14. Le jeu
Edgar était perdu dans ses pensées, la tête posée sur le torse de Romain. Son petit ami avait passé un bras derrière sa tête et caressait du bout des doigts son épaule. Il était temps pour eux qu'ils se voient seul en tête à tête. Sentir le corps de l'autre dans leurs bras leur avait manqués. Cela faisait un certain temps qu'ils n'avaient pas échangés une parole et cela ne les gênait pas, tous deux ailleurs que dans ce lit.
- Dis ?
Romain releva la tête, surpris.
- Oui ?
- Je crois que si le meurtrier est découvert, ça ne changera rien pour moi.
Romain fronça les sourcils. Cette discussion était déjà revenue plusieurs fois entre eux et Edgar n'avait jamais la même opinion sur la chose.
- Comment ça ?
Le blondinet pris le temps de réfléchir avant de parler.
- Qu'on trouve le meurtrier ou non, ça ne changera rien, Evan est quand même mort.
- Oui il restera mort mais toi ça te permettra d'avancer, de passer à autre chose. Si tu sais qui et pourquoi on l'a assassiné, tu te sentiras peut-être mieux parce que tu arrêteras de te torturer à ce sujet.
Edgar releva la tête vers Romain et demanda d'une toute petite voix :
- Tu crois ?
- Oui, j'en suis certain.
Il fixait son petit ami, il mentait, ou du moins il n'en était pas aussi certain qu'il le disait. Cependant, cela avait fait réfléchir Edgar, un exploit depuis le meurtre. Il restait sans cesse campé dans ses positions et n'osait pas aller de l'avant. Et si Romain avait raison ?
Ça ne ramènera pas Evan, pensa-t-il.
Non il avait tort, Evan lui manquait trop, savoir qui l'avait tué n'y changerait rien. Mais peut-être qu'il se sentirait mieux de savoir pourquoi quelqu'un lui avait ainsi pris son meilleur ami.
Romain, voyant la confusion dans les yeux d'Edgar, se pencha vers lui et l'embrassa. Toutes les pensées négatives et les fixations sur les événements furent soudain reléguées au second plan dans l'esprit de l'adolescent.
Il se redressa et glissa doucement sa main sur la joue de Romain, le désir s'insufflant lentement en lui. Edgar intensifia le baisé avec envie et les mains de son petit ami se glissèrent sous son pull, le faisant délicieusement frissonner.
Evan est mort et toi tu t'amuses ?
Le blondinet se détacha brusquement de Romain qui le dévisagea sans comprendre.
- Qu'est-ce qu'il t'arrive Edgar ?
- Je ne peux pas, avoua-t-il. Evan est mort et moi...
- Toi tu es vivant ! Tu ne vas quand même pas te priver de vivre.
Edgar soupira. Romain ne comprenait pas, il ne pouvait pas comprendre.
- Je m'en veux !
- Mais pourquoi ? Tu n'es pas responsable !
- Je me suis répété mille fois que si j'étais resté avec lui, il ne lui aurait rien arrivé. Il ne serait pas mort ! termina Edgar d'une voix tremblante.
Des tremblements incontrôlés parcouraient l'adolescent qui se mit à pleurer. Romain l'enlaça sans rien dire, le laissant sangloter contre son gilet. Il ne pouvait pas s'empêcher d'y penser. Les deniers mots qu'il avait adressé à Edgar, c'était des insultes. Il lui avait hurlé toute sa colère et Evan le lui avait bien rendu.
- C'est de ma faute, hoqueta Edgar.
- Non.
Le ton ferme de Romain fit relever la tête du footballeur.
- Rien n'est de ta faute. C'est l'assassin le responsable ! Si je t'entends encore dire que c'est de ta faute tu dégages de chez moi avec mon pied au cul c'est clair ?
Edgar rit au milieu de ses pleurs avant d'enlacer Romain.
- Je t'aime, je suis tellement heureux de t'avoir.
- Tu vas me faire pleurer, chuchota malicieusement le judoka.
Edgar fût parcouru d'un frisson de désir et fit basculer Romain sur le lit en appuyant sur ses épaules. Il essuya ses larmes d'un revers de manche et embrassa son chéri. L'image culpabilisatrice d'Evan traversa un instant sa conscience mais il la repoussa pour la première fois depuis le meurtre. Il fallait qu'il fasse son deuil, ou du moins qu'il essaie, pour les gens qui s'inquiétaient pour lui. Il mordilla la lèvre de Romain.
- Te faire pleurer ou te faire crier ? susurra Edgar avec un sourire enjôleur.
- Je suis plus partant pour la deuxième proposition.
Romain enleva d'un geste le pull d'Edgar, l'envoyant valser dans sa chambre, et ses mains glissèrent lentement sur le ventre de son petit ami.
Leurs yeux bruns se croisèrent et ils s'embrassèrent une nouvelle fois pendant que les mains de Romain défirent lentement le bouton du jeans d'Edgar.
***
Un long soupire sortit de la bouche de Sarah. Elle se dévisageait, son regard brun foncé planté dans son reflet. La jeune femme était petite et fine, sans forme, on aurait dit qu'un rien de vent puisse la faire s'envoler. Sarah détailla son visage ovale, ses pommettes hautes, son nez droit et ses yeux bruns maquillés, légèrement en amande. Elle secoua ses cheveux bruns tirant sur le blond, ancienne trace d'un balayage raté qui avait transformé sa chevelure en paille.
Une larme roula silencieusement sur sa joue, traçant une ligne brillante sur son fond de teint. Elle la laissa couler, regardant la perle d'eau avec fascination. Son téléphone vibra mais elle n'en avait que faire, perdue dans ses souvenirs.
Une main remonta sur sa gorge et appuya sur ses cordes vocales, l'empêchant de hurler, l'empêchant de respirer, l'empêchant de vivre. Elle croisa son regard dans le miroir et pâlit.
- Non, souffla-t-elle.
Le mot se déposa sur son miroir, enhardissant son adversaire. La main remonta son cou et serra.
- Non !
Elle jeta violemment sa brosse sur son miroir qui se fissura, la faisant disparaître. Une autre larme coula, fantôme d'une tristesse qu'elle voulait oublier.
Une dizaine de visages, son visage, la regardaient, se moquaient, riaient de sa tristesse, de sa peur, de sa colère.
- Laissez-moi ! Partez !
Les rires augmentèrent et Sarah plaqua ses mains sur ses oreilles.
- Laissez-moi, je vous en supplie...
***
- J'arrive pas à dormir.
- Moi non plus, chuchota William, le visage levé vers le plafond et les mains dernière la tête.
La lumière pâle de la nuit filtrait à travers les stores à demi fermés de l'internat. William s'assit sur son lit et passa distraitement la main dans ses cheveux blonds aux couleurs des blés. Il regarda autour de lui mais les deux autres garçons de la chambre dormaient, il ne restait que Maxime et lui debout.
Son ami se redressa également et ils se regardèrent en silence. Le bleu vif des yeux de William croisa l'éternel regard brun malicieux de son camarade de chambre, cependant ses iris étaient plus ternes qu'habituellement. Les épaules larges et musclés de Maxime ressortaient sous son T-shirt.
Les fins doigts de William suivaient la couture de la couverture, perdue dans ses pensées. Il se demandait ce que Valentine avait en tête, sa détermination froide l'inquiétait. Il avait beau insister auprès de sa petite amie, elle refusait de lui dire quoi que ce soit. Dès qu'elle avait appris la mort d'Evan, son comportement avait changé et cela avait empiré depuis son interrogatoire. Il pesta silencieusement contre sa situation. A cause du couve feu de l'internat, il devait être rentré à dix-huit heure au lycée et les week-ends il retrait chez lui, à quarante-cinq minutes en voiture du lycée, de Valentine. Ce rythme fermé l'empêchait d'en apprendre plus et cela commençait à le rendre fou. Il avait terriblement peur qu'elle fasse une connerie, sa détermination l'empêchant de voir qu'elle se jetait dans la gueule du loup. Il ne doutait pas de son intelligence mais de son côté à franchir toujours plus loin les limites.
- Tu penses que c'est qui qui a tué Evan ? questionna Maxime, brisant le silence et sortant William de ses pensées.
Il replia ses jambes contre son torse et les entoura de ses bras.
- Je ne sais pas.
La dispute entre Evan et Margaux apparut dans son esprit. Ce qu'il lui avait fait était dégelasse, il méritait une punition, mais pas ça...
- Ta copine elle a une idée ?
William releva la tête et dévisagea Maxime.
- Quoi ? Je demande, se justifia-t-il.
- Pourquoi tu penses qu'elle enquête ?
Un sourire étira les lèvres de son ami.
- Depuis que vous êtes ensemble, je fais plus attention a son comportement, explique-t-il. Et j'ai remarqué que depuis la mort d'Evan elle observe encore plus les gens de la classe pendant les cours. Je ne sais pas quoi elle cherche mais elle, elle a l'air de savoir. L'avantage avec elle c'est qu'elle est relativement passe partout dans la classe et que personne ne remarque ce qu'elle fait. Mais elle devrait faire attention à ce que personne ne la repère.
- J'ai peur pour elle, murmura-t-il.
- T'inquiètes pas, elle est rusée comme personne.
William s'emporta, en essayant de ne pas réveiller les autres lycéens de la chambre.
- Mais c'est différent là ! Elle court après un tueur. Qui sait ce qu'il pourrait lui faire si elle découvre son identité ?!
Un silence préoccupé répondit à sa question et une nouvelle détermination le traversa. Il devait absolument lui parler et exiger des réponses, c'était la seule solution pour apaiser sa peur. Il regarda à nouveau Maxime qui semblait plongé dans ses pensées.
- Et toi ? Tu penses que qui l'a tué ?
- Quelqu'un qu'on soupçonne pas.
- Pourquoi ? demanda-t-il, la surprise lui faisant pencher la tête sur le côté.
Maxime prit le temps de mettre ses idées en ordre avant de les exposer à son ami.
- Y'avais quelques personnes dans cette classe qui détestait Evan, donc beaucoup de suspects. Mais je suis sûr que le tueur a toujours camouflé son aversion pour lui. Le policier passe son temps à courir après ceux qui ne l'aimait pas, et pendant ce temps le tueur est tranquille.
- T'es sûr ?
Il hocha la tête avant de figer William de terreur.
- Oui, et crois-moi, Valentine l'est aussi.
***
Minuit sonnait sur l'horloge de grand-mère dans la maison d'Éric. Le policier porta sa tasse de café à ses lèvres en ne quittant pas des yeux l'écran de son ordinateur où étaient notés sur graphiques et textes toutes les informations qu'il avait recueilli sur le meurtre depuis le début de son enquête.
Il naviguait dans un océan de suspects. Chaque interrogatoire ne répondait à aucune de ses questions mais se faisait s'en poser d'autres, beaucoup d'autres. Il ne savait que penser de l'attitude de Margaux, il n'avait rien pour prouver l'hypothèse du meurtre, à part la menace de mort, qui était déjà en elle-même une belle preuve. Mais il sentait quelque chose de véridique dans son récit. Il secoua sa tête, ne pas prendre de décisions trop hâtives, surtout sur le coup de la fatigue. Margaux l'avait peut-être berné.
Son regard tomba sur la photo d'Arthur, il n'avait presque rien appris sur lui. La seule chose qu'il savait c'est qu'il détestait Evan et ne le cachait pas, une bonne raison pour être sûr la liste des suspects. Éric étouffa un bâillement et finit d'une traite sa tasse de café. Les visages des élèves se mélangeaient, certains dont il n'avait même pas pris la peine d'interroger, innocent de par leur absence à la soirée.
Le nom d'Edgar fit plisser ses yeux cernés de manque de sommeil. Pourquoi avait-il participé à la propagation des rumeurs si c'était pour dénoncer son meilleur ami par la suite ? Rien n'avait de sens, ce meurtre non plus. Il y avait presque trente-quatre personnes, mais pas un seul témoin. Peut-être même pas le mobile suffisant à une pareil action.
Les trente-quatre visages le regardaient, photos impassibles face à son incompréhension. Tueur, suspects, innocents, témoins, enquêteur. Quelqu'un tirait les ficelles d'un jeu devenu réel, quelqu'un qui avait tout prévu. Les cartes étaient distribuées, les dés jetés.
Que le meilleur gagne.
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