Trois lunes avant la fin

Electre. C'est le prénom que mes parents m'ont donné à la fin de l'accouchement, ce neuf avril deux mille quatre. Mon père a tout de suite pensé à une étoile lorsqu'il a vu mon visage pour la première fois. Je me suis toujours demandée pourquoi... Mais j'ai laissé mon interrogation dans un coin de mes pensées. Avant leur séparation, ils m'avaient expliqués qu'Electre signifiait « étoile brillante ». Un prénom très original, mais qui m'a toujours beaucoup plu.

L'église sonne minuit, et aujourd'hui, j'ai seize ans. Ma mère dort profondément dans sa chambre d'un blanc immaculé. Je reste éveillée, assise sur le rebord de mon lit en bois massif, à regarder par la fenêtre le village inanimé et les constellations qui dorent le ciel bleu nuit. Quelques lampadaires brillent le long de la petite route cendrée...

Le matin même, alors que je me lève pour petit-déjeuner dans la pièce principale, ma mère m'aperçois immédiatement. Elle est souriante, assise sur la longue chaise du bar, une tasse de café fumant dans ses mains. Elle me souhaite de tout cœur une belle journée d'anniversaire puis m'invite à m'asseoir à côté d'elle pour déguster des agapes*. J'avalais de nombreuses viennoiseries encore tièdes qu'elle avait préparées pour l'occasion, au feuilletage croustillant et doré.

Après que mon appétit eût totalement disparu, ma mère me tendis une carte vert émeraude, avec au dos une inscription « seize ans déjà, j'espère que ce cadeau te plaira » écrit à la main au stylo coloré, avec une magnifique calligraphie en écriture liée. Je dépliais la feuille de papier clair que contenait la lettre et la lu en sa totalité. Je découvris, émue, que ma génitrice m'offrais des vacances dans un petit camping près de la mer, près d'Oléron. Je la remerciais, touchée par son action et la serrais fort dans mes bras. Comme chaque année, son cadeau était dispendieux*, ce qui me faisait ressentir une sensation de gêne, toujours mêlé à une joie intense.
Le voyage était prévu dans une semaine précise, me laissant tout juste le temps de préparer mes affaires tranquillement pour le voyage.

Sept jours s'écoulèrent quand nous fûmes prêtes à partir de la maison. Je déposai mon dernier bagage à l'intérieur du coffre et nous partîmes en direction du camping. La route me semblait courte étant donné que je m'occupais à écouter de la musique de mon groupe de rock favori « kcor62 », une playlist préparée à la maison et que j'écoutai en boucle.
Une vague de joie m'envahit lorsque je levais la tête et j'aperçus au loin le panneau qui indiquait l'entrée du camping concerné.

La voiture s'introduit dans l'enceinte de celui-ci et nous dirigeâmes vers l'accueil pour signaler notre arrivée. Je fis ensuite le tour du camping à pied avec ma génitrice pour repérer les sanitaires.
Peu de personnes avaient choisies ce camping puisque la moitié des emplacements étaient vides mais je n'y prêtai pas attention.
Nous retournâmes sur notre emplacement et installions nos affaires dans la chaleur étouffante de la tente, fatigués après le trajet que nous avions parcourus pour venir ici.

Le lendemain, je me réveillais à l'aube, alors qu'il faisait encore un peu frais dehors et que les lotissements laissaient paraître le plus grand des silences. Je petit déjeuna sur la table dépliante que nous avions emportés pour le séjour. Je partis aux sanitaires collectifs immédiatement après mon repas copieux, mes vêtements et le nécessaire pour ma toilette dans mes mains alors que ma génitrice venait tout juste de se réveiller.

Pendant qu'elle termina de se préparer, je partis me balader dans le camping à pied, à la recherche d'adolescents de mon âge pour sympathiser et passer du temps avec eux durant mon séjour.

Sur mon chemin, trois enfants en tenue légère jouaient par terre avec des cailloux à la couleur d'étain oxydé*, accroupis à gauche du petit chemin principal du camping. Ils construisaient un mont de graviers fins, laissant autour d'eux un nuage de poussière.

Une jeune fille de grande taille à la chevelure bouclée sortis de nulle part. Ses yeux pers* attirèrent immédiatement mon intention.
Elle semblait avoir dix-sept ans et s'approcha des « gosses » puis leur dit d'un ton ferme de cesser leur action et rejoindre leur tente, elle semblait en colère. Les petits, souillés, observèrent l'adolescente avec un regard triste et s'éclipsèrent, laissant derrière eux le tas de cailloux entouré de terre poussiéreuse. Elle se dirigea vers moi, le visage neutre et se présenta.

Celle-ci s'appelait Destiny et elle habitait dans le centre de la France, au sud d'Auxerre dans un petit village isolé. Sa tente en toile se trouvait à proximité de la nôtre, vingt mètres plus loin ce qui rendait nos déplacements plus rapides.

Destiny me parlait de son lycée, mais aussi de ses amis et de sa passion pour les livres anciens qu'elle collectionnait dans une grande bibliothèque antique. Sa vie personnelle restait au retrait, le sujet étant sans doute un tabou pour la jeune fille. Lorsque je lui posais des questions sur sa famille ou ce qu'elle faisait, elle échappait mystérieusement à la discussion. Je décidais donc de ne pas insister sur ce sujet nébuleux* et de respecter son choix.

Destiny venait me voir tous les jours et je passais le plus clair de mon temps avec elle. La troisième matinée de mes vacances, je me réveillais et sortis prendre un chocolat chaud sur la petite table devant ma tente dès mon réveil. Les yeux encore mis clos et vêtue d'une chemise de nuit bleu roi ou était dessiné un loup-garou, je restais à table à regarder paisiblement le soleil s'élever dans le ciel et éclairer mon visage, la tasse entre mes mains.

Une drôle d'odeur entra dans mes narines, me piquant le nez. Écœurée, je fronçais les sourcils et compris la seconde suivante qu'il s'agissait de l'odeur de la fumée du cannabis... Je me levais et regardait autour de moi mais je ne vis personne dans mon champ de vision en fumer. La prise de stupéfiants était strictement interdite et illégale, étant donné ses effets très néfastes pour la santé et les effets secondaires qu'ils provoquaient mais également dangereux pour la société. Je décidais de ne pas rester à proximité de l'odeur désagréable et entra dans notre tente, en refermant l'ouverture rapidement derrière moi. En tirant sur la fermeture de celle-ci, je réveillai involontairement ma mère qui remuait dans son drap, les yeux encore clos.

Elle leva sa tête et me salua, alors que celle-ci était encore bordée. Je lui répondis en retour, m'excusais de l'avoir sortie du sommeil puis lui expliquait la raison pour laquelle j'avais refermé la tente. Elle se leva pour sortir dehors afin de me confirmer qu'il s'agissait de stupéfiants mais à ce moment, l'odeur avait déjà entièrement disparue...

Après avoir pris une douche tiède, j'attendis Destiny près de chez moi comme chaque matin mais elle ne vint pas. Après de longues minutes, je me levais et partis la chercher devant chez elle. La tente était entièrement close et je constatai que l'odeur du cannabis était présente autour de celle-ci, sans doute incrustée dans la toile qui cachait leur lieu d'intimité.

J'aperçus des mouvements humains à travers la toile de son logis et entendus une voix masculine chanter très discrètement en Anglais. Je vis devant celui-ci, une seconde silhouette au sol, semblable à un homme, allongé sur le dos mais entièrement immobile.
Pleine de questionnements, je fis demi-tour et repartis auprès de ma mère.
L'odeur que j'avais sentie à plusieurs reprises provenait-elle de la tente de Destiny ?
De qui provenait cette silhouette et pourquoi était-elle immobile sur le sol ?
Je ne parvint pas à trouver un réponse à ces questions...

La quatrième matinée au camping se montrait ensoleillée. Pleine d'énergie au lever du soleil et déjà vêtue, je retournais auprès du logement de Destiny. En arrivant au pas vers son logis en toile, elle sortis immédiatement de celui-ci et marcha vers moi le visage fermé. Je l'entraînais avec moi pour me balader calmement dans toute la zone du camping.

          Je lui demandais ainsi pourquoi elle n'était pas présente le jour précédent.
Elle se tut une dizaine de secondes avant de finalement me répondre mystérieusement qu'elle était « occupée » et que cela ne me regardait pas, sur un ton peu ferme. Elle me dis aussi de ne pas m'approcher de sa tente — en insistant — et qu'elle me rejoindrai devant mon foyer précaire. Par politesse, je ne lui posais plus de questions sur son absence mystérieuse, malgré ce dont j'avais été témoin sur le lieu en question, jadis.

           C'était plus fort que moi... Il me fallait découvrir ce que cette mystérieuse fille cachait dans son logis en toile couleur crème. Je savais pourtant que c'était mal de me préoccuper de sa vie privée sans son accord mais la curiosité passait au-dessus de tout...

          Un soir, alors que le camping était plongé dans l'obscurité et que je ne trouvais pas le sommeil, je sortis de mon duvet noir encore chaud de la chaleur corporelle. Je me tournais dans le silence et l'obscurité vers ma mère qui se trouvait allongée. Ma génitrice était plongée dans le plus profond des sommeils. Je m'éclipsais de mon foyer précaire et partis espionner ce qui se passait chez Destiny...
Je marchais discrètement dans la nuit, sentant l'air frais frôler ma peau lisse sur les zones dénudées de mon corps, me faisant ressentir de léger frissons.

          En arrivant à quelques mètres de sa tente, je m'arrêtais net, mes yeux s'écarquillèrent et ma curiosité devint complètement incontrôlable. Mon cœur se mis à battre un peu plus fort chaque seconde. Devant moi, à travers la tente, je reconnu distinctement la silhouette de Destiny. La jeune fille se comportait comme une créature, faisant des mouvements étranges avec ses bras. Elle portait un long vêtement sobre en tissu, accroché au-dessus de ses épaules, qui lui tombait jusqu'en dessous des tibias. Elle portait un chapeau si peu commun que je n'avais jamais vu quelqu'un en porter un tel que celui-ci. La jeune fille ne portait pas de chaussures, ses pieds restaient nus contre le sol.

Par terre, j'aperçus l'ombre immobile de la même silhouette masculine que j'avais pu voir le matin précédent. Destiny chantait avec une voix étrangement grave — ce qui n'est pas de son origine — et menaçante. Comme si la langue n'existait pas vraiment... Un mélange peu commun de français, d'anglais mais aussi d'un autre langage qui m'étais totalement inconnue. C'est à l'instant plus tard que je compris l'une des centaines de phrases qu'elle murmurait. Une phrase totalement compréhensible, dans une seule langue. Mais une phrase qui me coupa le souffle.

« In three moons, I will kill the person that he will know my secret »
~ Dans trois lunes, je tuerai la prochaine personne qui saura mon secret ~

Puis elle ajouta quelques secondes plus tard : « Je vais bientôt savoir qui sera la prochaine personne de la liste... Je la sens-là, tout près de moi... Ooooh dieu j'obéirai ! Ooooh père, je le sais ! »

Elle s'accroupit au sol devant la silhouette masculine, immobile et allongée sur le sol. Elle baissa le tête et murmura pleine de haine et de cruauté: « elle finira comme toi Greg Guillotin*. Bientôt possédé de ma haute puissance ! »

Mon cœur ne faisait que des bonds monstrueux dans ma poitrine depuis l'instant même où elle avait murmuré cette phrase en anglais me concernant.
Mon visage laissa une large expression de stupeur. Mes jambes s'immobilisèrent d'épouvante.
Son secret... Je venais de découvrir son secret... Destiny faisait partie d'une secte très dangereuse. L'homme allongé sur le sol n'était autre qu'un individu a qui elle prenait possession de son âme. L'homme semblait inconscient... Mais ce que je craignait le plus, c'est que j'allais subir le même sort.

Que faisait-il ici ? Peut-être était-il venu en vacances ? Ou alors avait-il tenté de piéger Destiny ? J'ignorais la raison pour laquelle il se trouvait ici mais la scène dont je venais d'être témoin était grave... Terrorisée, je partis en courant essoufflée et le visage trempé de sueur en direction de ma tente. Je regardais derrière moi si Destiny ne me suivait pas et, ne voyant personne, je refermais immédiatement la fermeture de mon foyer en toile.

Je restais éveillée cette nuit-là, à réfléchir le cœur battant de toute la scène dont j'avais assisté... L'angoisse était présente en permanence et je fixais le plafond, immobile. Je me demandais même si tout cela était possible, si je n'avais pas simplement rêvée.
Mais non... Ce n'était pas possible...
J'étais bien là, dans le monde réel face à une situation avec laquelle j'ignorais comment réagir. J'avais peur que d'une seconde à l'autre, Destiny entre dans ma tente pour me posséder aussi, car c'est la nuit qu'il se passe ce genre de choses...
Je finis par m'endormir d'épuisement tard dans la nuit malgré le stress intense.

Le matin, ma mère s'étonna de ne pas me voir réveillée avant elle comme chaque matin depuis le début des vacances au camping. Elle se prépara avant de finalement venir me réveiller. Quand elle ouvrit la fermeture pour accéder à la « pièce » ou nous passions la nuit, je me réveillai en sursaut, poussant un petit cri aigu. Le bruit de la fermeture éclair m'avait sorti de mon sommeil et avec les événements de la veille, ce simple bruit m'avait fait prendre peur.

          Quand je sortis dehors, ma mère me raconta que Destiny était passé lui demander une heure plus tôt où j'étais. Celle-ci chercherait à me voir le plus vite possible.
Mais la scène de la soirée précédente revint dans mon esprit. Une lune était passée, Destiny me cherchait et je me sentais si angoissée que je ne répondu pas à me génitrice qui me regardai bouche-bée repartir aussitôt dans ma chambre, sous mes draps encore tiède pour me sentir davantage en sécurité.

- Que se passe-il ? Pourquoi te caches-tu sous le linge ? Je te sens apeurée et angoissée. Dit-elle surprise de me voir dans cet état.

          Je ne pouvais rien lui dire, par peur que Destiny, cette adolescente « maudite » ne m'entende ou que ma génitrice le lui fasse savoir mon inquiétude, ignorant les conséquences que tout cela pouvait produire.

- Je crois que je vais retourner me coucher... J'ai mal dormi cette nuit et la lumière du soleil, dehors, est trop puissante pour que je puisse laisser ma tête hors de ma literie. Laisse-moi me reposer encore un peu...

          Et je partis immédiatement dans la chambre sans qu'elle n'ai le temps d'ajouter un mot à cette discussion.

          Enroulée en position fœtale sous les draps blanc d'argent, de longues minutes passèrent dans cette peur constante. Cette peur de revoir son visage terrifiant et inhumain. Cette peur de voir son visage plein de violence mais aussi, cette peur d'être dans le même état que l'homme que j'avais aperçu...

          Le pire arriva lorsque Destiny vint devant ma tente pour sa seconde fois de la journée. Je reconnu de sous mon linge, sa voix que j'avais tant entendue mais aussi, qui demandais à ma mère [avec impatience] si je pouvais la voir bientôt. La réponse de celle-ci,  pour la seconde, fois fut négative mais elle ajouta à la jeune fille que notre rencontre pourra être possible dès mon réveil.
Ce que je redoutais tant à présent...
De l'eau salée sortit de mes caroncules lacrymales* et roula sur mes joues rouges brûlantes. Il m'était impossible de contrôler mes émotions, l'angoisse se faisait trop abondante et le seule façon d'apaiser ma souffrance morale était celle-ci.

          Ma génitrice entendis malencontreusement mes sanglots que je ne pouvais retenir. Elle s'agenouilla au coin de mon matelas gonflable et me demanda de lui parler.
Lui expliquer la situation se montrait encore plus dangereux... Je ne pouvais pas prendre ce risque énorme que l'information se retrouve aux oreilles de Destiny.
Ma mère insista pendant de longues minutes pour que je lui explique, me parlant du fait que je devais tout lui dire et me posant des questions de toutes sortes.
Je ne pouvais pas !
Je me tus. Pas un mot ne sortis de ma bouche tremblante.

          Alors elle partit, muette, tête basse, trop triste de me voir dans cet état psychologique.
Je levais mes yeux rouges et inondés de larmes, tournais les yeux et aperçus la personne que je redoutais le plus...
Destiny, les yeux écarquillés, cachée derrière la toile de ma tente. Seul son visage menaçant dépassait de celui-ci. Elle me fixait du regard. Mon souffle se coupa, je ne pu crier tellement l'angoisse que je ressentais était immense.
Mon cœur battait, battait, battait si fort que je les sentis le long de mes bras, puis ma tête et enfin tout mon corps entier.
Ils s'arrêtèrent, soudainement.

          Cela faisait trois lunes que je connaissais Destiny et trois lunes qu'elle priait chaque soir pour tenter de prendre possession de tout mon être.
La personne allongée sur le sol que j'avais vue l'autre fois, quant à elle, avait disparue.
Mais tout cela, personne ne le saura jamais. Pas même ma mère, pas même les autres. Juste moi et tout ses inconnus a qui je ne saurais jamais ce qui est arrivé.

Fin

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Agapes : festin

Dispendieux : dépense excessive

Étain oxydé : couleur d'un gris se rapprochant de l'argent, légèrement brillant

Pers : deux iris de deux couleurs différentes. Ce dit aussi « hétérochromie » ou « yeux vairons »

Nébuleux : qui manque de clarté

Caroncules lacrymales : partie rosée, au coin de l'œil, ou sort le liquide lacrymal (les larmes).

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