23. Haine réciproque

Maxime sortit du bâtiment B, celui des internes, et accéléra le pas en mettant sa capuche. Pourquoi pleuvait-il autant en janvier ? Il était sept heures trente, peu d'élèves étaient déjà arrivés au lycée. L'adolescent s'en rassura, il allait pourvoir finir son devoir dans le calme. Il ouvrit son casier et vidait son sac quand une main se posa avec fermeté sur son épaule.

Dans un sursaut, Maxime se retourna pour faire face au regard froid et déterminé d'Éric. Le brun remarqua les cernes sous ses yeux. Décidément, les nuits étaient courtes pour beaucoup de personnes depuis la mort d'Evan.

- Tu viens avec moi, immédiatement.

- Mais..., commença-t-il, pensant à la note qu'il allait avoir s'il ne travaillait pas.

- Il n'y a pas de mais, tu viens avec moi.

Voyant l'hésitation de Maxime, Éric attrapa fermement son bras et le traîna jusqu'à la salle de classe. Le brun sentit son pouls s'accélérer. Pourquoi le policier était-il aussi dur envers lui ?

- Assied toi.

Éric gardait un très mauvais souvenir de son premier interrogatoire avec le brun. Il n'était pas question qu'il se fasse duper encore une fois. Maxime se laissa tomber sur la chaise. Il fixait avec un air de défi le policier. L'homme ne lui inspirait nullement confiance.

- Vous me voulez quoi ? cracha-t-il avec méfiance.

- Je sais tout. William m'a tout dit.

Éric observa ses sourcils se hausser sur son front. Maxime eut un petit sourire arrogant qui accentuait davantage les traits harmonieux de son visage.

- Qu'est-ce qu'il vous a dit ? Qu'il s'est fait harceler et presque violer par le denier des enfoiré ?

- Oui et crois moi je prends cela très au sérieux. Je pense qu'il y a moyen que nous nous entendions Maxime. 

- Qu'est-ce que vous voulez faire ? Evan est mort, c'est un peu trop tard pour vous inquiéter pour William.

- Il est fragile, il a besoin d'aide.

Éric s'attendait à ce que l'adolescent se moque de lui mais il acquiesça à sa grande surprise.

- Je suis d'accord mais je vois pas le rapport avec moi. Je fais ce que je peux en tant qu'ami mais je suis pas psy.

- William m'a raconté comment s'est déroulé la soirée et l'agression d'Evan. Quand je lui ai demandé où tu étais vers minuit, il a été incapable de répondre. Maxime, si tu avoues le meurtre maintenant, le juge acceptera sans doute les circonstances atténuantes de ton geste.

Un clignement de paupières répondit à sa tirade. Maxime prit une profonde inspiration et regarda le policier droit dans les yeux. Éric eut soudain le souffle plus court et ses mains devirent moite sur son cahier. Était-ce maintenant ? Maintenant qu'il mettait fin à son enquête ?

- Je n'ai pas tué Evan, déclara le footballeur sur un ton insistant, et je ne sais pas qui c'est.

Éric soupira.

- Alors veux-tu bien répondre à mes quelques questions ? Sans me cacher des informations cette fois. Où tu trouvais-tu à minuit ?

Maxime se mordit la lèvre. Il ne pouvait pas mentir. Si le policier apprenait plus tard la vérité, il risquait gros.

- Je cherchais Evan, avoua-t-il après un moment de silence.

- Pourquoi ?

- Je voulais savoir ce qu'il avait fait à William. Il était pas normal et il refusait de me parler, donc j'ai cherché Evan.

- Tu l'as trouvé ?

- Non, mais j'aurais bien aimé rien que pour lui éclater le crâne. J'ai fouillé dans toute la maison mais je ne l'ai pas vu.

Le stylo bille remplit peu à peu d'encre la page vierge à mesure que le policier rapportait les faits.

- Tu as fouillé longtemps ?

- Il devait être entre minuit et minuit et quart, réfléchit Maxime en se grattant la tête.

Les yeux de Maxime ne le lâchait pas une seule seconde. Éric relut ses arguments validant la culpabilité du garçon en face de lui. En discutant avec l'adolescent, l'enquêteur avait l'intime conviction qu'il se trompait de cible, que Maxime n'avait réellement aucun lien avec la mort du meilleur ami d'Edgar. Cependant, il devait rester sur ses gardes, Maxime comme William avaient de solides mobiles. De même que Valentine quand il y réfléchissait...

- Sais tu qui aurait pu tuer Evan ?

- La moitié de la classe ? répondit-il en haussant les épaules. Franchement, tout le monde détestait Evan.

- Il n'y en avait forcément certains qui le haïssait plus que d'autres ?

- Arthur mais ça tout le monde le sait. Axel et Fiona aussi, Evan a brisé leur couple...

- Et pourquoi pas Valentine ? proposa innocemment l'enquêteur. 

La tête de Maxime s'orienta de gauche à droite. 

- Elle n'était au courant de rien, William m'avait fait jurer de rien dire.

- Es-tu bien sûr qu'elle n'en savait rien ?

Le lycéen se força à garder un visage neutre. Non, il n'en était absolument pas sûr. Elle avait pu tout découvrir au fil d'une conversation, d'une discussion volée dans un couloir avant que son petit ami ne lui avoue tout. Maxime refusait de s'imaginer la petite amie de William en meurtrière. Il n'arrivait cependant pas à faire abstraction de son absence après l'agression de William. Le brun avait croisé la jeune femme avant minuit mais il ne l'avait plus vu par la suite. Aurait-elle pu tuer Evan ?

- J'en suis certain.

- J'aimerais l'être autant que toi. Malheureusement, il est tout de même probable qu'elle eut été au courant du harcèlement de son petit ami.

Maxime ne dit rien. Le policier le remercia avant de lui tendre un numéro de téléphone. 

- Donne le à William, qu'il n'hésite pas à appeler, quand il le souhaite à n'importe quelle heure, dès qu'il en ressent le besoin.

Le brun acquiesça avant de filer sous le préau. Il regarda son téléphone, 7h53. Il lâcha un long soupir. Il ne lui restait que deux minutes pour terminer son devoi... autant dire qu'il était fichu. 

- Ça sent le mec qui à pas fait son devoir maison.

Un rire répondit et Maxime leva la tête. William et Valentine le regardaient avec un sourire amusé. Le brun resta un instant perdu et incapable de réagir face à la rousse. Devait-il lui parler de sa rencontre avec le policier et des soupçons qu'il nourrissait à son égard ? L'adolescente fronça les sourcils et Maxime détourna le regard, pas encore certain de quoi faire.

- J'ai pas eu le temps... Éric est venu me voir.

William se crispa immédiatement et Valentine le prit contre elle. Elle tendit sans rien dire son devoir à Maxime qui le prit en photo.

- Qu'est-ce qu'il te voulait ?

La voix de William était peu assurée.

- Rien de grave, il s'inquiète pour toi c'est tout. Tiens.

Il tendit la carte avec le numéro de téléphone à son meilleur ami et rapporta ce qu'avait dit Éric. Le petit blond rangea le papier dans sa poche, partagé quant à ses sentiments. L'inquiétude du policier était-elle sincère ?

Ils n'eurent le temps de rien dire de plus. La sonnerie coupa leur conversation et ils se rendirent en cours, évitant de discuter de la mort d'Evan près des autres lycéens.

***

Pauline referma son tube de mascara, la tête ailleurs. Son interrogatoire tournait en boucle dans la tête de la jeune femme. Quand elle était entrée dans la salle, elle avait l'impression que son appréhension était visible sur son visage tellement elle ne pensait qu'à cela.

- Bonjour, assis toi s'il te plaît, ordonna la voix calme et posée du policier.

Pauline s'était exécutée, la bouche sèche et ses organes emmêlés.

- Bonjour, sa voix douce tremblait légèrement.

Le policier lui sourit d'un air rassurant, il avait remarqué la tension de la jeune femme.

- Tu étais proche d'Evan ?

- C'était un pote, je l'appréciais.

Elle essayait tant bien que mal d'insuffler de l'émotion dans sa voix, ce n'était pas le moment de tout faire raté, sinon cela signerait sa fin.

A peine à la case départ, direction la prison.

Elle chassa cette pensée terrifiante de son esprit pour se concentrer sur la discussion. Le policier ne semblait pas avoir découvert son mensonge, tant mieux.

- Connais-tu quelqu'un en particulier qui lui en voulait ?

- Margaux, répondit-elle du tac au tac, presque trop vite.

Éric esquissa un froncement de sourcil. Mon Dieu ! Avait-il compris ? Elle s'imaginait déjà derrière les barreaux, accusée de meurtre, son cauchemar depuis cette soirée, ce feu. Pourquoi avait-elle tout dit ? Pauline serait encore en sécurité à l'heure actuelle, au lieu d'être ici à paniquer.

- Personnes d'autres ? ajouta-t-il simplement.

- Je sais qu'Arthur le détestait mais je crois bien que ce soit tout.

Une grimace étira la bouche fine du policier.

Pitié, pitié, pitié ! hurlait en silence son esprit.

- As-tu vue quelque chose d'étrange durant la soirée du meurtre ?

- Non, tout avait l'air normal, lâcha Pauline au bout d'un moment.

- Bien, tu peux retourner en cours.

- Merci, je suis désolé de ne pas pouvoir plus vous aider.

Le regard profond du policier sembla sonder son âme quand ses yeux croisèrent les siens, la figeant sur place. Il finit par incliner la tête au bout d'une longue éternité.

- Ce n'est pas grave.

Elle voulut sortir en courant, s'éloigner le plus vite possible de cet homme mais força ses jambes avec toute la volonté qu'elle possédait de marcher normalement. A peine sortie elle s'appuya sur le mur et se laissa glisser sur le sol en soupirant avec le bruit d'un pneu crevé. Elle colla sa tête contre le mur et ferma les yeux. Une bonne chose de faite.

Pauline retourna brusquement dans le présent quand sa mère l'appela, lui hurlant de se dépêcher si elle ne voulait pas arriver en retard au lycée.

                                                                               ***

Éric entra dans la salle de classe transformé pour lui en salle d'interrogatoire avec son café. Il ressassait sa discussion avec Maxime et les noms des adolescents de sa classe qui lui avait fourni. Un garçon au corps fin se tourna vers la porte en entendant le policier entrer. Ils se jaugèrent en silence, chacun cherchant à sonder l'autre.

Éric marcha jusqu'à la table et s'assit en face du suspect dont il entendait parler depuis plusieurs jours sans jamais pourvoir l'interroger pour diverses raisons.

- Bonjour Arthur, commença Éric.

L'adolescent en face de lui avait le visage fermé. Le policier détailla ses cheveux chocolat parfaitement coiffés, pas un cheveu ne dépassait au niveau de sa raie sur le côté, laissant une partie des mèches plus longues que les autres. Il passa en revue son visage, surtout ses joues et ses tempes, attaquées par l'acné. Ce n'était pas la première fois qu'il le rencontrait. Mais à présent les circonstances étaient différentes. 

- Qu'à tu fais lors de la soirée du jeudi trois janvier ?

- J'ai surveillé tout le monde pour ne pas que mes parents me tuent le lendemain.

Visiblement cela avait échoué. Arthur baissa les yeux et regardait à présent la table avec beaucoup d'intérêt.

- Je ne pensais pas cela possible, murmura-t-il.

Le policier ne rajouta rien, il n'y avait rien à dire. Il se contenta d'orienter la discussion.

- Quand la soirée s'est-elle définitivement terminée ?

- Il devait être au moins trois heures trente, peut-être quarante-cinq.

- Puisque tu es l'organisateur, tu peux sûrement me renseigner sur comment était la disposition des chambres, demanda Éric, son stylo en position de noter les informations.

Arthur pris le temps de se rappeler des détails avant de répondre.

- Les filles ont dormit dans les chambres de mes deux sœurs et les garçons dans la mienne et à l'arrache dans la chambre de mes parents.

- Il n'y avait aucun membre de ta famille ? Même pas une de tes sœurs ?

- Non, j'avais négocié pendant un mois pour que je puisse organiser la soirée quand ils partiraient en voyage.

Aucune personne extérieure, de quoi laisser toute la place d'agir au tueur.

- Et concernant les garçons, ils étaient bien tous dans les deux chambres avant que tu ne t'endormes ?

- Il manquait juste Edgar.

Cela, Éric le savait. Les propos d'Arthur corrélaient avec ceux de William et de plusieurs autres garçons concernant la nuit des garçons. Du côté des filles, Anna avait assuré que personne n'avait bougé de la nuit, ayant passé la nuit sur son téléphone, elle aurait vue quelqu'un sortir ou rentrer. Cela ne voulait dire qu'une seule chose, le meurtre avait bien eu lieu pendant la soirée et non après. Éric relut les notes qu'il avait préparées pour l'interrogatoire et changea de sujet.

- Pourquoi détestais-tu Evan ?

Arthur grimaça, il s'attendait à cette question.

- Je ne l'ai jamais trop apprécié depuis le début de l'année. Il avait ses manières de frimeur qui passe son temps à se foutre de ta gueule. On ne s'entendait pas, c'était réciproque. Je ne sais pas, il y a dû y avoir un truc qui n'est pas passé entre nous. Je ne voyais que le négatif en lui et aujourd'hui encore.

- Il n'a jamais rien fait pour que tu le déteste ? Une dispute, autre chose.

- Pas vraiment. On se prenait la tête en cours mais rien de grave, on ne s'aimait pas c'est tout.

Cette justification semblait manquer de matière pour Éric. Cependant il devait bien admettre que ce genre de relation et cette haine inexpliquées existait. Peut-être qu'Arthur disait vrai et qu'il se faisait tout simplement des films, frustré par l'avancée toujours plus laborieuse de son enquête. Il décida de terminer son interrogatoire sur la question la plus difficile à aborder.

- J'ai fait quelques recherches sur toi. Il se trouve que ta petite amie, Lina, est actuellement à l'hôpital. Je sais qu'elle est là-bas à cause d'une overdose de drogue, précisa-t-il. J'aimerais juste savoir comment c'est arrivé.

Arthur avait pâlit au fur et à mesure du monologue du policier. Il tenait à présent sa tête entre ses mains et tremblait.

- Arthur ? interpella doucement Éric.

- C'était une énorme connerie, on n'aurait pas dû accepter.

- Tu étais avec elle ?

Il acquiesça tristement.

- On discutait tranquillement quand quelqu'un est arrivé pour nous proposer de nous détendre en fumant avec eux. Je ne voulais pas au début mais elle m'a convaincue.

- Et après ?

La question était posée avec douceur, le policier n'avait pas envie de brusquer l'adolescent visiblement toujours traumatisé.

- J'ai fumé, j'ai bu, black out. Quand je me suis réveillé chez moi, mes parents m'ont appris qu'elle était entre la vie et la mort à l'hôpital. C'est de ma faute, souffla-il en une respiration chargée de sanglots, j'aurais dû l'en empêcher.

L'adolescent avait les larmes aux yeux et Éric ressenti un brusque pincement au cœur. Cette histoire faisait remonter en lui de douloureux souvenirs. Il secoua la tête pour chasser ses démons et rassura Arthur.

- Ta copine a eu beaucoup de chance tu sais, elle aurait très bien pu ne pas s'en sortir. Comment va-t-elle ?

- Elle est restée dans le coma pendant vingt-deux jours mais elle remonte doucement la pente.

- Le plus dur est passé Arthur, crois-moi.

Le lycéen leva les yeux vers lui et ils restèrent une éternité a se dévisager.

- J'espère que vous avez raison, chuchota-il pour lui-même.

Je l'espère en tout cas, pria intérieurement Éric.

Il mit fin à l'interrogatoire sur cette note de tristesse, déçu de n'avoir rien obtenu de ses questionnements. La seule note positive c'est qu'il avait réussi à reconstruire le déroulement de la soirée, cependant ce n'était pas utile pour le moment.

Le tueur jouait visiblement à cache-cache ou était passé entre les mailles du filet. Néanmoins Éric ne pouvait l'affirmer pour le moment, il lui restait quelques élèves à voir. Mais cette certitude lui bourdonna dans la tête, appel discret de son instinct.

***

Il n'y avait plus d'issue. Plus rien. Elle avait tout emporté, la joie, la confiance, l'amour.

Il ne restait plus rien.

La tristesse, la peur, la honte, la colère. Tout cela formait un tourbillon, un ouragan de destruction.

Oui c'était ça. Il n'avait qu'un seul but, détruire. Tout. Ne rien laisser sur son passage.

Ç'en était finit.

Il

Ne

Pouvait

Plus

Supporter.

Il fallait que ça s'arrête.

Maintenant. 

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