Chapitre 10

Quelques dizaines de minutes plus tard, tout le monde était attablé dans la cuisine : Benjamin avait son fidèle bavoir autour du cou, Nadia et Adèle étaient propres, et Jeanne servait fièrement le plat du jour : des moules !

« Je les ai achetées ce matin, expliqua t-elle, tout en transvasant les moules de leur casserole à un bol un peu plus respectable. Elles vont être délicieuses !

— Où est maman ? interrogea subitement Nadia, remarquant que la chaise en face d'elle était vide.

— Elle arrive, répondit Jeanne. Il paraît qu'elle a une surprise ! »

Adèle vit Nadia grimacer.

Jeanne jeta un œil à sa montre, légèrement agacée.

« Mais que fait-elle ? marmonna t-elle, voyant que les aiguilles tournaient bien plus vite qu'elle ne l'aurait cru. Elle s'est endormie ou bien ?...

— Tu veux que j'aille la cherc... »

Nadia n'eut le temps de terminer sa phrase que la porte de la cuisine manqua de s'envoler de ses gongs :

« Me voici ! »

Adèle n'en crut pas ses yeux.

Sa mère se tenait là, resplendissante, dans une simple, mais très élégante tenue, qui changeait de ses larges vêtements qu'elle avait pris l'habitude de mettre.

Ses beaux cheveux blonds avaient enfin été coiffés, et retombaient souplement sur ses épaules, revigorant de santé.

Aussitôt, un large sourire tira les lèvres de chacun. Même Benjamin eut un petit rire joyeux.

« Wouah, maman, tu es magnifique ! » s'exclama Adèle.

C'était vrai.

Karine prit une petite pose faussement enjôleuse, avant d'adresser un mignon petit clin d'œil à sa fille.

« Eh bien, Karine !... souffla Jeanne, impressionnée. Que nous vaut cette belle tenue ?

— Vous n'allez pas me croire... »

Elle s'installa tranquillement à table, en face de son assiette, ménageant un suspense insoutenable.

Tout les regards de la pièce étaient braqués sur elle.

Adèle plissait les yeux, essayant de lire dans l'expression de sa mère.

« Oh, tu as fait des moules, maman ? fit Karine, se penchant vers le saladier. Super, j'adore ça !

— Arrête de nous faire languir, veux-tu ! rigola Jeanne. Que se passe t-il ? »

Un nouveau boulot, pensa Adèle. Maman a trouvé un nouveau boulot.

C'était évident. D'où cette tenue sophistiquée, ce soudain arrangement capillaire, et cette euphorie.

Elle revenait d'un entretien, et peut-être venait-elle de trouver du travail...

« Mes enfants, j'ai vendu l'appartement ! »

***

Cette annonce eut l'effet d'une bombe.

Tétanisée, Adèle était allongée sur son lit, raide comme un bâton, les yeux fermés.

Elle revoyait Nadia, bondir de sa chaise, tout en poussant un cri de rage.

« C'est ça que tu veux ?! avait-elle hurlé. Tu veux faire du mal à tout le monde, hein ? Tu n'aimes que ta petite personne ! »

« Tu ne crois pas que mamie en a marre de toi ? De nous ? »

À cet instant, tout les regards s'étaient tournés vers Jeanne.

Blanche comme un linge, effondrée sur sa chaise, elle ne savait plus qui regarder ; alors, elle fixait son malheureux saladier de moules, dont la fumée commençait à s'évaporer.

Karine avait tapé du poing sur la table. Benjamin avait pleuré.

Et Adèle avait observé, sans savoir quel parti prendre.

Elle n'en revenait toujours pas.

Maman a réellement vendu notre maison ?

Elle revoyait ce petit appartement, au troisième étage de leur immeuble... Son petit hall, son salon moderne, sa chambre...

Avait-elle vendu tout les meubles avec ? S'était-elle débarrassée de tout ses objets, de tout ses souvenirs ?

Tout d'un coup, Adèle sentit une partie d'elle-même fondre.

Fondre dans le néant.

Pourquoi avait-elle fait ça ?

Qu'allaient-ils devenir ?

Allaient-ils réellement habiter cette maison toute leur vie ?

Elle qui cochait chaque jour son calendrier, en espérant que leur retour était proche...

Adèle posa une main sur sa paupière humide, frottant délicatement les larmes naissantes.

Sa mère venait de couper les ponts avec son passé.

Et, par conséquent, le leur.

Soudain, Adèle eut envie de hurler.

Une violente fureur étreignit ses poumons, et, en moins d'un instant, elle jeta son poing contre la lampe de chevet.

Cette dernière tomba, roula, et tomba au sol. L'abat-jour se tordit, le fil s'emmêla.

Et, à côté de cette lampe de chevet, dormait paisiblement Mille secrets à Trois-Rivières.

Et, lorsqu'il revint, il jura avoir trouvé ces trois fabuleuses rivières, qui l'avaient guéri de son mal.

Adèle se redressa.

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