34. Aveux compromettants

La classe entra en silence et attendit debout devant les bureaux de leur classe de français après la sonnerie de 8h00. Valentine laissa traîner son regard sur la classe et se nota mentalement les absents. Il n'y avait ni Edgar ni Romain. Ses yeux tombèrent sur la place vide à côté d'Aya. Place qui restera vide jusqu'à la fin de l'année. La place d'Evan. Elle ferma les yeux et quand elle les rouvrit, le mort regardait dans sa direction avec son habituel visage inexpressif. Ils se fixèrent, le temps suspendu autour d'eux. Il inclina la tête comme il le faisait de son vivant et disparut brusquement quand la voix de Mme Demary retentit dans la classe silencieuse.

- Bonjour, vous pouvez vous asseoir.

Les élèves tirèrent d'un même mouvement leur chaises qui se mirent à crier d'une voix stridente. La voix de leur professeur était plus grave qu'ordinaire et les dernières discussions cessèrent immédiatement. Toute la classe observait son visage tiré et inquiet. La professeure posa lourdement son trieur sur son bureau et s'appuya dessus avant de regarder sa classe.

- Bon, j'ai une nouvelle à vous annoncer.

Les élèves se regardèrent avec inquiétude, pour certains, ils s'imaginaient déjà d'autre morts.

- Le lycée a reçu un coup de fil hier soir des parents de Romain.

Un silence pesant avait envahi la classe, tous les élèves étaient pendus aux lèvres de la femme en face d'eux. L'inquiétude avait pris place dans leur corps.

- Il a fait une tentative de suicide.

Des cris d'exclamation retentirent dans tous les coins de la classe et les élèves se tournent vers leurs voisins pour échanger des regards de questionnements. Valentine tourna la tête vers Lisa et fronça les sourcils quand elle vit l'expression du visage d'Élie, derrière le visage de son amie. Il semblait en intense réflexion et Sarah lui donna un coup de coude. Son petit ami se reprit et écouta avec attention la suite des paroles de la professeure.

- Il n'y a plus de raison de s'inquiéter, il n'est plus en danger. Edgar reste à son chevet jusqu'à ce qu'il aille mieux.

Le silence avait saisi la classe, les élèves encore sous le choc de cette nouvelle.

- Je comprends que vous soyez bouleversés par les événements mais ne vous tirez pas dans les pattes, ce qu'il s'est passé est déjà assez grave, ne créez pas un effet boule de neige. Je compte sur vous pour soutenir Romain quand il reviendra et je souhaite également que vous preniez soin les uns des autres. Je connais les rumeurs qui circulent sur cette classe et je n'y crois pas. L'idée d'avoir un meurtrier sous mes yeux est impossible. Bien que certains d'entre vous aient pu détester Evan, j'espère sincèrement que vous n'ayez jamais pensés à la solution extrême. Tuer n'est pas si compliqué par rapport au fait d'assumer l'acte, la preuve, personne ne s'est dénoncé. Je le répète une nouvelle fois, l'assistante sociale ou les infirmières sont prêtes à vous écouter si vous avez envie de parler. Dans ce genre de situation garder sa tristesse pour soi n'est pas la solution. Cette parenthèse nécessaire étant faite, j'aimerais revenir au cours.

***

Éric raccrocha son téléphone et soupira, il ne pouvait toujours pas voir Romain. Les drames frappaient cette classe mais malheureusement pour l'espagnol, son acte ne le rendait que plus coupable aux yeux du policier. Pourquoi vouloir se tuer à part s'il on a quelque chose à se reprocher ?

De meurtrier il passerait à victime, idéal pour brouiller les pistes. Cependant Éric devait prendre du recul, il ne pouvait pas encore prouver sa culpabilité, quelqu'un d'autre pourrait très bien se cacher derrière cette mise en scène. Mais qui ?

Il ouvrit son carnet et relut les interrogatoires, reliant dans un froncement de sourcil celui de Valentine et d'Élie. Leur point de vue au sujet de la dispute dans la cuisine divergeait. L'espionne n'avait pas mentionné de confrontation entre Evan et Romain. Pourtant Valentine se trouvait derrière la porte au moment de la dispute, comment aurait-elle raté la confrontation entre Evan et Romain ? Éric du se l'avouer, un des deux mentait. A moins bien sûr que la jeune fille ait quitté les lieux avant la fin de la dispute ou bien qu'Élie ait mal interprété un regard innocent.

Les deux possibilités semblaient plausibles mais une des deux pouvait changer la donne. Si Élie mentait, qu'en était-il du reste de son histoire ?

Il alla chercher la prochaine personne à être interrogée. Quand il ouvrit la porte de la salle de français, trente-deux visages se retournèrent vers lui. La première personne qu'il aperçut fut Élie, assis à côté de Sarah qui le regardait avec acuité, les sourcils légèrement froncés. Le regard d'Éric parcourut la classe, croisant les iris des suspects et de ceux dont il n'avait même pas pris la peine d'interroger.

- Je peux vous aider ? interrogea sobrement la professeure.

Il se retourna vers Mme Demary et lui sourit professionnellement.

- Oui, j'aimerais parler à Emma.

- Y'en a trois.

Une voix nonchalante et féminine répondit à la place de la professeure.

- Emma Namar, précisa Éric.

Une petite brunette aux lunettes rectangulaires assise au premier rang se leva en défroissant sa jupe.

- C'est moi, déclara Emma sans trembler.

Elle suivit le policier à travers les couloirs jusqu'à la salle d'interrogations. Obéissant à Éric elle s'assit bien droite sur sa chaise. Le policier ouvrit son carnet et nota le nom de la jeune femme sur la page vierge.

- Que peux-tu me dire sur la soirée du trois janvier ?

Elle ne prit même pas une seconde pour réfléchir.

- Je crois savoir qui a tué Evan, déclara-t-elle simplement.

- Vraiment ?

- Oui, c'est Romain.

Encore. Visiblement Élie ne s'était pas trompé.

- Qu'est-ce qu'il te fait dire ça ?

- Vous n'avez pas l'air surpris.

- C'est mon métier, répondit-il froidement, faisant comprendre à l'adolescente qu'elle allait trop loin. Maintenant dis-moi qu'est-ce qu'il te fait dire que Romain a tué Evan ?

Emma se renfrogna et s'enfonça dans le dossier de la chaise, perdant par la même occasion son costume de petite fille innocente. Ses yeux lançaient des éclairs derrières ses lunettes.

- Je les ai vue se disputer près de la piscine.

- Quelle heure était-il ?

Tout en croisant les jambes et ses bras sur sa poitrine elle déclara avec un brin de nonchalance.

- Minuit je dirais.

La dispute se trouvait pile dans le créneau horaire de la mort, juste après minuit confirmé par les médecins légistes.

- De quoi parlaient-ils ?

- Je n'en sais rien, dit-elle en haussant les épaules, la porte fenêtre était fermée et la musique était trop forte.

Éric nota rapidement l'information mais crut bon de chercher à en savoir plus.

- Alors qu'est-ce qu'il te fait croire qu'ils se disputaient ?

Baissant les yeux et fronçant les sourcils, Emma chercha au fond de ses souvenirs la trace de la dispute, perdue entre deux verres d'alcool.

- Ils faisaient des gestes dans tous les sens, le visage tordu de colère. Evan a même frappé Romain dans le ventre.

- Tu n'es pas intervenu ?

Elle le dévisagea, un sourcil levé, une moue méprisante sur le visage.

- C'est vrai qu'avec mes cinquante kilos je serais allée loin. Romain fait du judo et va trainer à la salle de muscu ! Qu'est-ce que j'aurais pu faire moi contre lui ? S'il avait eu envie de tuer Evan la voie était libre, il était presque aussi maigre que moi.

Dis comme cela, son argument était imparable.

- As-tu vue Romain tué Evan ?

Elle secoua la tête avant de répondre par la négative, affirmant devoir accompagnée Pauline aux toilettes pour qu'elle y vomisse. Une grimace de dégoût passa sur le visage d'Éric.

- Qu'à tu fais après t'être occupée de ton amie ?

- Je suis revenue dans le salon et j'ai vue Élie et Arthur traîner Romain vers l'étage.

Sa version des faits correspondait avec celle d'Élie mais Éric s'énervait. Y avait-il vraiment personne qui avait vu le meurtre ?

- Quelle heure était-il ?

- Je ne sais plus... minuit dix peut-être ?

Et Edgar dans tout cela ? La question le traversa subitement et il se maudit intérieurement de n'y avoir jamais pensé jusqu'à lors.

- Sais-tu ce que faisait Edgar à ce moment ? Cela me semble étrange qu'il n'ait pas accouru vers son petit ami pour l'aider.

La phrase de Lisa pendant son interrogatoire lui revint en tête : Ils sont inséparables et très attachés l'un à l'autre.

- Je crois qu'il s'était endormi sur le canapé, il avait beaucoup trop bu, expliqua Emma.

Exactement comme le blond lui avait raconté.

- Tu crois ou tu en es sûr ?

Le doute s'instilla sur le visage de la jeune fille.

- Je crois, souffla-t-elle d'une petite voix, je n'en suis pas sûre. Je ne l'ai plus vu sur le canapé après 23h45 peut-être ? Tout est très vague.

Un sourire triomphant naquit sur le visage du policier. Edgar et Romain. Le brun faisait diversion en faisant semblant de se sentir mal et son petit ami finissait le boulot. Cela pouvait très bien tenir la route. Cependant, quelque chose échappait à Eric. Quel pouvait être le mobile des deux adolescents ? Il n'avait plus qu'à interroger un deux des amoureux pour avoir toutes les réponses à ses questions et tirer cette affaire au clair. Son enquête de conclura peut-être bientôt. Il releva la tête vers Emma.

- Y a-t-il d'autres choses que tu as vues et dont tu souhaiterais me parler ?

Du rouge pivoine colora ses joues. Elle passa une main dans ses cheveux, véritablement mal à l'aise.

- J'ai... entendu une conversation étrange entre eux.

- Quand ?

Le policier n'avait aucune confiance en ce qu'allait déclarer la jeune femme.

- Quand ils étaient tous les deux dans la chambre d'Arthur.

- Tu les as espionnés quand ils couchaient ensemble ?!

La voix teintée d'indignation et de réprobation d'Éric la fit se replier sur elle-même.

- Je... je voulais voir ce que c'était, à quoi ça ressemblait, se justifia-t-elle d'une petite voix.

Éric se retint de lui coller une paire de claque et pris son visage entre ses mains en poussant un soupire de désespoir.

- Les garçons pourraient engager des poursuites contre toi pour voyeurisme, rétorqua Éric. Ça n'a rien d'un jeu, tu as violé leur intimité.

- Je suis désolée.

Un nouveau soupire traversa les lèvres du policier.

- Ce n'est pas face à moi qu'il va falloir que tu t'excuses.

- Vous allez leur dire ?!

- C'est mon métier, tu as enfreint la loi. Espionner des gens par le trou de la serrure, murmura-t-il pour lui-même.

Emma s'agita sur sa chaise, mal à l'aise et honteuse. Éric se demanda comment leur conversation pouvaient en arriver là et questionna Emma.

- Qu'à tu entendu d'étrange dans la conversation d'Edgar et Romain ?

Ravie du changement de sujet, l'adolescente reprit consistance.

- Edgar racontait qu'Evan le saoulait et Romain a répondus que le lendemain, il n'y aurait plus de problèmes.

Éric fronça les sourcils. Cette conversation entre les deux adolescents pouvait avoir deux sens. Soit Romain rassurait Edgar au sujet d'Evan et de la fin de leur dispute, soit il s'agissait d'un véritable aveu.

- Je suis partie aux toilettes et quand je suis retournée dans le couloir, j'ai vue Edgar sortir de la chambre. Quelques minutes plus tard Evan est monté et il est entré.

- Tu veux dire qu'Evan est allée dans la chambre ou Romain dormait après le départ d'Edgar ? Pourquoi ?

- Je crois qu'Evan était toujours amoureux de lui.

Voyant l'incompréhension sur le visage du policier, Emma reprit la parole.

- Au début de l'année, expliqua-t-elle, Edgar et Evan étaient tous les deux amoureux de Romain sauf que lui non plus n'arrivait pas à choisir.

- Un triangle amoureux...

- C'est ça, confirma la jeune femme en hochant la tête. Après comme vous le savez Romain est sorti avec Edgar mais je crois qu'Evan ne lui a jamais pardonné. Au début du mois de décembre, des rumeurs se sont répandus dans la classe. Apparemment Romain avait trompé son petit ami avec Evan en septembre, alors qu'ils sortaient déjà ensemble.

Cela pouvait être un bon mobile pour un meurtre, à condition qu'il ne s'agisse pas que de rumeurs.

- Et quand je suis redescendu au salon, j'ai vu Edgar remonter. Il a peut-être surpris Romain et Evan ensemble.

Le policier fronça les sourcils. Était-il possible que la victime et Romain entretenaient une liaison dans le dos d'Edgar depuis le début de l'année ? Si c'était le cas, Edgar avait très bien pu tuer son meilleur ami par jalousie. Le jeune homme avait assez de force pour assommer Evan et le jeter dans la piscine. Mais qu'en était-il de la tentative de suicide de Romain ? De la culpabilité ? De la peur ? Si Éric suivait son hypothèse, Edgar avait-il menacé son petit ami pour qu'il garde le silence ? Il devait aller parler à Romain mais il n'était pas sûr d'être autorisé à le voir. Il devait être trop fragile après ce qu'il avait tenté de faire.

Il laissa partir Emma après qu'elle lui ait affirmé de rien avoir vu de plus et se leva. S'il ne pouvait pas interroger l'Espagnol, il allait se rabattre sur Edgar.

***

Edgar caressait les cheveux de Romain, endormit dans son lit d'hôpital. Le lycéen souriait à s'en faire mal aux joues, sa joie et son soulagement ayant pris possession de tout son corps. Celui qu'il aimait était vivant, son stress était brutalement retombé, laissant la place à un bonheur sans borne. Romain s'agita un instant dans son sommeil avant d'ouvrir les yeux. Edgar posa ses lèvres sur le front de son petit ami avant de chuchoter :

- Comment tu te sens ?

- Complètement vidé, répondit-il d'un air las.

Les larmes montèrent violemment aux yeux d'Edgar sans qu'il ne comprenne pourquoi. Une perle d'eau salée roula sur sa joue, sous le regard paniqué de Romain.

- Mais je vais bien ! s'empressa-t-il d'ajouter.

Ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre et ne bougèrent plus. Edgar calma ses pleurs contre l'épaule de son petit ami en le serrant encore plus fort contre lui. La pression accumulée depuis la veille quittait lentement son corps.

- Je suis vraiment désolé, répéta encore une fois le patient depuis son réveil. J'aurais dû t'en parler et...

- C'est moi qui suis désolé Romain, le coupa Edgar. Je n'avais même pas remarqué à quel point tu allais mal.

Edgar se détacha de Romain et ils se sourirent tristement. Le blondinet monta sur le lit et se glissa à côté du patient. Romain posa doucement sa tête sur son épaule et ferma les yeux. La main d'Edgar caressait doucement ses cheveux et il sourit pour la première fois depuis un moment. Il se sentait tellement bien dans ses bras. Il était protégé.

Edgar regarda son petit ami se rendormir, blottit dans ses bras, avec une pointe de regret. Il fallait qu'il sache ce qu'il s'était réellement passé, ce que Romain avait vécu. Il avait si peur de le brusquer, le faisant se taire davantage.

Un psy devrait suivre prochainement son petit ami pour surveiller ses pensées suicidaires. Peut-être qu'il confiera tout au professionnel. Mais Edgar n'était pas le psy et il resterait dans l'ignorance si Romain refusait de lui en parler.

N'y avait-il pas quelqu'un qui pourrait l'aider ? Qui avait vue l'impossible ? Un numéro inconnu s'afficha sur son portable. Il quitta la pièce et décrocha.

- Bonjour Edgar, c'est Eric de la police nationale.

- Euh, oui bonjour, hésita le jeune homme, surprit de l'identité de son interlocuteur.

- J'aimerais que tu passes me voir au poste le plus vite possible. Cette après-midi plus exactement.

Le jeune homme se dit que l'homme voudrait lui poser des questions sur la tentative de suicide de Romain. Après tout, c'était arrivé pendant l'enquête et le policier cherchait surement un lien entre les deux. Edgar jeta un œil à l'horloge du couloir, 14h27.

- Je peux arriver vers 15h00 le temps de prendre le bus jusqu'au commissariat.

- Parfait, je t'attends.

Il raccrocha et le lycéen sentit une barre de plomb tomber dans son estomac. Il avait un mauvais pré-sentiment. 

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