trop y penser. Elle remonta le béton, et tourna vers la maison de sa grand-mère.
L'éclat de la rivière était loin derrière elle, mais elle était déterminée à retrouver les deux dernières, qui, selon la légende, lui assurerait un mental parfait.
N'est-ce pas ?
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