Durée de lecture : 3 minutes 17 secondes
Genre : Texte Très Très Court
Thème : Les histoires, le commencement et la langue française

« Toute histoire commence un jour, quelque part.

« Par ce quelque part, certains y verront le début de l'œuvre.

D'autres, là d'où en vient l'idée.
Lui, pense qu'il s'agit du jour où l'auteur a trouvé sa vocation.

Elle, y voit sa naissance.
Il y a autant de compréhensions différentes que de gens qui liront ou entendront cette phrase.

« Pour moi, cette phrase ne signifie rien. Lorsque l'on parle de commencement, il doit y avoir une fin. Sinon, il ne s'agit que d'un extrait de l'histoire.
Or, une histoire a-t-elle réellement une fin ?

« Selon moi, l'auteur qui appose son point final à la fin de son œuvre n'en ferme pas la porte.
L'Univers créé existe toujours et avance.
L'auteur, peut toujours revenir sur sa décision et décider que ce point n'est pas le dernier.
Les lecteurs peuvent toujours se plonger dans leur esprit et vivre une suite qu'eux-mêmes dirigeront. »

           Les nombreuses voix discutant dans cet espace clos se turent. La grande auteur, Nina Pont, désormais d'une renommée internationale, venait de débuter son discours devant les journalistes français sélectionnés pour l'occasion.
           Ses doutes quant à la réussite d'une entrée aussi provocante s'estompèrent à la vue de son auditoire. Ils étaient stupéfaits et elle s'en félicitait. L'expression de son manager, assis au premier rang, lui présageait de longues remontrances si elle n'atteignait pas son objectif.

           Juste avant de monter sur scène, il lui avait glissé son expression habituelle : « Pas de vagues ». Elle n'était pas certaine que débuter son discours ainsi, alors qu'elle devait rendre un prix pour le concours de poésie « D'où débute l'histoire ? », lui assure des eaux calmes.

           Avant d'arriver à cette conférence, Nina avait décidé que, pour une fois, elle ferait ce qui lui était demandé. Elle souhaitait profiter de son pays d'origine, qu'elle avait quitté depuis trois ans, et discuter avec ses tous premiers fans. Si elle faisait le « buzz », elle serait forcée de rester enfermée dans un hôtel.

           Juste avant que les finalistes du concours présentent leur production devant une centaine de journalistes et les cinq jurés, elle s'extasiait d'être entourée de sa langue maternelle. Jamais elle n'aurait pu penser que les paroles s'enchevêtrant partout dans le bâtiment lui manqueraient. Du français... Cela faisait si longtemps qu'elle n'était pas revenue dans une région francophone qu'elle avait perdu son naturel dans les discussions ! Cela se ressentait dans ses écrits...

           Lorsque la lumière se fixa sur la scène, Nina avait hâte d'entendre les auteurs en herbe jouer avec les mots et leurs sens.
           Quelle fut sa déception quand elle découvrit que l'auditoire n'avait que faire du concours ! Tous discutaient, c'était à peine si l'on entendait les récitations !
           Assise à côté de son manager à ce moment, elle lui demanda le pourquoi de ce manque de respect et sa réponse lui glaça le sang : « Les journalistes ne sont là que pour toi ».

           Nina ne réussissait pas à accepter que sa réussite puisse détourner à ce point l'attention. Il y avait d'autres prodiges dans ce monde ! C'était à ce moment qu'elle avait décidé d'utiliser cette attention pour faire passer un message. Et son discours de remise du prix était le moment parfait.

           Elle se concentra sur le moment présent. Quelques personnes dans la salle soufflèrent en attendant la suite de son discours. Après un court silence, elle reprit donc :

« Je vois qu'après avoir discuté durant toutes ces magnifiques productions, certains ont décidé d'exprimer leur ennui d'une autre façon ! »

           Elle était agacée. Remettre ces journalistes à leur place était sa façon d'excuser leur attitude par sa faute, aux finalistes.

« Aujourd'hui, on m'a demandé de vous dire d'où débute mes histoires et d'annoncer le gagnant de ce concours, mais je ne suis pas sûre que vous soyez très intéressés par ma réponse... Terminons donc cela rapidement !

« Le grand gagnant du concours de poésie francophone 2023 est Monsieur Jérôme Skampell... »

           Nina vu le gagnant s'approcher et elle lui tendit son prix. Elle reprit son souffle et commença à s'éloigner du pupitre.
           Seulement, ce Jérôme l'interpella et elle ne voulu pas se montrer impolie par rapport à lui.

« Attendez ! Votre réponse m'intéresse, lança-t-il. D'où commencent vos histoires ?
— Du même endroit que vous. »

           L'ensemble de la salle attendit la suite de sa phrase qui resta en suspend.
           Les journalistes filmèrent et tendirent leur micro, s'attendant probablement à une vulgarité, due à sa colère. Nina n'était pas comme cela et elle ne leur donnerait pas le plaisir de lui donner une mauvaise image.
           Elle reprit donc sa réponse, à laquelle elle avait fortement réfléchit :

« De la langue française... »