24. Annabelle


Je ne pouvais pas dire si j'appréciai ce moment passé avec la famille Haymes. Les Triplés étaient d'infâmes gosses capricieux et malgré ça, ils furent drôles et intéressants. Si ce n'était Wade qui me chercha des poux à chaque sujet de conversation. Hayden fut tout son contraire. Avec lui j'avais de vrais atomes crochus sur divers points de vue. Surtout ce qui concernait l'art. C'est peut être grâce à lui que le déjeuner passa à une allure folle. Quant à Casey, il garda son attitude de beau gosse irrésistible, je ne m'en plaints pas, il l'était assurément. J'avais beau essayer de me convaincre du contraire, j'appréciai sa séduction sous couvert de petits sous entendus.

Étonnamment, c'est le patriarche qui décida du bien fondé de la collaboration que souhaitait Casey. Il fut totalement conquis face aux planches que Casey m'avait commandées. En un tour de main, je me vis remette en main un stylo et un contrat. On me laissa le temps de lire chaque ligne et annotations et on me donna même la chance d'opérer des modification sur la procédure de travail.

A 19 heures, je remettais en main propre le contrat daté et signé à Mr Haymes, Père. Lorsque je décidai de prendre congé, je croisais le regard satisfait de Casey. La première chose qui m'est alors venue à l'esprit, c'était que je venais très certainement de sauter a pieds joints dans la gueule du loup. Et ce malgré que le loup soit très appétissant, serais-je suffisamment solide pour déjouer toutes les tentatives de drague débile de ce dernier ?

— Je t'appelle pour notre première réunion avec l'autrice.

Je levai les yeux sur lui et d'un sourire en coin je murmurai :

— D'accord... Merci Casey.

Il haussa un sourcil devant ma timidité et mon remerciement, puis un petit sourire fleurit sur ses lèvres.

— Bonne soirée Annabelle.

Je quittai le pas de leur porte et rejoignis ma voiture. Je n'étais pas sûre de l'état dans lequel j'étais. C'était entre le plaisir d'une journée agréable avec les Haymes qui m'avait fait oublié le drame qui naissait dans ma famille et l'excitation de mon futur job et la peur panique de passer du temps aux côtés de Casey.

Je jetai mes clefs de voiture sur la table basse et allai déposer mon carton à dessin précautionneusement sur mon plan de travail. Je restai un moment, immobile le regard perdu sur ce dernier. Je faisais déjà des plans sur la comète sur mes rencontres prochaines avec Casey. Même s'il avait été égal à lui même aujourd'hui, il n'avait cependant pas enfoncé le clou comme il aimait si bien le faire habituellement. Et je lui en fus reconnaissante.

Perdue dans mes pensées, je me fis surprendre pas la sonnette stridente. Je sortis de mes pensées et rejoignis la porte à grands pas et ouvris sur papa.

— Bonsoir Annabelle.

Je me figeai sur place et envolée, la sensation de bien être trouvée dans la journée.

— Il faut absolument que nous parlions.

J'allais pour refermer la porte sur lui mais il m'en empêcha en retenant le battant d'une main ferme.

— S'il te plaît...

— Il n'y a rien à dire. Tu as menti, je dis en reculant sous son assaut désespéré.

— Je ne t'ai pas menti. J'ai juste omis de te raconter certaines choses, répondit-il en lâchant le battant et se poster devant moi l'air inconsolable.

Je n'arrivais pas à croire les mots qui sortaient de sa bouche. Comment osait-il dire ça ?

— Ne commence pas sur ce terrain ! je grognai les dents serrées.

— Tu ne me donnes aucune chance de m'expliquer. Et pourtant tu dois entendre ce que j'ai à te dire.

Papa avait une sale tête. Ses cheveux étaient en désordre et sales. Il n'était pas rasé et ses yeux avaient l'air... désemparés et vides. Je fermai les miens pour mettre un voile sur cette image malheureuse de mon père. J'étais trop en colère pour faire face à son désespoir.

— Je n'ai pas envie de t'écouter, je crache tout juste en l'abandonnant sur le pas de la porte.

Mais il ne me laissa pas le choix.

— Tu n'avais que trois ans quand ta vraie maman a disparu. Un affreux moment que je ne souhaite à personne. Ce fut l'horreur quand j'ai découvert un soir, en catastrophe, qu'elle n'était pas venue te chercher chez ta nourrice. Tu ne te rends pas compte de l'inquiétude qui te prend à la gorge, de la peur qui te ronge de l'intérieur quand tu t'aperçois que tu n'as pas la moindre idée de ce qu'il se passe.

Un silence s'installa et je me détournai du regard suppliant et malheureux de papa.

— Tu as un moment de flottement avant de comprendre qu'il se passe quelque chose de grave. J'ai appelé la police pour constater son absence après avoir passé la nuit avec toi dans la voiture, à parcourir la ville en long et en large, à appeler toute la famille, nos amis en vain.

Papa fit un pas vers moi mais je reculai d'autant en ignorant ses efforts. Je ne pouvais qu'écouter le cœur battant me raconter ce qui le rongeait depuis des années. Il accrocha ses pauvres cheveux de ses grandes mains et tira dessus, en proie à une colère et une douleur que je n'osais même pas imaginer.

— J'ai fini par rentrer à la maison pour m'occuper de toi et c'est là, que j'ai découvert sur la table de la cuisine, toutes les pièces d'identités de ta mère qu'elle avait regroupées. J'ai fouillé la maison et réalisé qu'elle n'avait emporté aucune de ses affaires. C'est comme si elle s'était volatilisée. C'était à n'y rien comprendre. J'ai prévenu la police parce que je trouvais cette absence inquiétante. ... j'ai fais de mon côté des recherches par ce que je ne pouvais pas croire que ta mère avait disparu comme ça, du jour au lendemain. La police a fini par ouvrir une enquête pour disparition inquiétante. A force de recherche, j'ai pu constater qu'une importante somme d'argent avait été retiré quelques jours avant son départ. Ta mère nous avait bel et bien quitté, abandonné toi et moi sans une lettre ni un mot.

Je relevai les yeux sur lui. Son regard noyé de larmes me brisa le cœur. Merde alors il aimait encore cette femme qui l'avait abandonné. Lui et son enfant ! Il essuya ses yeux du talon de la main, prit une grande inspiration et sa contenance.

— Environs un an après, sans plus d'avancées sur sa disparition, l'affaire a été classée comme disparition volontaire. Et même si la police avait pu la retrouver, si elle avait décidé qu'elle ne voulait plus revenir nous n'avions pas le choix. Nous ne pouvions que d'accepter.

La voix éraillée de papa déclencha sans ma gorge ce nœud qui se serrait chaque fois plus. Et il m'était difficile de respirer correctement.

Papa lorgna un fauteuil et vint s'y laisser choir. C'est là que je remarquai qu'il tenait un petit sac dans sa main. Il soupira longuement avant de replonger dans ses souvenirs.

— Ta mère n'a jamais été dépressive, elle avait le cœur sur la main, elle était belle et sa joie ne laissait place qu'au bonheur qu'elle procurait autour d'elle. Elle n'avait jamais montré de signe qu'elle s'ennuyait dans notre couple, dans son rôle de mère et d'associée dans notre entreprise. D'ailleurs, elle était propriétaire majoritaire, ayant hérité d'une importante somme d'argent à la mort de ses parents. Ce qui nous avait permis de monter notre boite. Sa disparition n'a donc jamais eu de sens pour moi. J'ai longtemps persisté auprès des enquêteurs que sans doute elle avait été enlevée ou assassinée. Mais les faits étaient trop flagrants avec ses affaires déposées en évidence sur la table de la cuisine.

Papa abandonna le plafond sur lequel il avait focalisé son attention et vint reporter son attention sur moi.

— A cette époque, Eva travaillait pour nous. Elle était l'une de nos employées. Je pleurai le départ de ta mère. J'étais désemparé face à sa disparition, mon devoir de père et de chef d'entreprise. J'étais inconsolable. Eva, à ce moment là était enceinte de Max. Elle venait de perde, elle aussi le père de son bébé dans un accident de voiture. Sa grossesse était toute récente et la famille de son mari n'était pas au courant. Malgré son chagrin, elle a su me soutenir dans cette épreuve. Nous avons longuement échangé et de fil en aiguille nous sommes rapprochés. Max devait avoir tout juste un an quand nous avons décidé montrer notre relation au grand jour. Nous étions tombés amoureux malgré les terribles drames qui nous avaient touché.

Je ne pouvais concevoir qu'il ait oublié ma mère en à peine deux ans ! Enfin, s'il l'aimait tant que ça, pourquoi abandonné ainsi ses recherches même si l'enquête était close.

— Alors tu as oublié ta femme comme ça ?

— Non ! Bien sûr que non ! Mais qu'aurais-je dû faire selon toi ? Rester en ermite toute ma vie à attendre une épouse qui nous avait abandonné toi et moi ?

Je rougis instantanément face à sa réplique. Oui qu'est-ce que j'aurais fait moi, à sa place ? J'en avais pas la moindre idée.

— Nous nous sommes mariés l'année de tes cinq ans. Tu ne t'en souviens peut être pas, mais ce fut une très belle journée, pleine de joie pour toute notre famille, reprit papa en serrant le petit sac contre lui.

Cette histoire de mariage trop rapide me restait au travers de la gorge. Je n'y pouvais rien et je ne manquai pas de le faire savoir. La colère sans doute.

— Tu as épousé une de tes employées, sous prétexte qu'elle aussi était dans la même situation que toi. As-tu été amoureux d'elle au moins ?

— Bien sûr !

Je commençai à faire les cents pas et tenter de comprendre les décisions de mon père.

— C'est toi qui a eu l'idée de vous marier ?

Il me regarda un instant hébété.

— Je ne me souviens plus. Je suppose que cela a été une décision commune. Après tout deux parents célibataires qui s'unissent pour offrir une famille stable à leurs enfants ne peut être qu'une bonne idée. Non, tu ne crois pas ?

— Alors pourquoi tu ne m'as jamais dit qu' Eva m'avait adopté ?

Son visage se para de tristesse et d'indécision.

— Je voulais que tu sois heureuse avec une maman. Tu n'avais pas besoin de savoir que ta mère n'était pas celle qui t'avait mis au monde. J'ai préféré taire cette vérité pour te protéger.

— Quelle grandeur d'âme ! fis-je en m'arrêtant devant lui. Tu as eu largement le temps de me dire encore cette foutue vérité quand j'étais en age de comprendre !

— Tu semblais bien t'entendre avec Eva. Elle s'est toujours bien occupée de toi.

— Mais elle aimait plus Max que moi. En même temps, maintenant je comprends, lui il est son vrai fils.

Mon père se leva d'un bond et fit trois pas vers moi.

— J'ai fait ce que je pensais être juste. Pour toi surtout. Pour ton bien être pour que tu sois une enfant heureuse et épanouie.

Je ne pus m'empêcher de ricaner amèrement. Je n'étais en rien heureuse et épanouie. Et ce à cause d'Eva et Maxime. Et au regard de cette situation je comprenais bien mieux cette tendance.

— Mais depuis que Maxime est à la direction des éditions, rien ne va plus.

A la mention du prénom de ce frère qui ne l'était pas, ma colère revint au galop et je ne résistai pas à le faire savoir.

— Sans blague !

Papa ne releva même pas.

— Il a toujours été un bon garçon. Travailleur, gentil et si prévenant...

— Pardon ? Est-ce que tu te foutrai pas de moi par hasard ? je m'exclamai hors de moi.

Papa fut surpris par ma véhémence et me fixa d'un air ahuri

— Ce petit con a fait tellement de conneries que je ne compte plus les punitions que j'ai pris pour lui quand nous étions enfants ! Je ne compte plus les fois ou Maman lui a passé ses caprices et moi je devais m'asseoir sur mes espoirs ! Bordel de Dieu ! Eva a traité Maxime comme un petit roi et te l'a bien caché ! Regarde maintenant ce que ton aveuglement à vouloir cacher tes secrets a créé ! Il va baiser les assistantes de ton concurrent direct et s'en va la fleur au fusil comme s'il ne craignait même pas d'être puni ou banni de l'entreprise ! Parce que tu sais quoi ? Maman va arranger les choses ! Dans ton dos ! Tu acceptes ses fautes professionnelles avec tellement de facilité que je ça me laisse sur le cul ! Putain papa !

— Annabelle...

— Ne me dis plus jamais que Max est un putain de bon garçon ! C'est un connard fini ! Il est en train de couler ta boite ! TA BOITE !

— Si tu avais bien voulu reprendre la direction, peut être que nous n'en serions pas là.

J'écarquillai les yeux incrédule devant ce qu'il me balançait à la figure

— Oh ! Non, ne rejette pas la faute sur moi ! Ce n'est pas moi qui ai été mettre un couteau sous la gorge de Max pour qu'il aille foutre la merde ! Ce n'est pas moi qui ai pris les mauvaises décisions tout au long de ma vie ! Je ne suis même pas aimé de ... D'Eva ! hurlai-je de fureur et bord des larmes.

Papa couvrit les mètres qui nous séparaient et m'attrapa par les bras pour me serrer contre lui. Je le repoussais contrainte de lui cacher ma douleur mais sa force m'en empêcha. Il me plaqua contre lui et me berça lentement.

— Pardon Annabelle... Pardon ma chérie, j'ai été... je n'ai rien vu de tout cela, sanglotait-il contre ma tête.

L'entendre lâcher prise fit sortir définitivement mes larmes. Il me serra contre son torse où je pouvais entendre cogner son cœur à tout rompre. J'enroulais mes bras autour de lui et il resserra les siens autour de mes épaules.

Un silence perturbé par nos sanglots s'éternisa. Cela m'importa peu. Je comprenais que Eva n'était pas ma mère ce qui expliquait sa façon désagréable de m'aimer. Enfin aimer n'était sans doute pas le mot. Mais en tous les cas mon père lui était bien a moi. Et lui n'a jamais failli à son amour. Enfin si une fois, en me cachant délibérément un secret de famille très important.

Le temps fila avant que je ne ressente des douleur dans mes épaules. Je tentai de me dégager des bras de mon père qui se laissa faire. Gênés nous nous évitâmes du regard un instant.

— Ça va aller ? demanda-t-il

Je levai les yeux vers lui. Il était dans un état pitoyable et je ne devais pas être mieux.

— Oui... Je crois.

— Je peux nous préparer un café ou un thé. Je pense que cela nous fera du bien. Tu es d'accord ?

J'opinai du chef et il posa sa main sur mon épaule pour se rassurer autant que moi. Je l'accompagnai dans ma petit cuisine où en silence nous préparions nos boissons.

— Je t'ai apporté des souvenirs. Tout ce qu'il me restait d'elle. Je me suis dit que c'était un bon début pour que puisse la connaître comme moi je l'ai connu.

— Tu pourras me raconter votre histoire ?

Dans son regard, je vis briller cette petite étincelle d'espoir et de paix. Je regroupai nos tasses et nous nous installâmes dans le salon ou papa commença le long récit de son passé avec ma mère biologique.

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