31. L'attente
Edgar tapait rapidement du pied contre le sol en lino. Le stress s'était emparé de lui et ne l'avait plus quitté depuis que le père de Romain l'avait appelé. L'attente semblait durer une éternité et l'odeur d'alcool des couloirs aseptisés lui donnait mal à la tête. Son regard se perdit sur les murs blancs qui reflétaient la lueur fade des ampoules, brûlant sa rétine.
Plusieurs autres personnes attendaient, le teint pâle et les mains jointes en signe de prières. Une jeune femme pleurait dans un coin, du mascara coulant sur les joues, attirant sur elle les regards de pitié de certaines personnes. Des vieux magazines cornés et tâchés de flaque de larmes, soigneusement ignoré de tous, traînaient sur une table basse, mise en avant au centre de la pièce.
Une infirmière entra, faisant se relever les têtes et briller d'espoir les regards. Elle appela un nom et la femme qui pleurait se leva en tremblant, soutenue par l'infirmière. Elles disparurent au bout du couloir et la fébrilité revint chez tous.
Edgar tourna la tête vers les parents de Romain. Ils avaient tous deux le visage fermé et il sembla à l'adolescent qu'ils avaient vieillis de dix ans depuis qu'ils étaient arrivés. La mère de Romain serrait à s'en briser les os les anses de son sac à main. Son père quant à lui fixait le vide, perdu dans des pensées noires, s'imaginant le pire pour son fils.
Edgar pris sa tête dans ses mains et ferma les yeux. Depuis combien de temps était-il là ? Dix minutes ? Une heure ? Plusieurs jours ?
Il ne le savait plus. La seule chose qui comptait pour lui à l'heure actuelle était de voir Romain. Il avait déjà perdu Evan il ne pouvait pas mourir lui aussi. Il avait besoin de lui... Il serra d'avantage ses mains autour de sa tête. Pourquoi avait-il fait cela ? La mort d'Evan l'avait-elle autant impacté ?
Sûrement. Un sentiment de honte s'empara d'Edgar. Il était tellement fixé sur sa propre tristesse et ses propres démons qu'il n'avait même pas remarqué que son petit ami souffrait autant voire plus que lui.
Je suis le pire des petits amis, pensa-t-il avec aigreur.
Mais pourquoi aller aussi loin ? Depuis la disparition d'Evan, Edgar s'était écroulé sur Romain qui faisait de son mieux pour l'aider. Il pensait que son copain était le plus solide d'entre eux. Il avait toujours été là pour lui, Edgar n'aurait jamais pensé qu'il puise en arriver là...
Il avait si peur. Il commençait à peine à remonter la pente et faire son deuil lentement que son monde s'écroulait à nouveau. Pourquoi ne l'avait-il pas appelé après son entraînement de foot ? Il aurait pu le faire changer d'avis, le protéger.
Ses pensées revinrent inévitablement vers l'heure précédente, quand le père de Romain avait appelé. Edgar avait décroché en fronçant les sourcils. Il savait très bien que le père de son petit ami avait son numéro mais ils n'avaient jamais échangé en dehors des repas où des visites chez Romain.
En entendant la voix brisée et éteinte de Ronald, Edgar s'était mis à paniquer. À mesure qu'il apprenait le drame qui s'était déroulé chez Romain, la panique du blondinet s'était transformée en ouragan dévastateur. Il avait à peine eu la force de hurler pour que ses parents l'emmènent d'urgence à l'hôpital.
- Excusez-moi ?
Edgar releva la tête, s'extirpant difficilement des tourbillons de ses pensées.
- Oui ?
La voix lasse et inquiète de Ronald répondit après quelques secondes de silence.
- Vous pouvez le voir. Il est réveillé.
Une vague de chaleur et d'énergie traversa Edgar de part en part, le faisant bondir sur ses pieds. L'annonce avait visiblement redonné de l'énergie aux parents de Romain qui se précipitèrent à la suite de l'infirmière. Elle les mena de couloirs en couloirs, multipliant à chaque pas l'inquiétude et l'impatience de l'adolescent. Quand ils s'arrêtèrent enfin devant une porte marquée du chiffre 332 à la peinture écaillée, l'infirmière s'écarta pour les laisser entrer.
Edgar laissa les parents de Romain s'avancer en premier avant de les suivre, une barre de plomb dans l'estomac.
Il était là. Certes plus pâle que d'habitude mais vivant. Maintenant peut importait l'interminable attente, tout ira mieux. Romain eût à peine posé son regard sur les trois visiteurs qu'il éclata en sanglots.
- Je suis désolé, murmura-t-il entre deux hoquets.
Sa mère s'avança vers lui de quelques pas et le serra fort dans ses bras sans rien dire. Une larme perla sur le visage d'Edgar. Il mourait d'envie de prendre celui qu'il aimait dans ses bras mais il se retint. Ses parents étaient plus importants que lui.
Le père de Romain se joignit à la mère et au fils enlacés. Le silence était brisé seulement par les hoquets et les larmes qui coulaient maintenant sans retenue. Edgar réalisa soudain, alors que l'eau salé ruisselait sur ses joues, qu'il n'avait pas encore pleuré. Il était tellement sous le choc que cela ne lui était même pas venu à l'idée.
Quand la famille se sépara enfin, le blondinet rejoignit tout doucement le lit. Son regard croisa un instant celui de Romain avant que celui-ci ne baisse la tête.
- Je suis désolé.
- Moi aussi.
Edgar sauta au cou de Romain, l'étranglant presque tellement il serrait fort.
- Je t'aime tellement, murmura-t-il à l'oreille du patient.
Edgar pris le visage de son chéri en coupe avant de l'embrasser passionnément, avec toute la peur et l'amour qu'il ressentait pour sa moitié. Jamais il ne l'avait embrassé de cette manière, même pendant leurs parties de jambe en l'air. Ils se séparèrent à bout de souffle, les joues toutes aussi rougis que les yeux.
La mère de Romain les regardait avec attendrissement et pour la première fois son père vit en ces deux garçons qui s'aimaient quelque chose de plus fort qu'une déviance. Il voyait toute la tendresse qu'ils avaient l'un pour l'autre et se maudit d'avoir été aussi aveugle. Pourquoi avait-il attendu que son fils passe aussi près de la mort pour sortir la tête du sable ? À faire l'autruche et en réagissant si violemment à l'amour de son fils, il avait participé à sa descente aux enfers.
- Ne refais plus jamais ça, je t'en supplie, chuchota le blondinet.
Romain hocha silencieusement la tête et se cacha dans les bras d'Edgar.
- J'ai quelque chose à vous avouer, confia Romain au bout d'un certain temps de silence.
Edgar se crispa. Il n'avait aucun doute qu'il s'agissait de la réponse à la question qu'il s'était posé depuis l'appel.
- On m'a fait chanter.
- Qui ? La voix choqué et courroucé de Ronald tranchait avec le mince filet de voix tremblante de son fils.
- Je ne sais pas.
Edgar fronça les sourcils sans rien dire, se contentant de serrer plus fort le corps tremblant de Romain contre lui.
- C'était... un numéro masqué qui m'envoyait tous les jours la même vidéo.
Les parents échangèrent un regard de profonde inquiétude avant de fixer à nouveau leur fils.
- Edgar je suis désolé...
- Mais désolé pour quoi ?
Le sang pulsait aux oreilles d'Edgar et il avait l'impression que son cœur pouvait, à chaque mot prononcé, remonter dans sa gorge et s'en aller.
- C'était une vidéo de moi et de quelqu'un en train de faire l'amour...
- Quoi ?
- Je te jure que je ne m'en souviens même pas ! C'était à la soirée et, il ne termina pas sa phrase, noyée dans ses sanglots.
À la soirée, encore et toujours cette soirée.
Romain regardait Edgar avec une lueur de peur dans les yeux. Si jamais il ne comprenait pas ce qu'il avait vécu, s'il lui en voulait ?
- Pourquoi tu ne nous as rien dit depuis tout ce temps ? demanda doucement sa mère.
- Parce que si je parlais, la vidéo aurait été mise sur Internet.
- Que voulait-il avec ce chantage ? De l'argent ?
Romain se mordit la lèvre alors que des images surgissaient du plus profond de sa mémoire. Il avait tout fait pour oublier cette nuit mais elle n'en finissait pas de le hanter. Il revit aussi net que la nuit du meurtre les silhouettes seulement éclairées par la lune jeter Evan encore vivant dans la piscine pour qu'il s'y noie.
- Romain, que voulait le maître chanteur ?
- De l'argent.
Il était certain que le mensonge se lisait sur son visage mais personne ne le contredit. Il évita cependant le regard de tous et poussa un soupir de soulagement coupable quand une médecin entra dans la pièce pour faire sortir tout le monde afin qu'il se repose.
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