5. Le secret d'Evan

Le vent glacé du mois de janvier faisait accélérer Valentine. Elle glissa ses mains dans les poches de son manteau brun clair en levant la tête, ses longs cheveux balayés par les rafales. Elle tourna à l'angle de la rue et pesta quand ses cheveux lui arrivèrent dans le visage.

Le chemin jusqu'à l'arrêt de bus lui semblait plus long que d'habitude. Valentine accéléra encore le pas et s'arrêta bientôt devant le portail vert immense de chez Evan.

Elle cherchera avec difficulté la sonnette, cachée par le lierre grimpant le long du mur. La lycéenne soupira un grand coup avant de sonner. Son père lui avait ordonné d'aller présenter ses condoléances à la famille d'Evan personnellement et c'est pourquoi elle était là, à attendre en frissonnant que quelqu'un veuille bien lui ouvrir la porte.

Le portail s'ouvrit en grinçant et une femme en noir lui ouvrit. Seul le bond sale des cheveux de la mère d'Evan contrastait avec le reste de sa tenue.

- Bonjour, que puis-je faire pour toi ? demanda-t-elle d'une voix encore chargée de larmes.

Valentine afficha un sourire poli et le mensonge parti tout seul.

- Bonjour, désolé de vous déranger. J'étais une amie d'Evan et...

- Je t'en prie entre, la coupa Stéphanie, retenant un sanglot quand elle entendit le prénom de son fils.

L'amie d'Evan suivit la femme en deuil jusqu'à la maison. Elles enlevèrent leurs manteaux et Stéphanie se tourna vers son invitée surprise tout en la guidant vers le salon.

La pièce de jour était occupée par un canapé en L de cuir blanc face à une télévision incurvée. L'écran, sans le son, était allumé sur France 2. Des paquets de cigarettes et des boîtes de cigarettes électroniques étaient jetés çà et là sur la table basse où sur les bibliothèques disposées aux angles de la pièce. Le salon et toute la maison était baignée dans un voile noir de deuil où les boîtes de mouchoirs étaient devenue le Graal de Stéphanie, atteinte sans prévenir de crises de larmes.

- Je suis vraiment heureuse d'accueillir une amie de mon fils.

Eh ben ça se voit pas... pensa ironiquement Valentine en observant son visage affaissé et ses yeux bouffis avant de se réprimander mentalement. De plus elle n'était pas vraiment amie avec Evan, plus camarade de classe qu'autre chose.

- Je tenais à vous présenter mes condoléances. Je n'ai pas eu l'occasion de vous les présenter personnellement le jour de l'enterrement.

- Je te remercie de cette attention.

Elle sourit dans le vide et son regard se perdit vers le plafond. Valentine sentit la gêne monter en elle mais garda un sourire poli. Elle s'apprêta à s'éclipser quand Stéphanie revient subitement sur terre.

- Veux-tu quelque chose à boire ? Un thé, un café ?

- Non ça ne sera pas nécessaire merci.

La mère d'Evan insista, les larmes aux yeux et l'adolescente se sentit obligée d'accepter, Stéphanie avait sûrement besoin de parler. La mère d'Evan mit la casserole sur la plaque pour son thé avant de se tourner vers son invité.

- Est-ce que tu veux voir sa chambre ?

- Si ça ne vous dérange pas, répondit Valentine surprise.

Stéphanie la guida à l'étage avant de la faire entrer dans une pièce de taille moyenne. Les murs de la chambre étaient peints en gris acier et blanc. Un frisson de malaise parcourus l'adolescente quand elle vit un maillot et un short de foot jetés sûrement par Evan sur le lit. Des feuilles de cours traînaient au hasard sur le bureau couleur bois ainsi que des bibelots poussiéreux. Une échappe bleu azur au couleur du Racing Club de Strasbourg pendait sur une des poignées de son armoire. Rien n'avait bougé depuis sa mort.

Stéphanie resta sur le seuil de la porte, entrer dans cette chambre lui était inenvisageable pour le moment. Absolument tout lui rappelait son fils disparu. Un bip strident retentit au milieu du silence et la mère d'Evan sursauta.

- C'est l'eau qui a débordée de la casserole. J'en ai pour deux minutes.

Stéphanie disparut dans le couloir et Valentine regardait autour d'elle, son cerveau enregistrant les moindres détails de la chambre du défunt. Elle prit son téléphone portable et mitrailla la pièce de photo. Elle tapait nerveusement du pied sur le parquet, sa curiosité piquée au vif.

- Oh et puis merde.

Valentine s'approcha sur la pointe des pieds du bureau, guettant les moindres bruits suspects. Elle fut rassurée d'entendre seulement l'horloge du couloir et ouvrit le premier tiroir du bureau. Rien d'intéressant.

La curieuse fouilla tous les tiroirs, déplaçant ensuite les divers objets et feuilles qui traînaient sur le bureau avant de les remettre en place. Quand le bureau fut terminé d'être fouillé, c'est comme si elle n'y avait jamais touché.

Il fallait bien dire qu'elle tenait cette habitude de curiosité tellement colossale que rien ne lui échappait, associée à une excellente mémoire visuelle qui lui permettait de fouiller n'importe quoi sans jamais se faire remarquer. Certains prenaient cela pour un défaut, elle préférait appeler cela un don.

Elle fouilla ensuite sous le lit, derrière la seule affiche qu'il y avait sur les murs mais rien. Elle paniqua quand elle crut entendre des bruits de pas mais il ne s'agissait que de son imagination.

- Ce n'est pas possible. Tu ne peux pas ne rien avoir à cacher Evan, pas avec tout ce que j'ai entendu sur toi. Réfléchis Valentine... Si je dois cacher quelque chose, je le cacherais où ?

Son regard se posa immédiatement sur l'armoire. Après avoir tendu l'oreille pour être sûr que personne ne venait, Valentine ouvrit les portes du meuble et regarda le linge de maison. Elle se mit sur la pointe des pieds, passa la main par-dessus une couette et un sourire satisfait se peignit sur ses lèvres.

- Bingo, murmura-t-elle.

Valentine récupéra la chaise de bureau d'Evan et s'en servit pour atteindre la boîte qu'elle avait sentie sous sa main. Elle la retira délicatement et l'ouvrit. Une odeur particulière lui monta au nez.

- Eh merde...

De la drogue, c'était cela le secret d'Evan. Elle s'assit sur la chaise, jeta un regard vers la porte et fouilla dans la boîte. La curieuse sortie un papier plier en quatre et le déplia. Elle le parcourut rapidement et fronça les sourcils quand elle vit apparaître des initiatives, rangées par ordre alphabétiques. La liste comportait une dizaine de noms avec un montant en euros à côté. Valentine se demanda à quoi ces montants pouvaient correspondre. Elle savait qu'Evan faisait des soirées ou les joints et l'alcool coulaient à flot.

- Étrange.

Ses yeux remontèrent sur le haut du papier. Il y avait seulement écrit une simple date, 13 décembre 2018. Valentine mit à nouveau la main dans la boîte mais elle releva d'un coup la tête en fermant les yeux. Elle fit abstraction du bruit de son cœur battant à la chamade dans sa poitrine et entendit les discrets pas de la mère d'Evan qui montait les escaliers.

- Merde, merde, merde !

Elle se leva d'un bond, glissa sans aucun remord le morceau de papier dans sa poche, referma la boîte et la remis à sa place. Elle sauta ensuite discrètement de la chaise et la remit en place devant le bureau. Valentine se jeta sur les portes de l'armoire et les referma avant de s'adosser contre avec un air faussement perdu dans ses pensées.

- Je suis désolée, s'excusa la mère d'Evan quand elle arriva dans la chambre, tout cela a pris bien plus de temps que prévu.

La voleuse rassura poliment Stéphanie et elles quittèrent les lieux avant de s'installer dans la cuisine. Quand elle vit que le regard de Valentine s'était fixé sur les nombreux vases replis de fleurs, Stéphanie évoqua avec tristesse ses journées passés seule depuis que son mari était reparti travailler, à s'occuper des fleurs pour ne pas qu'elles se fanent.

- Parfois je me demande si je m'en relèverais, murmura-t-elle pour elle-même.

Valentine préféra se taire plutôt que de donner des conseils bateau. Il y avait une énorme différence entre conseiller ses amies sur un garçon et consoler une mère en deuil.

Quand la sonnette retentit une seconde fois depuis le début d'après-midi, Stéphanie se rappela subitement la visite d'Éric Nass.

- Je suis désolée Valentine mais tu vas devoir partir.

La mère d'Evan la remercia encore une fois et Valentine quitta avec soulagement la maison. Quand elle croisa le regard attentif du policier, l'adolescente se dépêcha de prendre congé, craignant que la culpabilité enflant dans sa poitrine ne se lise sur son visage.

Elle se remémora les détails de la chambre d'Evan et regarda les photos qu'elle avait prise sur le chemin du retour.

Elle prit soudain conscience de ce qu'elle avait fait. Cela dépassait tous les autres niveaux de fouille qu'elle avait effectuée depuis son plus jeune âge. Après tout Evan avait été tué. Elle passa sa main contre sa poche. Les mystérieuses inutiles et les confidences de Lisa lui revinrent en tête. La dispute entre Romain et Arthur et maintenant ça. Dans quoi encore sa curiosité l'avait-elle embarquée ?

***

Éric Nass ouvrit l'armoire de la chambre d'Evan et fouilla dans chaque recoin. Il dégagea une couette et trouva une boîte. Il l'enleva et l'ouvrit.

- Vous avez trouvé quelque chose ? demanda Stéphanie, restée sur le pas de la porte.

- Je crois bien oui, déclara le policier en examinant le contenu.

Il sorti de la pièce avec la mère de la victime et descendit jusqu'à la cuisine. Ils s'installèrent à la table de la cuisine et Stéphanie raclait nerveusement sa cuillère contre les parois de sa tasse de thé. Éric ne savait pas vraiment comment aborder le sujet. Ses parents étaient-ils au courant ?

- Votre fils avait-il des liens quelconques avec des produits illicites ? questionna-t-il pour prendre la température.

- Mon mari et moi fumons, ce n'est pas improbable qu'il nous ait volé des cigarettes de temps à autre.

Le regard d'Éric tomba sur les innombrables paquets de cigarettes du salon et il glissa la boîte ouverte sous les yeux de Stéphanie.

- Je vous parle de drogue.

La mère d'Evan écarquilla les yeux et laissa tomber sa cuillère dans son thé.

- Je ne le savais pas, murmura-t-elle en repoussant la boîte le plus loin possible d'elle.

Éric sortit son carnet et pris une nouvelle page.

- Comment se comportait votre fils avant sa disparition.

- Il est...

Stéphanie se leva brusquement et récupéra un paquet de mouchoir avant de retourner s'asseoir.

- Il était normal. Quoique peut être un peu plus distant et inquiet.

Éric nota ces informations. Elles ne lui n'étaient pas d'une grande utilité à l'heure actuelle. Il n'avait que très peu de piste et celle de la drogue ne lui semblait pas probable. Il espérait que les interrogatoires des autres élèves de la classe pourraient le faire avancer, voir même que le coupable se dénonce.

Stéphanie se moucha, sortant Éric de ses pensées.

- J'ai une dernière question.

La femme en larme releva la tête et acquiesça.

- Evan vous parlait-il de lui ? Que ce soient des problèmes personnels, ses cours, des relations amoureuses.

La mère en deuil prit le temps de réfléchir avant de prendre la parole, son regard tourné vers le passé. Le policier repensa soudainement à la scène de crime. Des gens auraient pu s'introduire chez Arthur pour tuer Evan ou ce scénario était trop improbable ? Il avait déjà une vingtaine de suspects, trente-quatre si l'on comptait l'intégralité de la classe. Trente-quatre possible mobiles, trente-quatre potentiels tueurs.

- Il restait très discret sur sa vie hors de la maison et nous lui laissions la liberté de ne rien dire. Il ne m'a parlé qu'une fois d'une fille dont il semblait amoureux mais quand je lui ai reposé des questions sur elle, il m'a ignoré.

Crime passionnel ? L'information fut rapidement notée dans le carnet.

- Il vous a dit clairement être amoureux ?

Stéphanie planta son regard dans celui de l'enquêteur.

- J'étais sa mère, certains signes ne trompent pas.

- Comment s'appelait-elle ?

- Je ne sais pas, il ne me l'a pas dit.

Elle secoua la tête et Éric la remercia avant de prendre congé. Elle le guida jusqu'à la sortie et l'attrapa par le bras avant qu'il ne parte.

- Vous pensez que si nous lui avions demandés plus souvent des comptes avec mon mari, il serait toujours en vie ?

- Je n'en sais rien madame. Je suis sincèrement désolé pour vous.

Il la laissa en larme devant la porte et quitta les lieux. Il posa la boîte sur le siège passager et souffla profondément en posant sa tête sur le siège. La détresse des proches des victimes ne le laissait jamais indifférent. Il démarra quand il vit le visage de Stéphanie à la fenêtre. Les parents d'Evan ne pouvaient plus rien faire pour l'aider, il ne restait donc plus que ses amis. Ses yeux tombèrent sûr la boîte, lesquels de ses amis étaient au courant ? Éric pensa soudainement à Edgar. Lui aurait-il caché délibérément cette information ?

Il arrêta de réfléchir pour se concentrer sur sa conduite.

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