2. Annabelle.



Encore une soirée déguisée ! Franchement ma mère aurait pu trouver une idée plus originale pour son gala de charité. Depuis que papa a laissé les rennes de son entreprise, elle accumulait les bonnes œuvres pour ne pas se retrouver coincée avec lui à la maison. C'était lui qui avait été le grand absent durant 45 ans et voilà que maintenant ils allaient devoir se supporter H 24. Alors pour éviter les bagarres ou les disputes inutiles, maman avait décidé qu'il était mieux pour elle qu'elle s'occupe durant la journée si ce n'est les soirées. Cela étant dit, c'était moi qui devais toujours être à l'écoute, si jamais cela n'allait pas. Et mon frère était aux abonnés absents dans ces cas là.

Alors que je regardais ma mère défiler devant son miroir dans le costume de Catwoman, oui Catwoman ! A 58 ans, il faut bien avouer qu'elle était encore rudement bien foutue. Hélas, je n'avais pas hérité de ses gènes. Oh ! Non, j'avais gagné à la loterie de la génétique, ceux de mon père. Une solide charpente, son épaisse chevelure brune et ses yeux verts tirant vers le marron. Mon père, taillé comme un rugbyman, n'avait jamais besoin d'élever la voix pour se faire entendre. Sauf avec ma mère. Mais c'était une autre histoire. Dès qu'il entrait quelque part tout le monde cessait de parler et tous les regards convergeaient vers lui ! D'ailleurs, il a un tel charisme que toutes les femmes lui font les yeux doux. Mais papa n'avait d'yeux que pour maman. Ceci était un véritable paradoxe sachant qu'ils ne supportaient pas de rester plus d'une heure ensemble.

— Alors Annabelle qu'en penses-tu ?

— J'espère que papa sera habillé en Batman, sinon tous les hommes vont te courir après.

— Ne sois pas idiote Annabelle ! Bien sûr que ton père sera déguisé en Batman. C'est même lui qui m'a suggéré cette idée !

— Oh bien, si c'est lui alors ! répondis-je en m'affaissant dans le voltaire espérant qu'elle cesse de se regarder enfin dans le miroir.

— Et toi ? Quel est le thème de ton costume ? J'espère seulement que ce n'est pas comme celui de la dernière fois.

J'avais fais fort la dernière fois. Le thème de la soirée était les « grands monarques ». Maman avait espéré me voir arriver dans une belle robe de princesse, toute chatoyante et scintillante, pour illustrer n'importe quelle reine célèbre. J'étais arrivée déguisée en momie égyptienne affublée d'un long nez. J'avais longuement hésité entre Marie-Antoinette et Cléopâtre. Puis j'avais réalisé que je n'avais ni le temps ni l'argent pour me créer un costume ou je pouvais porter ma tête sur le bras. Tandis que Cléopâtre... Des bandes de tissus déchirés, quelques bijoux de jade, beaucoup de maquillage et une perruque avaient fait largement l'affaire. Avec ma tête de zombie égyptienne enrubannée de bandelettes de tissus serrées, j'avais fait sensation, mais aussi de la désapprobation ! Ce que les gens pouvaient être coincés !

— Alors Annabelle ?

— Je n'en sais rien maman. Je n'ai pas eu le temps depuis hier d'y réfléchir.

— Tu exagères ! Tu n'as plus beaucoup de temps pour t'en trouver un d'ici samedi !

— Si tu m'avais prévenu plus tôt, peut-être que cela serait déjà réglé ! grognai-je en soupirant.

— Je t'en avais parlé la semaine dernière !

— A ce moment-là, je n'étais pas conviée si je me souviens bien. C'était Maxime et Corinne qui devaient y aller !

— Tu sais bien qu'ils n'ont pas pu se libérer à cause des enfants.

— Comme toujours ! Et toi qui ne leur dis rien ! accusai-je.

— Que veux-tu que je leur dise ?

— Je n'en sais rien moi, que sa femme arrête de faire sa loi et que c'est lui qui tient la boutique maintenant ! Et qu'il a des obligations vis-à-vis de l'entreprise que son père a monté et qu'il a à sa charge aujourd'hui !

— Ça suffit Annabelle !

— Oh maman, tu sais très bien que Maxime se laisse bouffer par sa bonne femme et que toi et papa ne dites rien ! Et ils sortent toujours cette excuse de merde qu'ils n'ont pu trouver personne pour garder les enfants !

— Tu dis n'importe quoi !

— Vraiment alors dis-moi depuis quand vous n'avez pas vu les enfants ?

Ma mère s'apprêtait à répliquer mais se tut. Ce fut les yeux brillants qu'elle détourna la tête. Je venais de toucher la corde sensible. Et je l'avais blessé. Merde ce que je pouvais être stupide !

— Je suis désolée maman... fis-je quand je la vis se précipiter dans la salle de bain et s'y enfermer. Et ce n'était pas pour se rhabiller.

Je soupirai et sortis de la chambre. J'avais encore ouvert ma grande gueule et blessé ma mère. En même temps, il fallait parfois donner un bon coup dans la fourmilière pour la faire réagir. Et mon frère était mon problème récurrent, depuis qu'il avait épousé Corinne. Cette dernière avait été très sympa durant leur vie de couple non mariée. Mais le jour où il lui a passé la bague au doigt, madame jouait les grandes duchesses. Elle ne travaillait pas mais elle devait vivre dans le standing lié au rang que son mari, chef d'entreprise, devait avoir. Grosse voiture, grande maison décorée comme dans les magazines et vêtements griffés bien évidemment. Mais elle a oublié que l'entreprise n'appartenait pas à mon frère ni à moi d'ailleurs. Elle appartenait toujours à mon père. Et que si elle croyait vivre des dividendes de l'entreprise, elle se fourrait le doigt dans l'œil ! Si papa décidait que Maxime n'était plus apte à gérer l'entreprise, il pouvait faire valoir ses droits. Et j'avais déjà entendu Corinne se plaindre que Max ne s'octroyait pas assez de salaire, alors qu'il donnait beaucoup de son temps pour la boite. Elle devait sûrement ignorer que tant que mon père était vivant ce n'était pas mon frère qui prenait toutes les décisions. Et j'étais persuadée que mon père savait à quoi s'en tenir avec elle. Quant à ma mère... ceci était une autre histoire.

Mon frère a trois ans de moins que moi. Il était déjà marié, avait deux beaux garçons et une maison que je ne pourrais jamais m'offrir. Et moi, j'étais la grosse déception de ma mère. Illustratrice freelance de livres pour enfant, je ne gagnai guère de quoi partir en vacances mais suffisamment pour payer mon loyer et remplir mon frigo. Célibataire, je ne cherchai pas forcément le grand amour, mais plutôt un compromis entre une amitié sincère et quelques nuits avec mes deux sexe-friends. Tristan et Geoffrey. Oh bien sûr, j'avais eu deux petits amis avec lesquels je fus restée quatre ans pour le premier et deux ans pour le second. Mais, j'avais mis un terme à chacune de ces relations. Ils avaient chacun eu cette manie de penser que j'étais un objet qu'ils devaient montrer au monde. Comme si j'étais dénuée d'intelligence et de sentiments.

Pour ma première relation, j'avais mis un peu de temps avant de m'en rendre compte. Ce fut Lise, ma meilleure amie, qui m'ouvrit les yeux. Et pour ce qui est du second, c'est un sms qui fut la goutte qui fit déborder le vase. Comme si « Et mets la robe noire pour la soirée avec mon patron. Sinon je vais avoir honte avec ton ventre qui déborde. Ce n'est pas très glamour. » Ce connard a dû aller seul à sa soirée et le lendemain j'avais débarrassé le plancher de sa foutue baraque d'avocat ! Tu m'étonnes, qu'il s'entendait bien avec Max. Ils sont faits du même bois ces deux abrutis.

Et oui, je traitai mon frère d'abruti parce que c'est ce qu'il était ! Vous pouvez vous demander pourquoi je pense cela de mon propre frère. C'était un fait, je n'ai jamais aimé mon frère et il n'avait rien fait pour se faire aimer non plus. Le chouchou de maman et la plaie pour ma part. Et aux yeux de ma mère, j'étais aussi une catastrophe. Voilà comment je voyais notre place dans notre famille. Ce qui bien entendu se répercutait sur la relation qu'elle avait avec Corinne. Vous pensez bien, elle au moins avait des enfants. Elle passait beaucoup de choses sur l'éducation de ses petits enfants. Si cela ne tenait qu'à moi, il y aurait longtemps que je les aurais remis dans le droit chemin ces deux-là. Mais bon, je n'avais rien à dire, j'étais célibataire et sans enfants. Je n'y connaissais donc rien au rôle de parent.

Dans la cuisine, je déposai un mot à ma mère pour réitérer mes excuses et sans motivation je partis en quête d'un costume digne de ce nom pour ce foutu gala. Je ne cherchais pas mon père, celui-ci devait être encore au golf avec des amis.

En plein centre ville, une boutique spécialisée dans les déguisements offrait un choix très large de costumes en tous genres. Mais pour le gala de maman, le thème était " Qui se ressemble s'assemble". Vaste comme thème. Il en allait surtout pour les couples majoritairement. Et comme je venais seule, chose à laquelle je tenais absolument, histoire d'emmerder ma mère, cela me compliquait doublement la tâche. Car c'était aussi mon passe-temps favori. J'aimais tout particulièrement désappointer ma mère. Et je ne savais pas exactement pourquoi je prenais plaisir à faire cela. Allez comprendre.

Je longeai les portants survolant les costumes d'un œil distrait. Je n'avais aucune idée et rien ne m'inspirait plus que les soirées déguisées. La plaie.

— Puis-je vous aider ? Me demanda une voix douce derrière moi.

Je me retournai sur un homme de grande taille, au visage fin et délicat. Il me sourit et à sa posture sûr de lui, je devinai qu'il avait la sensibilité pour résoudre mon problème.

— Oui, s'il vous plaît. Je suis invitée à une soirée déguisée qui a pour thème "qui se ressemble s'assemble". Et elle a lieu dans deux jours.

— Ouh la la ! Il est temps de chercher ! Avez-vous une petite idée ?

— Pas la moindre ! Et je suis désespérée ! Je ne serais pas accompagnée et je souhaiterais que mon costume parle de lui même.

L'homme cala son bras sous l'autre dont la main tapotait sa bouche signe d'une intense réflexion. Il se figea puis se retourna vivement.

— Suivez-moi.

Je m'exécutais et trottinais derrière lui. Il s'arrêta devant un costume de double-face noir et blanc.

— Est-ce que ceci vous intéresse ?

Je scrutais le déguisement et fis la moue. Il relâcha le vêtement et fouilla un peu plus loin sur le portant chargé. Il en sortit un autre. Rien de ce qu'il me proposait ne faisait mouche. Puis une idée germa dans ma tête.

— Avez vous un costume de Batman?

— Euh vous voulez dire Catwoman?

— Non Batman. Mon père se déguise en Batman, et comme je lui ressemble beaucoup.

A cette annonce, ce fut lui qui fit la moue.

— Franchement, est-ce que le thème est important ? demandai-je plus très sûre de moi.

— Ce n'est pas à moi qu'il faut le demander... Vous semblez bien ennuyée par cette soirée ?

— C'est ma mère qui l'organise et elle est très tatillon la dessus. Et j'aime bien aller à l'encontre de ses demandes.

— Et bien l'affaire est résolue. Au diable le thème et portez ce qui vous ferait plaisir ! Ce n'est que votre mère. J'imagine que du moment que vous êtes costumée...

Il avait totalement raison ! Son thème était merdique pour un célibataire. Alors autant me déguiser comme j'en avais envie ! Je me fendis d'un grand sourire, avant de lui demander s'il n'avait pas un costume particulier.



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