IV




Au loin, une fine colonne de fumée monte à l'assaut du ciel. C'est le seul signe de présence humaine à des kilomètres à la ronde.

L'oeil songeur, Tribe observe. Depuis qu'il s'est enfui, c'est la quatrième fois qu'il voit cette fumée. Depuis qu'il s'est enfui, quatre jours des souvenirs. Quatre ans.

Que sont-ils devenus, tous? Qu'est-il devenu, ce saligaud qui l'avait fait danser dans les flammes? Il doit être grand maintenant, il doit avoir une compagne, des enfants peut-être. Et tous les autres? Ceux qui l'avaient raillé, ceux qui avaient effrayé leurs jeunes frères et soeurs avec Tribe le fantôme, ceux qui avaient murmuré son histoire, l'oeil brillant d'un éclat malveillant, qu'étaient-ils devenus? Oh, ils l'avaient oublié, sûrement. Il appartenait au passé, le petit Tribe victimisé. Hé bien, ils verraient, tous. Il reviendrait, fantôme de glace, se rappeler à leur bon souvenir.

Tribe ricane. Ils avaient vu partir un jeune garçon, un fantôme, ils verront revenir un homme, endurci, accompagné de deux démons des neiges.

Il a tant souffert entre ces ruines, il ressent au fond de lui le besoin de se venger.

Ce besoin a toujours existé, mais il avait été si profondément enfoui sous la douleur, sous la nécessité de sans cesse se cacher que jamais Tribe n'y avait pensé. Mais ces années d'isolement ont éradiqué toute la peur qu'il avait en lui. Ces années ont avivé sa rancoeur. Il reviendra et il se vengera. Il marchera dans les rues, Romulus et Remus à ses côtés, la tête haute, le regard fier. Les pauvres habitants se cacheront, se terreront dans l'ombre, tout comme lui, Tribe, avait si souvent dû le faire. Ils le regarderont passer les yeux emplis de crainte devant cet apparition surgie du passé. Ah, ils verront, tous! Tribe marchera, altier, au milieu de ces gens tant haïs. Il répandra le froid dans la ville, son aura glacée éteindra tous les feux ennemis et tous sauront ce que le petit Tribe est devenu! Enfin, ils auront une raison de craindre Tribe le fantôme!

***

Le vent souffle sur la plaine, indifférent. Tribe marche dans la neige. Il est dans son élément, accompagné de ses deux créatures. Dans quelques heures, jours au maximum, il débarquera dans la ville. En attendant, il marche, un sourire carnassier aux lèvres.

Au loin se dessine une silhouette sombre. Au fur et à mesure que Tribe s'en rapproche, elle se précise. C'est un vieux wagon de train, posé de travers, abandonné là depuis le grand cataclysme. Sa portière béante s'ouvre pour des passagers disparus depuis longtemps, ses fenêtres crasseuses laissent deviner un intérieur autrefois luxueux. Le wagon ne se trouve qu'à un ou deux kilomètres de la ville.

Tribe s'arrête à l'ombre du train. Il sort de son sac des bandelettes de tissu, qu'il s'enroule autour des mains et des avant-bras, afin de cacher sa peau. Il sort également de son sac un masque de cuir, qui laisse juste entrevoir sa balafre sur la joue. Il l'enfile et manque de tomber, entraîné par la chaîne qu'il a attachée autour du cou de Romulus et Remus.

Fin prêt, il se redresse puis grimpe sur le toit du wagon, accompagné de ses deux créatures. De là, il voit la ville. La ville que bientôt, il terrorisera. Ainsi masqué, ainsi habillé, il se sent invincible. Sa vengeance sera terrible, et si savoureuse... Tourné vers la ville, il lui lance un cri de défi. Son heure est arrivée.

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