25. C'est lui

Comme tous les mercredis à huit heures vingt-cinq, les élèves de la seconde quatre se rendirent au premier étage pour leur premier cours de la matinée. Sauf qu'il n'y avait aucune trace de leur professeur. A la place, une feuille les attendait, scotcher sur la porte.

- Une thérapie de groupe ? s'étonna Maxime.

Plusieurs élèves de la classe levèrent les yeux au ciel en lisant le contenu de la feuille A4 placardée sur la porte de leur salle de science physique.

- A choisir, je prendrais deux heures de physique plutôt que ça, maugréa Fiona.

Des soufflements de mécontentement appuyèrent les dire de la jeune femme aux formes généreuses. Ses lunettes rondes fixaient la feuille avec dépit. Elle pesta quand des élèves plus grands lui bouchèrent la vue. La deuxième sonnerie retentis dans le couloir désormais vide. Seuls les trente-trois élèves se bousculant devant la porte amenait de la vie dans le couloir rouge sang du premier étage.

Un peu plus loin, Romain fixait ses camarades avec résignation. Cette thérapie de groupe ne lui disait rien qui vaille. Il savait déjà que les choses allaient tourner au vinaigre, c'était ainsi dans cette classe. Les fortes têtes se comptaient par dizaines et toutes avaient leur mot à dire sur la mort d'Evan.

Une main effleura la joue de Romain, le sortant de ses pensées. Edgar lui adressa un sourire éclatant avant de l'embrasser. Des sifflements et des rires bienveillants retentirent autour d'eux alors que certains "ouhhhh" résonnèrent dans le couloir.

- C'est pas pour vous emmerder Roméo et Juliette mais faut qu'on aille en salle de réunion.

Edgar fit un doigt d'honneur en direction de Maxime, qui ricana de plus belle, tout en intensifiant son baisé.

- Attends mais c'est pas Roméo et Juliette, c'est Roméo et Roméo, déclara Anthony, fière de sa blague.

Des regards épuisés dévisagèrent l'adolescent à la carrure imposante et aux cheveux noirs plaqués sur son crâne tandis qu'une seconde remarque traversa le groupe.

- Ou Juliette et Juliette, renchérit Maxime.

- Vous êtes irrécupérables les mecs, soupira Émilia.

Maxime et Anthony s'offusquèrent et une dispute sur le ton de la plaisanterie se créa entre les deux garçons et la redoublante.

- Putain les abrutis, murmura Romain contre les lèvres de son petit ami.

- Mais c'est pour ça qu'on les aime bien.

L'ambiance bonne enfant qu'il y avait entre les élèves revenait peu à peu depuis la disparition d'Evan. Le climat de peur et de soupçon se dissipait petit à petit, les lycées ayant eu le temps de digérer le choc de la mort de leur camarade.

Le groupe de classe quitta le bâtiment principal pour se rendre en salle de réunion où les attendaient deux psychologues. Une femme d'une quarantaine d'années et un homme ayant l'air de sortir de fac les installèrent en demi-cercle sur des chaises face à eux.

Les rires s'étaient évanouis et les élèves s'observaient maintenant en silence. Les volets de la grande salle étaient baissés et une faible lumière éclairait la pièce. La psychologue pris la parole devant les visages méfiants et dubitatifs des élèves.

- Bonjour, je m'appelle Karine et je suis enchanté de vous rencontrer. Je vous présente également mon collègue Nicolas.

Quelques "bonjour" polis répondirent au monologue de la femme. Ses cheveux coupés en carrés donnaient un air strict à son visage carré. Son rouge à lèvre attirait les regards, seule touche de couleur sur son visage pâle. Valentine l'observait avec intérêt, Karine lui faisait penser à Dolores Ombrage, mielleuse et souriante, image pour cacher une toute autre personnalité. Sa façon sévère de se tenir sur sa chaise et son sourire pincé lui donnait cette impression.

Nicolas, quant à lui semblait écrasé par le caractère de sa collègue. Il se tenait en retrait, ses épaules affaissées et son visage triste.

- J'aimerais, continua la psychologue, que nous discutions tous ensemble de vos ressentis par rapport à la mort d'Evan. Quelqu'un a-t-il quelque chose à partager ? Nicolas et moi ne sommes pas là pour juger mais pour vous soutenir.

Un long silence suivit le monologue de Karine. Les élèves, positionnés suivant leur groupe d'amis se dévisageaient dans l'attente que l'un d'entre eux parle.

- Je ne crois pas qu'il y ait grand-chose à dire, déclara Margaux avec aplomb, légèrement à l'écart de tous.

- C'est toi qui dis ça ? Tout le monde sait que c'est toi qui l'as tué.

Le ton tranchant de Fiona coupa l'air qui devint soudainement lourd. Margaux encaissa le coup en silence, ses yeux bruns envoyant des éclairs à sa détractrice. Les esprits s'échauffaient, électrisant la pièce.

- Tu peux parler Fiona, tu le détestais autant que Margaux, accusa Sarah.

- Mais au moins moi j'étais pas lèche cul avec lui, contre attaqua Fiona en direction cette fois-ci de la petite amie d'Élie.

Rapidement les multitudes d'accusations devinrent incompréhensibles. Tout le monde avait son mot à dire sur l'affaire et sur qui pouvait être le potentiel meurtrier. Valentine écoutait les cris de ses camarades avec intérêt, se notant mentalement les informations qui circulaient dans l'air.

- Calmez-vous ! hurla soudainement Karine au milieu du silence.

Le nombre de décibels émis par la psychologue fit taire tout le monde.

- Bien, dit-elle, heureuse de son effet. Si vous le permettez, nous allons procéder autrement. Chacun parlera de ses ressentis à tours de rôles, comme ça pas de cris.

Le tour de table commença par la droite, là où se situaient toutes les personnes absentes lors de la soirée qui n'avaient rien à dire concernant le meurtre et la nuit du trois janvier. Karine les écouta parler de leur tristesse avec impatiente. Elle avait envie de plonger rapidement au cœur du sujet.

Maxime prit la parole après Jules pour lancer des blagues douteuses sous couvert de la tristesse. William, à côté de son meilleur essayait de sourire pour camoufler le sentiment d'inconfort qui obstruait sa gorge. Il avait dit la vérité à Éric, pas aux autres. Les garçons de la section foot connaissaient son harcèlement, c'était d'ailleurs étrange que cela ce soit si peut ébruiter. Comment les élèves le regarderont s'ils venaient à connaître la vérité ? Il espérait que ses amis se tairaient. Une main chaude se glissa dans la sienne et le blond pressa les doigts de sa petite amie, reconnaissant pour ce geste de soutient.

Valentine, exaspérée du comportement de Maxime, donna un coup de pied dans sa chaise. Quand son tour arriva, elle annonça qu'elle n'avait rien à déclarer et aucune envie de parler de ses émotions. La psychologue passa rapidement à sa voisine, consciente qu'elle ne tirerait rien de la rouquine.

Les élèves se succédèrent jusqu'à Romain, tête baissée et gorge nouée sur sa chaise. Edgar serrait discrètement sa main dans la sienne pour retenir ses larmes.

- As-tu quelque chose à partager Romain ? interrogea Karine de sa voix mielleuse.

- Non.

- Même pas le fait que t'étais amoureux de lui ?

Romain foudroya Élie du regard.

- Ça n'a rien à voir, cracha Romain sur la défensive.

Cette information avait rapidement fait le tour de la classe au début de l'année. Il s'agissait d'abord d'une rumeur jusqu'à ce qu'Edgar et Romain n'officialisent leur relation. Le cœur de ce dernier avait longtemps balancé entre les deux adolescents jusqu'à ce qu'Evan repousse Romain, le confortant dans son choix.

- Bah, il était peut-être jaloux, supposa Fiona en dévisageant le couple.

- Je ne vois pas le rapport ! s'emporta Edgar.

Élie, Clémence et Fiona se mirent à raconter leurs théories toutes en même temps. Romain avait une puissante envie de s'enterrer. Ses histoires de cœur n'avaient aucune raison de ressortir ainsi, surtout pour l'accuser de meurtre.

Les voix haussèrent le ton et Karine arrêta bien vite l'idée de gérer la situation, laissant les adolescents s'accuser mutuellement, la tête dans les mains.

***

- Bonjour Élie.

La tête bouclée en face d'Éric hocha la tête. Le policier avait enclenché le "mode robot". Sa frustration était à son comble et il venait à espérer n'importe quoi pour faire avancer son enquête. Chaque interrogatoire le menait à plus de suspects qui ne semblaient guère impliquée dans la mort d'Evan. Cette enquête était un véritable casse-tête pour lui et la certitude d'avoir laissé passer le tueur entre les mailles du filet s'imposait à lui comme une évidence.

- Avais-tu de bonnes relations avec Evan ?

- C'était un ami mais rien de plus. Je me suis surtout rapproché de lui car c'était un ami proche de Sarah.

- Qui est Sarah pour toi ?

- Nous sommes en couple.

Éric hocha la tête et croisa le regard doré du lycéen. Il devait bien avouer qu'il était séduisant avec son visage anguleux et sa grande taille.

- Que faisais-tu le trois janvier ?

- J'ai vu l'assassin.

Éric manqua d'avaler de travers son café et dévisagea Élie. Le garçon était calme, le visage impassible et il soutenait son regard.

- Qui était-ce ?

- Romain.

Le silence envahis la pièce pendant qu'Éric reprenait ses esprits.

- Qu'est-ce qu'il te faire dire cela ?

- J'ai vue Evan sortir prendre l'air vers vingt-trois heure quarante-cinq et Romain l'a suivi peu après. Et il est rentré seul. Après j'ai dû aider Arthur à remonter Romain dans une chambre parce qu'il ne marchait plus droit et il était vraiment étrange.

- Vraiment étrange ? questionna Éric, interloqué.

- Comme je l'ai dit il ne marchait pas droit et on aurait dit qu'il venait de voir un fantôme. Il était pâle et tremblait. Je crois qu'il était même un peu sonné.

Une réaction post traumatique après avoir tué Evan ? Pourquoi pas. En tout cas Romain lui avait menti. L'adolescent lui avait raconté s'être endormis après avoir couché avec Edgar et ne s'être réveillé que le lendemain. Combien d'autres détails lui avait-il camouflé ?

La mémoire d'Éric chercha un minuscule indice présent sur le visage de Romain quand il lui avait raconté la soirée mais rien. Peut-être ne s'en souvenait-il plus. Quoi qu'il en soit, il devait revoir vite le lycéen. Le policier tenait peut-être son tueur.

- Il n'a rien dit ? Pas d'aveux ?

- Non, il était silencieux jusqu'à ce qu'on le couche dans le lit d'Arthur. Mais après...

- Après, l'encouragea Éric.

Le regard d'Élie se fit plus vague et il fronça les sourcils.

- Il s'est mis à pleurer et à hurler. On l'a calmé comme on pouvait et il a fini par s'endormir.

- Il hurlait quoi ?

- "Lâche moi !" ou "Je suis désolé" quelque chose dans ce genre.

Y aurait-il eu une violente dispute entre Evan et Romain ? Ils se seraient battus et le petit ami d'Edgar aurait gagné, tuant son ennemi au passage. Mais pourquoi ?

- Tu n'as vue personne d'autres sortir en même temps qu'Evan ou Romain ?

Élie secoua négativement la tête.

- Non, a moins bien sûr que je ne l'ai pas vue. Je discutais avec Sarah et Clémence à ce moment-là.

- Tu n'aurais rien d'autres à me dire qui concerne le meurtre ?

- Si, Edgar et Evan se sont disputés dans la cuisine, enfin je crois. Ils discutaient juste peut-être. Mais quand Evan est sortie, il a foncé dans Romain et ils se sont tués du regard. Je n'en sais pas plus.

Intéressant, pensa Éric.

Le témoignage d'Élie appuyait celui de Valentine et d'Axel, rendait l'existence de la dispute indiscutable. Il écrivit cette déduction dans son carnet.

- J'aurais dû aller voir dehors mais j'ai oublié. J'ai laissé Evan mourir, murmura Élie.

- Il aurait été déjà mort, ne te culpabilise pas comme cela. Cela n'aurait rien changé, à part l'heure de la découverte du cadavre, rationalisa le policier.

Une rapide moue de dégoût traversa le visage de l'adolescent. Éric relut ses notes, pourquoi Arthur ne lui avait pas parlé de l'attitude de Romain ?

- As-tu parlé à quelqu'un de ton observation ?

- Non. Pourquoi, j'aurais dû ?

L'organisateur de la soirée ne se doutait peut-être pas que Romain était lié au meurtre de plus près qu'il ne le croyait. Il avait sûrement pris son attitude comme celle de quelqu'un ayant trop bu. Néanmoins il s'empressa de répondre à la question d'Élie :

- Non c'est très bien comme cela. Il faut éviter de faire paniquer le tueur. Si il apprend que quelqu'un connait son identité il peut très vite faire des choses stupides.

- Je comprends.

Le policier remercia Élie et attendit avant de laisser entrer Sarah. Son enquête venait de faire un bond grâce à l'aide du lycéen. Romain avait désormais tout du tueur mais il manquait quelque chose, le mobile. La dispute entre Evan et Margaux ou celle d'Edgar et Evan ?

Éric penchait plus pour la deuxième option, connaissant l'amour entre les deux adolescents. Mais pourquoi tuer ? Cette question, il ne pourra y répondre seulement quand il aura Romain en face de lui. Il se racla la gorge et appela Sarah qui entra dans la seconde. La brunette s'installa gracieusement sur la chaise et son regard se fixa sur la table.

- Bonjour Sarah.

La jeune femme sursauta avant de le regarder.

- Bonjour.

Rien n'était habituel dans le ton de sa voix ou dans ses agissements. Elle avait peur.

- J'aimerais que tu me raconte ce que tu as fait le jeudi trois janvier, demanda avec douceur Éric.

- Je ne me souviens de pas grand-chose je suis désolée. Je suis très vite bourré quand je bois.

D'un rapide coup d'œil, Éric détailla la finesse et la taille de Sarah. Il lui parut évident qu'elle ne mentait pas, c'était scientifique.

- Tu ne te souviens vraiment de rien d'important ?

- Evan est venu me parler.

Les sourcils de l'enquêteur se soulèvent tout seul. Il n'avait décidément pas interrogé les bons suspects dès le début de l'enquête.

- Que t'a-t-il dit ?

- Il avait peur, il pensait que quelqu'un voulait le tuer et, elle s'interrompit, des larmes apparaissant dans ses yeux bruns.

- Il avait raison, compléta Éric.

Un hochement de tête lui répondit. En effet Evan avait eu raison. Cependant il y avait plus d'une personne qui lui voulait du mal. La liste de ses suspects sérieux s'allongeait toujours plus. Romain, qui semblait davantage lié qu'il ne le prétendait. William, Maxime et Valentine qui formaient un trio lié par le désir de protéger le cadet des trois. Margaux, dont le mobile était plus que suffisant. Arthur qui le détestait et avait organisé la soirée. Edgar qui avait dévoilé un secret de la victime, s'était disputé avec elle le soir même et bien sûr, était le petit ami du principal suspect. Il restait également Axel et Fiona qui, d'après Valentine, avait parlé d'une vengeance envers Evan. Peut-être le mort avait-il confié des éléments importants à Sarah ?

- Est-ce qu'il t'a parlé de menaces ?

- C'était pire. Il... il savait que quelqu'un voulait le tuer lors de la soirée.

Comment était-ce possible ? Il avait dû recevoir bien plus que des menaces de mort.

- Il ne t'a rien dit sur l'identité de la personne lui voulant du mal ?

- Non. J'ai demandé mais il a refusé de me dire qui.

Des larmes roulaient à présent sur les joues de la jeune femme.

- J'aurais dû insister !

Combien de cœurs la mort d'Evan avait-elle brisée ? Et surtout combien en avait-elle réparés ?

Éric calma Sarah et continua son interrogatoire.

- Après qu'il soit venu te parler, où est-il allé ?

Sarah prit sa tête dans ses mains pour forcer les souvenirs à revenir à elle, même s'il elle n'en avait pas envie. Le cadavre d'Evan apparue dans son esprit mais elle le repoussa pour se concentrer sur la question du policier.

- Il s'est isolé et je l'ai perdu de vue. Je n'ai plus de souvenir à partir de ce moment.

Éric finit d'écrire le témoignage de Sarah et la congédia gentiment. Elle essuya une dernière fois ses larmes et quitta la pièce, le corps tremblant.

Une question fixe tournait dans la tête de l'enquêteur quand il rentra chez lui le mercredi midi. Que s'était-il réellement passé le trois janvier ?

Ce dont il était certain, c'était que Romain et Edgar ne lui avaient pas tout dit.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top