Prologue

23h52

La musique, du rap aux basses bien trop fortes, faisait danser l'alcool dans les verres et les adolescents. Evan évitait ses camarades de classe à moitié ivres pour se glisser sur la dernière place vide du canapé anthracite, tâché çà et là de gouttes de vodka.

Avec ses cheveux bruns en bataille et ses yeux ambrés, il avait l'air d'un adorable garçon. Son visage ovale, légèrement rebondi au niveau des joues, miraculeusement épargné par l'acné, lui faisait garder un charme enfantin malgré ses quinze ans et son entrée en seconde depuis cinq mois.

Il porta son verre à ses lèvres et but plusieurs gorgées de rhum en réfléchissant, jetant des regards à gauche et à droite. Il priait pour que cette soirée se termine le plus vite possible. Tous les élèves lui semblaient soudain hostiles et les simples regards se transformaient en lames aiguisés. Clémence aida Emma et Pauline à monter sur la table basse du salon et il les regarda danser quelques secondes. Tout le monde semblait si inconscient de ce qu'il se déroulait près d'eux. Il allait mourir !

Evan se força à prendre une longue inspiration et regarda son téléphone. 23h54. Romain n'allait pas tarder à le rejoindre. L'adolescent émit un rire ironique. Avait-il vraiment encore envie de le voir ? Avec tout ce qu'il s'était passé, rien n'était moins sûr.

Il haussa les épaules. À quoi bon, autant partir en beauté, au point où il en était. Ses yeux parcourent la foule mais il ne vit aucune trace de Romain. Peut-être l'attendait-il déjà sur la terrasse ?

Evan fit demi-tour en direction du lieu de rendez-vous, quitta le salon bondé et sortit dans l'air froid de l'hiver, à travers l'immense porte fenêtre. Le temps était froid mais sec. Le ciel d'encre, sans étoiles, se reflétait dans la piscine chauffée de la maison.

- Sacrée baraque Arthur, murmura l'adolescent pour lui-même.

Il vida son verre d'un coup avant d'inspirer lentement. La dernière soirée auquel il avait participé commençait à remonter et elle ne s'était pas terminée comme il l'avait espéré. Celle-là ne s'était pas non plus déroulée comme prévu.

La musique s'entendait, bien plus calme loin des enceintes et Evan chantonna les paroles. De là où il se tenait, personne du salon n'était en mesure de le voir. Tous ses camarades de classes préféraient la chaleur de la maison au froid et à la solitude de la nuit.

- Tu profites de la soirée ?

Evan se retourna d'un bond vers la voix. Il l'aurait reconnu entre mille et prit soudain peur. Il cria de panique quand des bras encerclèrent ses poignets, l'empêchant de se débattre.

- Ça, c'est pour ce que tu lui as fait enculer.

Un objet lourd, un morceau de bois de cheminée lui heurta le crâne. Evan perdit connaissance, sombrant dans un noir aussi profond que celui du ciel.

***

Edgar ouvrit les yeux et posa doucement sa main sur son front.

- Nique sa mère le mal de tête.

Il se redressa sur le canapé où il s'était endormi la veille, trop bourré pour monter les escaliers. Il se leva en s'étirant, faisant craquer ses os. Son regard brun tomba sur la table basse où traînait des cadavres de bouteilles et des paquets de chips éventrés. Le blondinet se pencha et récupéra une poignée de chips avec nonchalance. Cette soirée l'avait achevé, il n'avait pas l'habitude de boire autant. Il bailla bruyamment en pensant qu'un peu d'air frais lui ferait du bien pour remettre ses idées en places. Il enjamba les gobelets tombés au sol et jura quand il mit le pied dans une flaque d'alcool. Il le secoua avec rage et shoota dans le gobelet qui vint se fracasser contre la télévision.

- But, murmura le joueur de foot.

Edgar ouvrit la porte fenêtre d'un coup d'épaule et sortit sur la terrasse. Le bois de celle-ci entourait la piscine telle une enceinte protectrice. Quelques buissons laissés sauvages protégeaient la famille d'Arthur des regards extérieurs.

Un vent froid fit trembloter le blondinet qui entoura ses épaules de ses bras. Le ciel gris, menaçant, laissait prévoir un orage. Le regard d'Edgar retomba sur la piscine, ses yeux s'écarquillèrent et sa bouche s'ouvrit sans faire un son, comme un poisson hors de l'eau.

- Evan ?

Un mince souffle sortit de ses lèvres, créant de la condensation devant son visage. Le cadavre d'Evan flottait sur le ventre, au milieu de la piscine. Ses mains, aussi pâles que le jour levant, s'enfonçaient légèrement à la surface de l'eau. Son T-shirt noir s'évasait autour de son corps, linceul de mort protégeant son torse. On ne pouvait voir son visage pâle et ses yeux écarquillés, aux veines rouge sang, regardant de leur couleur éteinte, un autre monde inconnu des mortels. L'eau transformait cette scène, déformant le corps tel un ange de la mort, la rendant irréelle.

Edgar marcha en tremblant jusqu'à la piscine et tomba sur les genoux. Son corps était secoué de convulsions incontrôlées et il ouvrit la bouche.

Un hurlement inhumain s'échappa de ses lèvres, résonnant dans le quartier ; transformant ce cri en un grognement de bête agonisante. Plusieurs adolescents se réveillèrent en sursaut et descendirent en courant.

- Evan...

Edgar murmura le prénom de son meilleur ami, tel une litanie mortuaire. Il ne croyait pas ce qu'il voyait, il ne voulait pas y croire.

- Evan...

Des larmes roulaient à présent sur ses joues gelées par le froid.

- Oh mon dieu.

Edgar ne se tourna pas vers la voix, son regard était soudé sur le cadavre d'Evan, il ne pouvait pas se détourner. Un autre hurlement répondit au sien quand un petit groupe de filles sortirent sur la terrasse.

Un silence pesant tomba sur le groupe. Tous regardaient Evan avec la peur au ventre. Un grand garçon à la peau mat sortit du petit groupe d'observateur et vint poser ses mains sur les épaules tremblantes d'Edgar. Il s'assit à côté de lui et son regard chocolat emplit de tristesse se remplit de larmes.

- Edgar ? chuchota la voix tremblante de Romain.

Son petit ami ne répondit rien mais se jeta dans ses bras.

- Il faut appeler la police !

Les adolescents anesthésiés et abasourdit par la tristesse se retournèrent vers Pauline. La petite blonde composait le quinze, ses fins doigts tremblant sur l'écran tactile de son nouvel IPhone X. Elle essuya d'un revers de manche les larmes qui coulaient sur son visage, étalant son mascara sur sa peau bronzée.

- Allô ? dit-elle d'une voix tremblante. 

Edgar ne suivait pas la conversation, sa tête plaquée contre le torse de Romain, les yeux toujours visés sur le cadavre flottant et pâle de son meilleur ami.

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