Chapitre 1
« Adèle ! »
Assise sur son vélo, le regard perdu dans le champs de tournesols, une jeune fille aux cheveux châtains se tenait là, dans l'allée de graviers traversant le champ.
« Adèle, c'est pas drôle, il est temps de rentrer !
— Roh, mais c'est bon, j'ai bientôt terminé ! »
Une petite tête pourvue d'une chevelure semblable à la précédente émergea parmi les nombreux tournesols. Ces derniers ondulèrent, comme l'aurait fait de l'eau au contact d'un corps.
La jeune fille aux yeux bleus brandit au-dessus de sa tête une de ces fleurs du Soleil, dont les racines pendaient le long de sa tige.
« C'est bon, j'ai réussi à le cueillir ! s'exclama Adèle.
— Bon, parfait, reviens vite alors. Il est super tard. »
Adèle leva le nez vers ciel.
Le Soleil commençait doucement à disparaître derrière la mer de tournesols, colorant le ciel d'orange et de rose.
Elle se fraya un chemin entre les hautes plantes du champ, et rejoignit sa grande sœur, qui avait déjà enfourché son vélo.
« Allez, dépêche-toi, ordonna Nadia, remontant sa pédale du pied. Mamie nous attend. Et Benjamin aussi.
— Et maman. »
Nadia ne répondit pas : elle s'élança à travers l'allée de graviers, les petits cailloux crissant sous ses pneus.
Adèle soupira. Elle coupa la longue tige du tournesol, et le déposa soigneusement dans son porte-bagage, avant de pédaler à toute vitesse vers sa grande-sœur, qui, déjà, n'était qu'un point dans l'horizon estival.
***
Leur grand-mère adorait les tournesols.
Et pour cause : elle avait grandi avec toute sa vie.
Alors, lorsqu'elle vit ses deux petites-filles revenir les bras chargés de ces précieuses fleurs, son visage se fendit en un sourire tellement lumineux qu'il rivalisait avec les tournesols.
« Oh, merci Nadia, merci Adèle ! s'exclama t-elle, déposant une grosse bise sonore sur les joues de chacune. Vous êtes adorables ! »
Adèle sourit.
Elle savait que sa grand-mère lui pardonnerait bien quelques minutes de retard si elle lui ramenait des tournesols.
« Où est maman ? » questionna Nadia.
Jeanne haussa les épaules, avant de s'engouffrer à petits pas rapides dans la cuisine, les tournesols dans les main, un sourire malicieux aux lèvres, comme une enfant ayant reçu un nouveau cadeau.
Nadia soupira d'exaspération, se tournant vivement vers sa jeune sœur :
« Je suis persuadée qu'elle fait des trucs futiles, alors que mamie se tape tout le boulot de la maison. »
C'était même évident : depuis la pièce principale, on pouvait entendre la vieille télé du salon crachoter une émission policière.
Et Adèle ne pensait pas que leur petit-frère Benjamin de trois ans s'amusait à regarder ça.
Nadia soupira une seconde fois, puis se précipita dans le salon.
Adèle, restée seule dans le hall d'entrée, se balança d'un pied sur l'autre, le regard dans le vague.
« Maman, réprimandait la voix lointaine de Nadia, couverte par les dialogues et répliques de la série, arrête de regarder ce genre de trucs, mamie a besoin de toi pour mettre le couvert. »
Une autre voix répondit, adulte, mais pourtant pâteuse et sans entrain :
« J'ai déjà mis la table.
— Maman ! Peu importe que tu aies mis la table ou pas, éteins-moi ça ! Tu pourrais aller aider à cuisiner le repas ! »
Un grognement sonore s'échappa du salon.
Nadia allait lutter encore longtemps, Adèle le savait.
Elle s'assit dans les marches de l'escaliers en bois montant contre le mur, pensive.
« Ça va, Adèle ? »
La jeune fille tressaillit en entendant la vieille voix de sa grand-mère. Cette dernière était là, dans le hall, un grand et beau vase dans les mains, les quelques tournesols baignant à l'intérieur.
Adèle secoua la tête :
« Oui oui, tout va bien, t'inquiète. Tu veux de l'aide ?
— Oh, non, ne t'en fait pas ! »
Et sa mamie intrépide disparut à nouveau dans la cuisine, d'où il commençait à s'échapper une délicieuse odeur de fromage fondu.
Mmmmmh... des croques-monsieurs !
Celui qui savait les faire comme personne, c'était son père.
Son père.
Un homme droit, carré, rectangle, triangle, bien défini, dont on peut facilement calculer le périmètre et son intérieur, même si, tel un cercle, il restait parfois incertain.
Adèle posa sa tête dans ses mains.
Le reverrait-elle un jour ?
Ils avaient divorcé en mai de cette année. Puis il y avait eu cet étrange mois de juin, où tout deux avaient pourtant cohabité, bien que les liens du mariage ne les liaient plus désormais.
Ils s'ignoraient. C'était simple, en vérité : l'un d'eux n'était jamais là, et l'autre l'était sans l'être ; sa mère était revenue dans un monde qu'elle semblait avoir délaissé étant enfant.
Leur mère avait un plan, et ce fut le dernier projet qu'elle entreprit : passer de longues, grandes, reposantes, paisibles vacances loin de leur petit appartement familial, coincé entre deux rues, sous le ciel besogne de la capitale.
Elle avait fait ses cartons, ses bagages, et, embarquant ses deux filles et son petit-dernier avec elle, elle était revenue sur ses terres d'enfances, dans la maison de sa propre mère, Jeanne.
Et ils étaient là.
Adèle cligna des yeux.
Se remémorer les derniers mois lui donnait toujours le vertige. Elle posa une main sur son front, où une migraine commençait à s'installer.
« À table ! »
Dans une drôle de démarche un peu vaseuse, Adèle déplaça son corps jusqu'à la cuisine, où tout le monde, sauf sa mère, était déjà attablé.
« Karine n'a pas faim », expliqua Jeanne, déposant un croque-monsieur dans chaque assiette présente sur la table de bois.
Nadia avait les yeux furibonds, ceux qu'elle avait à chaque fois qu'elle se disputait avec sa mère. Elle attaqua d'un geste stratégique son croque-monsieur, laissant s'échapper du fromage une longue fumée chaude.
Benjamin, emprisonné dans sa chaise haute, un bavoir autour du cou, mangeait d'un air amusé la bouillie qui lui servait de repas ce soir-là.
Quant à Adèle, elle s'assit sur la chaise de paille, et contempla d'un œil peu appâté le carré de pain fumant dans son assiette.
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