38. Savoir mener la danse
Edgar entra dans la chambre d'hôpital, le sourire aux lèvres. Il embrassa Romain qui faisait sa valise.
- Besoin d'aide ?
- C'est pas de refus, dit-il avec un sourire.
Il plia un T-shirt et Edgar fit de même.
- Si tu savais comme j'ai hâte de partir. Je me suis fait tellement chier ici.
- Tu restes chez toi ?
- Une semaine et si tout va bien je peux retourner au lycée.
Le visage de Romain s'était assombri. Edgar posa ce qu'il tenait et pris la main de son petit ami.
- Et toi qu'est-ce que tu veux ?
- Je sais pas.
Il se laissa tomber sur le lit, le regard dans le vague. Pour lui, revenir au lycée ne signifiait pas seulement revenir en cours après tout ce temps. Non, cela signifiait aussi revoir ceux qui lui avait envoyé tous les jours la vidéo, et ça il n'en voulait pas. Il ne pourrait jamais supporter de croiser le regard d'Élie, de Sarah ou même d'Arthur.
- J'ai peur, chuchota Romain, brisant le silence.
Edgar serra le poing, repensant à la conversation qu'il avait surpris. Sarah, son amie, était responsable de l'état de son petit ami.
- Je me sens tellement faible, avoua le patient d'une petite voix.
Il fallait qu'il agisse. Il lui fallait sa vengeance, elle le méritait après tout ce qu'elle avait fait subir à son petit ami. Edgar devait juste réfléchir à ce qu'il allait bien pouvoir faire. À Sarah, à Élie et à Arthur. En voyant le visage décomposé de Romain, il s'assit à côté de lui et le prit dans ses bras.
- Tu n'es pas faible chéri, au contraire. Tu as décidé de ne pas continuer dans ton envie de...
Edgar s'arrêta brusquement dans sa phrase, le mot qui avait failli lui arracher son petit ami lui faisait si peur.
- De suicide, tu peux en parler tu sais. Je me sens si con d'avoir fait ça.
D'un geste empreint de douceur, Edgar prit le menton de Romain en main et le dirigea vers lui. Leurs regards se croisèrent et Edgar afficha un sourire encourageant.
- Tu avais tes raisons, je ne te juge pas tu sais, personne ici ne le fait.
- Et au lycée ? s'inquiéta Romain.
Edgar ne s'était jamais vraiment posé la question. Bien évidemment, tout au long de la semaine, toute la classe et même d'autres élèves avaient étés là pour lui. Ils s'inquiétaient autant pour lui que pour Romain.
- Tout le monde te soutient, je te jure que ça va aller.
Tout le monde, excepté trois personnes en particulier.
Leur discussion fût interrompue par l'arrivée du père de Romain qui aida les deux adolescents à ranger les affaires du patient avant de quitter l'hôpital. Edgar avait remarqué que son petit ami n'avait aucune envie de parler devant son père et le trajet retour fut donc silencieux. Romain regardait par la fenêtre, le visage fermé et les mains serrées autour des hanses de son sac à dos.
- Il faudra qu'on aille en ville pour t'acheter un nouveau téléphone, déclara au bout d'un moment le père de Romain.
Les mains du garçon se crispèrent davantage, sous le regard inquiet d'Edgar.
- C'est pas la peine papa, je vivrais très bien sans.
Romain ne voulait plus toucher à aucune nouvelle technologie pour le reste de sa vie. Le chantage et les menaces qu'il avait subies étaient en partie de la faute de son téléphone. Ronald soupira avant de déclarer avec douceur.
- Un portable est un objet, ni bon ni mauvais, c'est seulement un morceau de plastique et des circuits électriques. C'est l'utilisation que tu en fais qui fait de cet objet quelque chose de bon ou de mauvais. Tout dans la vie est à double tranchant et c'est seulement ta manière de voir la dichotomie et ta façon d'agir qui va transformer ton objet en quelque chose de mauvais.
Edgar réfléchissait aux paroles du père de son petit ami. Il comprenait très bien les inquiétudes de Romain mais partageait également celles de son père. Il était allé tous les jours à l'hôpital pour le voir et ne pas pouvoir lui envoyer des sms lui manquait terriblement. L'inquiétude que Romain soit de nouveau tenté de se suicider le rongeait de l'intérieur. Edgar avait besoin de la présence, même virtuelle de son petit ami pour calmer sa peur. Parce que si Romain répondait à ses messages et ses appels, il était encore vivant.
- C'est juste un outil et je veux que tu ais à nouveau un portable. Je me sentirais plus tranquille, ta mère aussi, dit le père de Romain avec douceur et fermeté.
Ronald jeta un coup d'œil dans le rétroviseur avant d'ajouter.
- De même pour Edgar.
Le blondinet croisa le regard indéchiffrable de son petit ami et guida Ronald jusqu'à sa maison. Edgar referma la porte de la voiture du père de Romain et rentra chez lui. Il monta au pas de course dans sa chambre en ignorant les appels de sa mère et s'assit sur son lit. Il regardait son téléphone avec insistance depuis plusieurs minutes. Allait-il oser le faire ?
Le discours de Ronald lui revint en tête et Edgar composa le numéro de téléphone de Sarah. Il avait choisi de faire de ce téléphone portable un outil pour faire du mal, mais peu lui importait. La colère l'aveuglait quand ses doigts se promenaient sur le clavier. Prenant une grande inspiration chargée de haine et de colère, il envoya le message.
Edgar
Je sais ce que tu as fait, et je veux que tu l'avoue toi-même, face à moi.
La réponse ne tarda pas arriver.
Sarah
C'est qui ? De quoi tu me parles ? Je n'ai rien fait.
Edgar
Je veux que tu avoues tout. Je sais tout
Il envoya messages après messages, toujours la même phrase accompagnée de menaces. Il était conscient qu'il faisait exactement la même chose qu'Élie avait fait a Romain. Edgar se convainc que cela n'avait rien à voir. Il voulait seulement lui faire peur. Il avait besoin qu'elle lui avoue personnellement. Si on lui avait demandé, il aurait été incapable de savoir pourquoi. Edgar obéissait à un besoin qui le dépassait.
Il finit par abandonner quand il n'obtint plus de réponses et se promit de continuer ainsi tous les jours jusqu'à ce que Sarah avoue tout. Elle ne perdait rien pour attendre.
***
Le stylo plume tapotait rapidement contre le cahier de mathématique de Valentine. La jeune femme suivait des yeux sa professeur mais son esprit était ailleurs, occupé à se poser une seule question : Comment récupérer le carnet de note d'Éric ?
Valentine avait élaboré tout un tas de théorie plus folle les unes que les autres, irréaliste et irréalisable. Non, elle n'avait pas de pouvoir magique pour se rendre invisible, elle allait devoir procéder autrement.
Le moyen le plus simple était encore de s'introduire dans la salle de classe en l'absence du policier. D'autant plus que Valentine savait qu'il allait se chercher un café pendant les quinze minutes de récréation.
Elle observa la classe, il manquait du monde mais visiblement personne n'était en train de se faire interroger par le policier. Pourquoi était-il encore au lycée ? Son regard s'arrêta sur Élie, affalé sur sa chaise, le visage impassible. Il avait tué Evan. Un frisson se propagea dans le corps de l'adolescente qui détourna les yeux, ce n'était pas le moment d'attirer l'attention.
Valentine passa encore une fois la main sur la lettre qu'elle avait écrit la veille pour se rassurer. Ce geste lui donnait de la motivation. Il fallait qu'elle réussisse à glisser l'enveloppe dans le carnet du policier.
La lettre expliquait en détail la culpabilité de Clémence, Emma Namar et Pauline dans le meurtre du sdf. C'était tout ce qu'elle avait écrit alors qu'elle savait beaucoup d'autres choses. Pourquoi ne pas parler du meurtre d'Evan pour tout arrêter ? Arrêter cette psychose qui maintenait la classe prisonnière dans une cage de peur. Valentine ne le savait pas elle-même. Enfin si, mais c'était trop égoïste.
Elle n'avait aucune envie de parler à la police. Evan avait fait tant de mal à William, la jeune femme se demandait si ce n'était pas bien fait pour lui. Elle n'arrivait pas à avoir peur d'Élie et d'Arthur, elle comprenait tellement leur action. Peut-être aurait-elle réagi de la même manière si William lui avait tout avoué plus tôt ? Non, elle ne s'imaginait pas une seule seconde les dénoncer ; sans même sûrement le vouloir, ils avaient protégé William. Bien plus qu'elle en avait été capable.
Une pierre tombale se dessina à l'encre bleu sous sa main, suivie d'une tête de mort. Une tombe pour un monstre. La sonnerie coupa court à ses réflexions, c'était le moment où jamais. Elle se leva mais fut interrompu dans son élan par sa professeure qui exigea que l'élève note les devoirs.
Je perds du temps ! trépignait d'impatience Valentine.
Quand elle sortit enfin de la classe en bousculant les trainards, elle avait déjà perdu cinq précieuses minutes. Il ne lui en restait que dix pour quitter son bâtiment, traverser la grande cour, rentrer dans le bâtiment principal et monter les deux étages jusqu'à la salle qu'occupait le policier. Si elle réussissait bien son coup, il lui resterait tout pile cinq minutes pour fouiller le carnet d'Éric en espérant que ce dernier ne l'ai pas constamment sur lui. Passant les portes du bâtiment avec rapidité, un cri la fit se retourner.
- Valentine, attends-moi ! cria William.
Fait chier, pesta la rouquine.
Son petit ami la rattrapa avec un grand sourire qui disparut en apercevant le visage de Valentine.
- Y'a un problème ?
Se forçant à sourire, elle garda un ton neutre.
- Désolé il faut absolument que j'aille aux toilettes. On se retrouve après d'accord ?
Abandonnant William avec un dernier sourire d'excuse, elle se dépêcha de traverser la cour et de monter les deux étages. Elle était désolée de mentir ainsi a son petit ami mais elle n'avait pas le choix, elle lui avait promis de tout arrêter. Promesse qu'elle n'avait su tenir. Arrivée devant la salle de classe, la voleuse abaissa la poignée en expirant longuement. Fermé à clef.
Valentine n'abandonna pas pour autant et sortie la clef passe partout du lycée. Tous les professeurs et les femmes de ménages en possédaient une. Elle l'avait trouvé par terre et gardé pour elle en pensant que cela pourrait un jour lui servir. Tournant la clef dans la serrure, elle regarda une dernière fois autour d'elle avant de rentrer dans la pièce. Elle courut ensuite jusqu'au bureau, il lui restait pile cinq minutes.
La voleuse ouvrit un à un les tiroirs du bureau et un sourire triomphant naquit sur son visage quand l'objet de ses désirs apparut sous ses yeux. Valentine ouvrit carnet à une page au hasard et commença à lire. Elle s'aperçut vite qu'elle avait bien plus progressé qu'Éric dans l'enquête. Elle fronça les sourcils devant les interrogatoires d'Élie et Emma, côté à côté. Pourquoi accusaient-ils Romain ?
Valentine mit sa question de côté pour Élie, elle le savait très bien. Le petit ami de Sarah et Arthur avaient parlés de Romain comme d'une victime collatérale. De quoi parlaient-ils ? Du fait qu'ils l'accusaient du meurtre d'Evan ou y avait-il autre chose ?
"Je n'ai pas signé pour la mort de Romain." La phrase d'Arthur resurgit dans sa tête et Valentine y lut un tout autre sens. Quoi qu'ils lui aient fait, c'était la raison de sa tentative de suicide. Cependant pourquoi Emma accusait-elle Romain ?
Valentine se rappelait très bien qu'il s'était absenté en même temps qu'Evan sur la terrasse le soir de lu meurtre et qu'Élie et Arthur l'avaient ramené à l'intérieur à moitié assommé. Le brun avait été retrouvé le lendemain noyé dans la piscine. Peu importe l'heure précise, il avait été tué autour de minuit et tout laissait à penser que Romain avait été témoin. Elle relut les interrogatoires d'Élie et Emma pour se conforter dans son hypothèse.
Si Romain était bel et bien témoin, une pression mentale suffisamment forte aurait pu le pousser à se taire.
Voir même à commettre le pire, pensa-t-elle.
Après cela, il suffisait juste aux trois meurtriers de changer quelques détails pour faire porter le chapeau au petit ami d'Edgar.
Mais cela ne répondait pas à sa question à propos d'Emma. Son témoignage était faux, Romain et Evan ne s'étaient pas disputés au bord de la piscine, sinon elle l'aurait vu. Après la fuite de William, l'adolescente l'avait cherché partout jusqu'à se laisser tomber dans le canapé, regardant le futur assassiné s'y assoir en buvant un verre, le visage ravagé par l'inquiétude avant de se diriger vers la terrasse. Emma ne pouvait pas l'avoir vu puisque le meurtre ne pouvait être observé depuis le salon. Partageait-elle un secret avec les meurtriers ?
Non, cela ne pouvait pas être lié, à moins que... La jeune femme sorti l'enveloppe de son sac et la fixa longuement. Et si finalement tout était lié ? Si finalement Sarah était là clef ? Elle qui se trouvait sur la photo de l'urbex le soir de l'incendie. Elle qui avait participé au meurtre d'Evan. Qui faisait pression sur qui pour garder un semblant de silence ?
La sonnerie la fit sursauter et elle bondit sur ses pieds, l'adrénaline s'écoulant dans ses veines. Valentine glissa la lettre dans le carnet de note et le remis à sa place avant de quitter précipitamment la salle. Elle referma la porte au moment où les lycéens arrivèrent et disparu dans la cage d'escalier pour monter au troisième étage au moment où le policier apparut sur les marches du deuxième étage. C'est à ce moment là qu'elle se dit qu'elle venait de commettre une terrible erreur.
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