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1,2,3 Soleil !

J'essaie tant bien que mal de rester immobile, mais lorsque mon frère arrive en faisant des grimaces, je ne peux m'empêcher d'éclater de rire.

"Jaï..."

Il a toujours eu ce courage qu'Anil n'a jamais eu. Il a toujours eu ce sourire que même Rama ne m'avait jamais offert. Il me prenait dans ses bras, me berçait pour m'endormir et prenait soin de moi.

Jaï était plus petit qu'Anil et pourtant c'était lui que j'ai toujours préféré.

Quinze années plus tard, je reconnais encore son regard pétillant lorsque ses yeux se posent sur moi. Mon cœur, quant à lui, est prêt à faire ses valises et à quitter définitivement mon abdomen.

Eh bien, voilà une surprise à laquelle je ne m'attendais vraiment pas.

Jaï se tient immobile, juste en face de moi, un léger sourire flottant sur ses lèvres, tandis que je reste figée, hésitant à bouger le moindre muscle de plus.

L'instant semble suspendu dans une bulle d'intimité, où seul Jaï et moi existons. Les souvenirs de notre enfance jaillissent à la surface, mêlant leur douceur nostalgique à l'excitation et à l'incertitude du présent.

Finalement, Jaï rompt le silence en s'approchant lentement de moi. Son sourire s'élargit, et dans ses yeux, brille une lueur familière.

- Diviya... Je n'arrive pas à croire que c'est réellement toi. Tu es devenue si belle, si forte, murmure-t-il d'une voix chargée d'émotion.

Je me retrouve submergée par un mélange de sentiments contradictoires. La joie de le revoir s'entremêle à l'appréhension de ce que cette rencontre pourrait impliquer.

- Jaï, je... je ne m'attendais pas du tout à te revoir ici, bafouillé-je, cherchant mes mots.

C'est à ce moment-là que la voix d'Anil se fait entendre à ma droite, brisant le silence qui entoure notre retrouvaille.

- Il a voulu te faire une surprise, lâche-t-il.

Mon attention se tourne brièvement vers Anil, avant de se recentrer sur Jaï. Les mots qui suivent sortent de sa bouche avec une sincérité palpable.

- Je suis désolé pour tout, Diviya. J'aurais tellement souhaité te rencontrer dans d'autres circonstances, bien avant que Rama n'arrive aux États-Unis, mais je n'ai pas eu le courage de le faire.

Au fur et à mesure que Jaï parle, je remarque quelque chose de frappant. Son anglais est parfait, sans la moindre trace d'accent. Je suis surprise par sa maîtrise de la langue, comme s'il avait été immergé dans un environnement anglophone depuis toujours.

Dans cet instant suspendu, les émotions s'entremêlent, le passé et le présent s'entrelacent, et je sens mon cœur se débattre dans ma poitrine, cherchant une réponse à donner.

- Je... ça me fait plaisir de te revoir, Jaï ! Sincèrement, parviens-je à articuler, prenant une légère inspiration.

Prise au dépourvu par ma propre réaction, je sens Jaï envelopper mes épaules de ses bras, me serrant contre lui. Je me laisse aller à ce geste, sentant la chaleur de son étreinte se répandre en moi. Un sourire se dessine sur mon visage, révélant une part de moi-même que je ne pensais pas accessible. Peut-être ai-je été plus cruelle avec Anil qu'avec Jaï, mais il y a quelque chose de particulier entre nous, un lien indéfectible forgé dans notre enfance.

Il finit par se détacher de moi un sourire plaquée au visage quelques secondes avant de disparaitre d'un seul coup.

- Anil m'a parlé de tout ce qui t'es arrivé. Je suis sincèrement désolé pour ton frère Aless. Dit-il enfin.

Un léger pincement au cœur vient alors s'initier.

- C'est gentil Jaï, merci beaucoup.

- Restez pas dans le couloir, allons nous asseoir. Déclare Anil en nous dirigeant vers le petit salon.

Nous nous installons, et je prends place en face de Jaï, tandis qu'Anil s'assoit à mes côtés. L'atmosphère est chargée d'une tension palpable, mêlée à l'excitation et à la curiosité de retrouvailles inattendues.

- Il faut que tu saches, Diviya, que je n'ai jamais cessé de te chercher depuis le jour où notre mère t'a abandonnée, confie Jaï d'une voix sincère. Un jour, j'ai appris que l'orphelinat t'avait récupérée et qu'une famille aux États-Unis était sur le point de t'adopter. Depuis ce moment-là, j'ai fait la promesse de tout mettre en œuvre pour te rejoindre. J'ai étudié sans relâche, et cela fait presque dix ans que je suis aux États-Unis pour poursuivre mes études.

Je reste silencieuse, absorbant les paroles de Jaï. Ses mots résonnent en moi, réveillant une part de mon passé que je pensais enfouie à jamais. La détermination dont il fait preuve pour me retrouver est touchante, et je réalise à quel point notre lien fraternel n'a jamais disparu, malgré la séparation forcée.

Le temps s'étire doucement dans le salon, laissant place à un mélange d'émotions et de questionnements.

- Je suis contente que tu aies eu le courage de venir me voir, Jaï. Tu travailles dans quel domaine maintenant ? lui demandai-je avec curiosité.

Un sourire éclaircit le visage de Jaï, ses yeux pétillant d'enthousiasme.

- En réalité, j'ai étudié la médecine, répondit-il avec fierté. J'ai toujours ressenti cette vocation profonde d'aider les autres et de contribuer à leur bien-être. Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai choisi de me spécialiser en chirurgie orthopédique. Je suis maintenant médecin dans un grand hôpital ici aux États-Unis.

Je suis à la fois surprise et admirative. Jaï a suivi une voie noble et exigeante, consacrant sa vie à soigner les autres.

- Wow, c'est vraiment impressionnant ! T'as accompli tellement de choses, je suis heureuse pour toi.

Un sentiment de respect et d'admiration imprègne la pièce.

- Et toi, que fais-tu maintenant ? Me demande-t-il.

- Eh bien, mon parcours n'est pas aussi impressionnant que le tien. J'ai fais une année à l'université, mais j'ai pas réussi à la valider à cause du décès d'Aless et...

J'allais mentionner le départ de Denis, mais je me ravise. Jaï n'a pas besoin de connaître tous mes problèmes.

- Et aujourd'hui, je travaille dans une garderie, dis-je finalement.

Jaï me regarde avec un sourire doux.

- Tu vas peut-être mal le prendre, mais je pense que travailler avec les enfants a toujours été ta vocation, dit-il.

Son observation me touche en plein cœur. Je comprends où il veut en venir. Je n'ai pas eu l'enfance que j'aurais voulu, alors être là pour d'autres enfants, c'est peut-être ma destinée après tout.

- Je ne le prends pas mal. Dis-je un peu pensive.

Le silence s'installe brièvement entre nous, chacun absorbé par ses propres réflexions. L'idée que Jaï ait perçu ma véritable vocation me laisse à la fois perplexe et réconfortée. Peut-être que travailler avec les enfants est effectivement ma façon de combler les manques de mon enfance.

- Ça fait bizarre de tous se retrouver ici des années après ... Déclare Jaï en nous observant Anil et moi.

Il y a à peine trois ans, jamais je n'aurais imaginé vivre cette réalité. Me retrouver dans un appartement à Washington, entourée de Jaï, Anil et Rama, est à la fois émouvant et déroutant. Je ressens une certaine gratitude d'avoir eu l'opportunité de renouer avec mon passé, malgré les défis qui persistent.

Les blessures et les douleurs du passé ne se sont pas complètement estompées. Toutefois, je m'efforce de faire face à ces sentiments, de m'ouvrir à la possibilité de pardonner et de reconstruire. C'est un processus complexe qui demande du temps et de la patience.

Les retrouvailles avec mes frères ont été bouleversantes et confrontantes. Chaque interaction est une tentative de recoller les morceaux d'une relation brisée et de trouver un terrain d'entente malgré nos différences. Parfois, je me force à sourire et à participer aux discussions, mais au fond de moi, des doutes et des incertitudes subsistent.

Cette aventure de réconciliation me confronte à mes limites, à mes peurs et à mes résistances. Mais je refuse de me laisser submerger par ces obstacles. Je suis déterminée à aller de l'avant, à explorer de nouvelles possibilités, même si cela signifie affronter des émotions difficiles.

- Rama, elle... je ne sais pas si un jour elle reviendra, murmure Jaï en baissant les yeux vers le sol.

- Elle le doit. Elle n'a pas le choix, je réponds d'une voix ferme.

La perspective de ne pas avoir cette conversation avec elle est inconcevable pour moi. Je refuse de continuer à souffrir mentalement, de vivre ces cauchemars qui me tourmentent. Je veux comprendre pourquoi une mère peut abandonner son enfant de six ans, le condamnant ainsi à une mort presque certaine.

En relevant les yeux, je suis surprise de voir Jaï devant moi, une larme solitaire glissant sur sa joue. Son visage exprime une douleur profonde, et il essaie rapidement de l'essuyer discrètement.

- Je suis désolé, Diviya, vraiment désolé pour tout ce que tu as dû endurer seule au Cambodge pendant ces deux années. Si Rama, cette femme qui est notre mère, n'ouvre jamais les yeux, je m'excuse en son nom pour tout ce qu'elle t'a fait ressentir.

Ma gorge se serre alors que les mots de Jaï résonnent en moi. Ces deux années difficiles au Cambodge ont laissé une empreinte profonde sur ma vie, influençant mes choix et mes perspectives. Je réalise que ces expériences ont façonné la personne que je suis devenue, pour le meilleur et pour le pire. Parfois, je me demande si je peux vraiment atteindre cet état de paix intérieure que semblent connaître ceux qui ont vécu une enfance douce et aimante. Cette part de moi, marquée par les épreuves, a sans doute changé ma perception du monde et de moi-même.

- C'est pas de ta faute, Jaï.

Ma bulle temporelle éclate lorsque mon téléphone se met à sonner dans ma poche de jean. Je m'excuse un instant et sort de la pièce pour aller rejoindre la cuisine.

Denis Hernandez.

Sans réfléchir davantage, chose qui m'aurait sûrement poussé à raccrocher sur le champ, je finis par décrocher.

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