Chapitre 3

Margaret ne mentait pas. Le jour du départ, Maeve sent qu'elle pourrait étrangler sa manager de ses mains sans une once de regret. Non seulement elle lui a fait retravailler la tracklist des concerts jusqu'à la nausée, mais en plus elle a refusé toutes les propositions qui n'incluaient pas les trois chansons maudites comme a fini par les renommer Maeve, à savoir Mine, Yours et Theirs. Ses arguments ont beau être valables, leur autrice ne peut plus voir ses trois créations en peinture – alors devoir les chanter à chaque concert, non merci !
Elle a tout essayé pour convaincre Margaret, en vain, même jusqu'à la dernière réunion, quelques heures avant le départ :

– Ces cinq concerts, c'est à ces trois morceaux que tu les dois. T'as pas le choix ! Que tu le veuilles ou non, les gens vont venir parce qu'ils veulent les entendre en live en espérant gratter plus de détails. Oui, ça te saoûle, tu regrettes, mais c'est comme ça.

Devant son air déterminé, Maeve rend les armes. Au moins, toute cette histoire lui aura servi de leçon pour la suite. Elle n'essaiera plus jamais d'être plus maligne que son public, même si depuis un mois, à défaut d'avancées concrètes dans l'enquête et de confirmation de qui que ce soit, l'engouement du début s'est un peu calmé. La jeune chanteuse sait que sa micro-tournée qui commence risque de relancer la machine mais pour l'instant elle profite du calme retrouvé. Comme prévu, les journalistes l'ont interviewée à chaque apparition publique, on lui a demandé si Harry était bien ce coeur brisé mystère, si elle avait vu des théories s'approchant un tant soit peu de la réalité, si elle prévoyait un jour de révéler la vérité. À chaque question, Maeve est restée silencieuse, ne se fendant même pas d'un sourire au cas où quelqu'un irait y lire quelque chose qu'elle n'y aurait pas mis.

– Bon, à part ça, reprend Margaret en rassemblant toutes les feuilles éparpillées sur son bureau, je voulais te féliciter parce qu'à part me casser les pieds tellement de fois que j'en ai perdu le compte, t'as assuré depuis un mois. Si tous mes talents étaient comme toi, ma vie serait un long fleuve tranquille. Je compte sur toi pour pas tout foutre en l'air avant que je te rejoigne à New York, hein ?

Maeve acquiesce. Des obligations professionnelles retiennent Margaret à Londres encore quelques jours, mais le premier passage télévisé de Maeve est prévu le surlendemain – sa manager est donc obligée de couper le cordon et de lui faire confiance. Mais aucune des deux n'est vraiment inquiète, à part l'exception de Three Broken Hearts Maeve n'a jamais été du genre à faire des remous.

C'est sur le chemin de l'aéroport que les souvenirs l'assaillent. Elle se regarde dans la vitre teintée de la voiture et se revoit trois ans plus tôt, et ne se trouve pas si changée que ça. Elle a les mêmes cheveux bruns qu'à l'époque, les mêmes yeux noisette tirant sur le vert, et ses bonnes joues, qu'elle trouvait déjà trop rondes pour son âge à 24 ans, sont toujours là à 27. Bien sûr, la première fois qu'elle a fait le trajet, le verre de la fenêtre reflétait aussi Harry en arrière plan. C'était juste avant leur première tournée américaine – après plusieurs mois sur la route en Angleterre et plusieurs pays d'Europe. D'un seul coup, le souvenir prend un tour plus douloureux.
Les dates aux États-Unis avaient été les dernières de « Maeve & Harry » en tant que duo, même si elle-même n'avait aucune idée que cela se profilait au moment de partir. Lui le savait sûrement, il devait le prévoir depuis un moment dans son coin, attendant le pire moment pour en parler – avant de décider de ne pas lui en parler du tout et de la mettre plutôt devant le fait accompli. Dans la vitre, elle voit encore Harry sur la banquette, derrière elle, et si elle pouvait, elle entrerait dans le reflet pour secouer ce sale traître dans tous les sens et le forcer à avouer, à être son ami et pas un lâche. Mais c'est trop tard, et quelque part c'est tant mieux. C'est derrière elle, tout ça. Ce qui lui restait encore sur le coeur, elle l'a exorcisé dans les paroles de Yours. Elle secoue la tête et oublie son ancien acolyte. Ces cinq dates sont les siennes, rien qu'à elle, et elles sont un début.

L'arrivée à l'aéroport et le trajet jusqu'à l'avion se font sans la moindre complication, sans surprise. Maeve a son petit succès mais pas de quoi déplacer des foules à chaque fois qu'elle prend un avion même si, sans projecteurs pour la protéger des regards, elle sent bien qu'on la dévisage. Juste avant de passer les portes du lounge de la première classe, une voix s'élève d'ailleurs derrière elle.

– C'est toi, Maeve ? De « Maeve & Harry » ?

La brune ignore la deuxième partie de la question, se retourne et hoche la tête avec un sourire. Son interlocutrice est une jeune adolescente aux longs cheveux blonds et grands yeux bleus qui brillent d'admiration.

– J'arrive pas à croire que t'es en face de moi, c'est dingue ! Je t'aime trop depuis En-chantez, est-ce qu'on peut prendre une photo ?
– Bien sûr, avec plaisir, c'est quoi ton prénom ?
– Juliet, répond la jeune fille en rosissant de plaisir.

Elle se rapproche, hésite un peu sur la distance à garder ou pas, mais Maeve ouvre son bras et lui passe autour des épaules pendant que la blonde cherche son téléphone. L'affaire est vite réglée et après mille remerciements, Maeve s'apprête à tourner les talons.

– Ça m'a brisé le coeur quand j'ai appris la fin de « Maeve & Harry », commence pourtant l'adolescente et Maeve se raidit. Mais franchement, je crois que j'aime encore plus ce que tu fais maintenant que ce que vous faisiez à deux, donc c'est trop cool !

Maeve accuse le coup, ne sachant pas comment réagir à ce compliment qu'elle entend pour la première fois et qui la touche au delà des mots.

– Wow, euh... Juliet, est-ce que par le plus grand des hasards tu prends un avion pour New York ? Si t'es libre et que tu me donnes ton nom, je peux te mettre deux invitations de côté pour l'un de mes concerts au Oakwood Ballroom.

L'adolescente ouvre des yeux ronds, comme si Maeve venait de lui offrir la chance de sa vie et hoche violemment la tête de haut en bas.

– Oui, oui, je vais à New York mais c'est vrai genre ? Des invitations ? Par toi ?
– Ça me fait plaisir, vraiment.

C'est peut-être uniquement parce que la jeune blonde ne lui a pas posé de question sur l'identité des coeurs brisés, ou bien c'est parce qu'elle lui a dit, en substance, qu'elle préférait sa musique à celle de sa superstar d'ex-ami, mais Maeve est heureuse de lui offrir ces places. C'est ce qui lui plaît dans le fait de ne pas avoir trop de succès. Elle aime pouvoir parler à ses fans, elle aime pouvoir être le plus normale possible avec elles et eux, discuter et nouer des liens, reconnaître parfois un visage dans le public. Et le bonheur de Juliet, aujourd'hui, est aussi le sien.

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