41. Ne me laisse pas
Les deux adolescents assis sur le lit se jaugeaient en silence, chacun ayant peur de commencer à parler. Edgar observait la chambre de Romain, réalisant que c'était à cet endroit que le jeune homme avait failli mourir.
Ils avaient quitté le lycée en même temps que les milles huit cents autres élèves au moment de l'annonce du proviseur. La peur de la psychose avait poussé l'homme à renvoyer au plus vite tous les lycéens chez eux. La main d'Edgar passa délicatement dans les cheveux de Romain mais il le repoussa doucement.
- Faut qu'on parle, annonça l'hôte, soudain grave.
Edgar n'avait aucun doute qu'il allait s'agir de la mort de Sarah.
- De quoi tu veux me parler ?
- De la mort de Sarah. Edgar, je sais que t'as quelque chose à voir avec ça je ne suis pas stupide.
L'intéressé ferma les yeux quelques secondes. Comment Romain allait-il réagir ?
- Tu crois que je l'ai tué ?
L'attaque frappa Romain qui dévisagea son petit ami un petit moment.
- T'as même pas dit non, réalisa Edgar avec tristesse. Tu me crois capable de tuer volontairement c'est ça ?
- Ça veut dire que c'était pas volontaire ?
- Romain, je...
Il avança la main vers celui qu'il aimait mais l'intéressé se leva d'un bond.
- Mais dis-moi je t'en supplie ! Je veux savoir ce qu'il s'est passé. Je veux comprendre ! cria Romain quand Edgar se leva à son tour.
Ils étaient à présent tous les deux debout, face à face. L'horreur de la situation noua la gorge d'Edgar. Une larme coula sur sa joue quand il raconta ce qu'il s'était passé.
- J'ai pas fait exprès je te jure ! Elle disait des trucs horribles sur toi et j'ai craqué ! Je l'ai frappé mais je n'ai jamais voulu ce qu'il lui ait arrivé ! Elle a basculé et elle est tombée. Je te jure que je ne voulais pas ça...
Edgar attendait que Romain dise quelque chose, n'importe quoi.
- Dis quelque chose, supplia Edgar.
- Je...
Ils se regardèrent longuement sans rien dire. Edgar fit un pas vers Romain qui recula, les mains tremblantes et une peur sourde dans le regard. Le blondinet senti son cœur se briser et les larmes lui montèrent aux yeux.
- Je te jure que je suis désolé.
- Comment ? demanda Romain.
Edgar se força à revivre le moment horrible où il avait commis l'irréparable.
- Sa tête à heurté la rampe quand elle a basculé. C'est parce que je l'ai poussée.
S'approchant encore de Romain, Edgar marchait pas à pas, doucement.
- Je n'ai jamais voulu ce qu'il est arrivé, promis l'assassin de Sarah. C'était un accident ! Un putain d'accident !
Son petit ami recula encore mais se retrouva adossé contre le mur. Les larmes traçaient des sillons silencieux sur sa peau mate. Le silence les enveloppait de ses bras épais. Ce n'était pas le silence qu'ils connaissaient entre eux, il s'agissait d'un autre genre, un mutisme de terreur. La peur du rejet et de la vérité implacable des événements.
Leur regard se croisèrent, une seule question resta en suspend entre eux. Et maintenant ?
- Je ne sais pas si c'est possible. T'as tué quelqu'un Edgar.
Un coup de poignard, comme un nouveau meurtre, celui de la passion. Edgar se senti sombrer plus loin que les abysses, Romain le repoussait.
- Mais je l'ai fait pour toi, murmura-il, désespéré.
- Je crois que c'est ça le pire. Je t'ai pas dit qui avait filmé la vidéo parce que je savais que tu pourrais faire une connerie.
- Et maintenant, pour nous deux ?
Il y eu un court silence uniquement brisé par la voix de Romain, mettant définitivement fin aux espoirs d'Edgar.
- Je... je ne sais pas.
Leurs iris baignées de larmes se croisèrent et Edgar baissa les yeux devant l'intensité du regard de Romain. Qu'allait-il faire maintenant ? Son petit ami venait de le rejeter, il avait peur de lui.
- Je vais aller voir la police. Me dénoncer.
Edgar pris ses affaires devant le regard inexpressif de son petit ami et quitta la maison, accompagné du vide dans son cœur. La porte d'entrée claqua, il était parti. Romain frappa du poing le mur avant de se laisser glisser au sol, les larmes brouillant sa vue. Il ne lui restait plus rien, tout avait tourné au cauchemar.
Marchant dans le froid, Edgar pris la direction du poste de police le plus proche. Rien ne lui importait à ce moment, même pas le regard de sa famille quand ils apprendront la terrible nouvelle. Il aurait préféré se taire, ne jamais rien avouer mais Romain avait tellement insisté. Pourquoi avait-il avoué ?
Rien de tout cela ne se serait passé s'il avait gardé le silence. Le poids de son acte le frappa soudain de plein fouet. Il n'y avait pas réfléchi un seul instant depuis la matinée, trop occupé à vouloir à tout prix oublier. Il avait tué Sarah, certes pas volontairement mais le fait restait le même.
Se taire à jamais pour échapper aux conséquences lui semblait plus simple mais pendant combien de temps tiendrait-il le secret, ravagé par la culpabilité ? De plus, à présent il était seul avec lui-même, avec son acte. Romain l'avait laissé alors qu'il avait tellement besoin de lui. Il ne comprenait pas, Edgar ne lui en voulait pas. Comment aurait-il réagi à sa place ? C'était facile de juger les actes de son petit ami sans les avoir vécus et Edgar préféra croire qu'il aurait fait de même.
Quand il releva la tête, le blondinet se trouva face au poste. Le vent se leva, dressant ses cheveux trop longs sur sa tête. Il devait profiter de son dernier moment de liberté, après... Ne préférant pas y penser, Edgar s'avança vers le bâtiment.
- Edgar !
Une voix derrière lui retenti dans la rue vide. Quelqu'un l'attrapa par le bras et le blondinet tourna de quatre-vingt-dix degrés pour se retrouver face Romain. Son petit ami posa ses mains refroidis par le vent de janvier sur ses joues.
- Ne fait pas ça, supplia Romain. Je ne sais pas ce que je ferai sans toi.
Les mains posées sur ses joues lui firent relever la tête pour que les yeux des deux garçons se croisent.
- Tu vivras ta vie sans moi, comme si je n'avais jamais existé à tes yeux, répliqua Edgar, résigné.
Romain colla son front à celui de son petit ami et chuchota d'une voix tremblante :
- Je ne pourrais jamais faire ça.
- Qu'est-ce que t'en sais ? Tu vivais très bien sans moi avant de me connaître.
Le ton froid d'Edgar fit tressaillir Romain qui s'appuya encore plus contre le corps de son petit ami.
- Laisse-moi parler, commença-t-il. Tu m'as aidé à m'assumer, à oser être ce que je suis alors que ma famille m'écrasait avec toutes leurs valeurs et leurs modèles de perfection. Grâce à toi, j'ai assumé. Malgré toutes les réflexions, les regards et les silences, je l'ai fait. C'est seulement grâce à toi et si tu disparais de ma vie, je ne crois pas que j'aurais encore la force de le faire. Je ne veux pas retourner dans le placard. J'ai peur que si t'es plus à mes côtés, je n'aurais plus le courage d'être moi.
Edgar se détacha de Romain et planta son regard dans celui de son petit ami. De fines gouttes de pluie tombaient à présent sur eux.
- Bien sûr que si.
Le ton cassant ne fit pas reculer Romain qui répliqua avec encore plus de véhémence :
- Arrête de dire ça ! Je t'aime putain et j'ai pas envie que tu finisses dans une prison pourrie à cause de moi. La vérité c'est que je ne me sens pas prêt à assumer mon homosexualité tout seul. J'ai peur du regard des autres mais quand je suis avec toi il disparaît, plus rien de compte à part toi. Je t'en supplie me laisse pas tout seul, pas maintenant.
- Donc c'est la seule chose qui t'importe ? Rester avec moi pour ne pas avoir à voir le dégoût des autres ?
Une expression de profonde tristesse traversa le regard de Romain. Il l'avait blessé mais c'était sûrement mieux. Si son petit ami le détestait, cela rendrait les choses plus simples pour Edgar.
- Non ! Je n'ai pas dit ça.
- Te fatigue pas, j'ai compris.
Tournant les talons, Edgar s'approcha encore du poste de police. Il essuya les larmes qui roulaient sur sa joue, regrettant de blesser ainsi celui qu'il aimait. Il espérait secrètement que son petit ami l'arrête. Son vœu fut exaucé quand Romain lui barra la route.
La pluie s'intensifia, mouillant à présent sans problème leur vêtements. Certains passants coururent se réfugier sous les porches les plus proches. La force des éléments était le dernier problème de Romain qui attrapa Edgar par les épaules. La seule chose qui comptait pour lui était de l'empêcher de passer les portes du commissariat.
- Je ne sais pas combien de temps ça prendra pour oublier, peut-être jamais, mais je ne veux pas te perdre. C'est de ma faute tout ça, alors écoute ce que j'ai à te dire ok ? Je sais que ça va être dur de passer au-dessus de cette année et de la mort de Sarah mais je veux y arriver.
- Tu seras prêt à vivre tous les jours au côté d'un meurtrier ?
- Oui, parce que c'est toi. Et si un jour la police découvre que c'est toi qui l'a tué alors on ira à deux en prison.
Ils joignirent leurs mains et un maigre sourire naquit sur le visage ruisselant de pluie et de larmes d'Edgar.
- On va avancer ensemble, promit Romain. Tu m'as protégé alors à mon tour de le faire. Viens avec moi, s'il te plaît.
Est-ce que faire demi-tour faisait de lui une mauvaise personne ? A cet instant précis, Edgar s'en fichait éperdument. Seul comptait l'amour brillant dans le regard de Romain. Un amour sincère, sans peur, sans jugement. Juste le regard du garçon qui le faisait vibrer.
La pluie redoubla d'intensité et le vent mugit aux oreilles des deux adolescents. C'était le moment idéal. Edgar sauta sur les lèvres de Romain avant de le plaquer contre lui, intensifiant toujours plus leur baisé. Un éclair illumina le ciel au-dessus d'eux mais rien d'autre que leur langue s'effleurant ne comptait pour eux.
***
Blottit dans les bras de Valentine, William se laissait cajoler, écoutant distraitement l'orage frapper à la fenêtre. La rousse glissait ses mains dans ses cheveux et sur sa joue. Il ne pouvait s'empêcher de repenser à son interrogatoire, à son silence toujours plus pesant. Il lui avait avoué pour le harcèlement. Était-il prêt à lui faire part du reste ? Il avait tout avoué à Maxime et au policier, pourquoi pas à elle ?
- J'ai quelque chose à te dire, finit par chuchoter William du bout des lèvres.
La phrase s'était échappée toute seule et il était désormais impossible de faire machine arrière.
- Oui ? demanda la jeune femme en plissant les yeux.
- Je... je ne t'ai pas tout dit pour Evan.
William se redressa sur le lit et fit face au regard inquiet de sa petite amie. Des images surgirent soudain dans son esprit et il baissa la tête, les larmes aux yeux. Quand la main de Valentine se glissa sous son menton, un frisson le ramena à la réalité. L'adolescente releva du bout des doigts la tête de son petit ami vers elle, le questionnant du regard.
- Evan... il... il m'a...
- Calme toi, prends ton temps, chuchota-t-elle.
William se força à avaler la boule qu'il avait dans la gorge et hocha la tête. Il n'essaya même pas d'essuyer les larmes qui coulaient sur ses joues.
- Evan m'a touché, réussit à murmurer le petit blond.
- Depuis quand ?
- Depuis octobre. Il... William plaqua sa main sur sa bouche pour contenir ses sanglots.
- Chut...
Valentine le prit contre elle et caressa son dos longuement, jusqu'à ce que William se sente prêt à continuer.
- Il me forçait à l'embrasser, à le toucher. Il profitait de quand on était seuls dans les vestiaires pour me toucher et me forcer à faire des choses.
Les images qui infestaient le cerveau de William étaient trop violente, source d'humiliation et de terreur à ses yeux pour oser entrer dans les détails.
- À la soirée, il a essayé de me violer quand t'étais parti chercher un truc pour ma tête.
- Il a essayé ?
- Il ne l'a pas fait, t'es revenue à temps.
- Mon dieu William.
Valentine glissa ses mains sur ses joues et le regarda longuement dans les yeux, des larmes également pleins les iris et un violent ressentiment envers Evan. A présent la phrase d'Axel prenait tout son sens. Mais comment avait-il su ?
- Pourquoi tu ne m'as rien dit ? questionna-t-elle d'une voix douce.
- J'avais peur que tu comprennes pas, que t'ai honte de moi et que tu me largues. Même quand tu m'embrassais, je sentais le parfum d'Evan au lieu du tien.
- Oh William.
Le petit blond se jeta dans ses bras et cacha sa tête dans son cou. Ils restèrent sans rien dire et sans bouger pendant un long moment.
- Merci, finit par chuchoter Valentine. Merci de m'avoir parlé. Je te promets que rien ne changera, à part mon envie de t'embrasser pour faire disparaître Evan.
William répondit au baisé de sa petite amie avec force. Remonter la pente n'allait pas être simple, peut-être même ne guérira-t-il complètement jamais. La veille, il avait prit son courage à deux mains et avait appelé le numéro conseillé par Éric. Voir un psychologue lui faisait peur mais c'était sûrement la meilleure chose à faire pour soigner ses traumatismes.
Sauf qu'à cet instant précis, rien à part le doux parfum et les mains chaudes de Valentine ne virent perturber William.
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