Au-delà de l'équinoxe du printemps 8

Hakim était rentré de son escapade avec Glenn. Ils avaient réussi à dégoter quelques bricoles intéressantes: du papier-toilette, deux bonbonnes de gaz pleines, une boite d'aspirine périmée depuis un mois seulement, un paquet entamé de café soluble, quelques conserves de poire au sirop, des piles neuves toujours dans leur emballage et un pack de bières. Alors qu'il fouillait le premier étage d'un maison abandonnée, Hakim avait même aperçu son co-équipier pousser un bijou féminin - un collier ou un bracelet? - dans la poche où il conservait sa montre-gousset, montre avec laquelle il n'avait pas arrêté de chipoter, d'ailleurs. Hakim s'était alors surpris à envier le jeune homme, à se dire qu'il aurait bien aimé avoir quelqu'un à qui offrir un bijou, à penser que peut-être il avait quelqu'un à qui offrir un bijou. Mais c'était absurde et il s'était contenté d'entrer dans la salle de bains pour y fouiller les armoires. Le reste de leur périple s'était bien passé. Ils n'avaient rencontré que quelques rôdeurs épars, pas âme qui vive.
En arrivant à la maison, Hakim avait immédiatement senti que quelque chose s'était passé. Lori était assise sur le porche, seule, et au moment où Glenn et Hakim étaient arrivés à sa hauteur, elle avait retenu ce dernier. Elle lui avait jeté un regard indéchiffrable - de la colère, mêlée à de la détermination et à autre chose, mais quoi?- et elle lui avait lancé ces quelques mots sibyllins: « Parfois, on doit choisir entre faire ce qui est bien et faire ce qui est facile. Et la lâcheté, ce n'est même pas si facile qu'on le croit. » Et puis elle s'était simplement écartée pour le laisser suivre Glenn à l'intérieur. Un peu interloqué, Hakim avait directement pris le chemin de la cuisine qui était déjà occupée par un triumvirat chuchotant: Rick, Glenn et Daryl. Dès qu'Hakim entra dans la pièce, les messes basses cessèrent et il avait à peine eu le temps de déposer son sac avec son butin sur la table que Rick lui tombait dessus. « Faut qu'on parle. »
Le leader du groupe avait un air sérieux et grave et Hakim acquiesça sans broncher. Glenn et Daryl firent mine de sortir mais Rick les retint. « Restez. Comme ça, Glenn, tu seras mis au parfum. » Hakim comprit alors quel était ce quelque chose qui s'était passé. La balade avec Glenn n'avait été qu'un prétexte pour l'éloigner pour que les autres puissent parler de lui, discuter des révélations qu'il avait faites à Daryl sans doute. Et ainsi Hakim sut qu'il était temps de faire ce qu'il aurait déjà dû faire depuis des semaines peut-être: jouer cartes sur table, vraiment. Ils voulaient savoir, ils allaient savoir. Il devança toutes les questions de Rick et entama son récit de son propre chef.
« Je viens de DC. J'ai travaillé sur le virus. Ma boss pensait avoir trouvé un vaccin. Elle a été tuée pendant qu'elle le testait. Par les militaires qui me poursuivent. C'est eux qui l'ont tuée. » Hakim avait dit tout ça très vite, presque d'une traite, sans reprendre son souffle. Il se tenait tête baissée et observait ses mains qui étaient toujours accrochées aux lanières de son sac. Les trois autres hommes le regardaient très fixement. Ils semblaient tendus vers Hakim, tendus vers les mots qui s'échappaient de ses lèvres. « J'ai dû évacuer le labo. Les militaires voulaient me capturer. Pour que je leur dise ce que je sais. Pour que je leur donne la formule du vaccin. Ils l'ont tuée. Elle voulait qu'on aille en Floride. Il y a un labo haute sécurité qui tenait toujours le jour où... Le jour où ils l'ont tuée. Et alors j'ai fui. Vers le Sud. » Les paroles de Lori furent d'un seul coup limpides. Hakim savait ce qu'il devait faire, ce qu'il devait vraiment faire et pas simplement dire. Et quelque part, il l'avait toujours su. Il avait été tenté par la facilité et il y avait succombé, un temps. Et ce temps devait s'achever, parce qu'il eut subitement la certitude lumineuse et aveuglante qu'il ne pouvait pas supporter vivre lâchement. « Et c'est pour ça que je dois partir. J'ai cru à un moment que je pourrais rester avec vous. J'ai cru... Je sais pas ce que j'ai cru. Mais je dois partir. Aller en Floride. »
En relevant la tête, Hakim avait passé ses doigts dans sa barbe dans un geste las. Il posa un regard à la fois résigné et déterminé sur les trois hommes. Il avait pris la décision de quitter le groupe au moment même où il avait prononcé ces mots. C'était arrivé d'un seul coup. Mais maintenant que c'était dit, il savait qu'il ne reculerait plus, c'était impossible à présent. Il allait partir, quitter ces gens, ce groupe auquel il avait fini par s'attacher. Et il lui sembla d'un coup que ce serait incroyablement difficile à faire et incroyablement facile à la fois parce que c'était la chose la plus logique du monde. Il avait su, dès le départ, mais sans vouloir se l'avouer, que son histoire avec le groupe de Carol se terminerait comme ça. Il avait une mission à accomplir, une mission qui le dépassait, qui surpassait les intérêts personnels, qui était plus importante que tout. Hakim avait l'opportunité d'être le héros de cette histoire et il avait décidé, enfin, de la saisir.
« La formule de ce vaccin, tu l'as? » Rick retenait son souffle. A côté de lui, Glenn et Daryl étaient parfaitement immobiles. Hakim acquiesça d'un mouvement de tête presqu'imperceptible. Un éclair de convoitise passa dans le regard des trois autres hommes, avant d'être remplacé par une lueur, une flamme, un brasier d'espoir. Rick s'autorisa un sourire, un vrai sourire, pour la première fois depuis très longtemps, depuis la mort de Shane, la perte de la ferme, le début de l'errance, les tensions avec Lori, les attaques des militaires, le décès de la vieille dame. Enfin, ce qui semblait être une bonne nouvelle. « Où? »
-Dans ma tête. Uniquement dans ma tête.
-Attends, intervint Glenn, ta boss, elle est morte pendant qu'elle testait ce vaccin. Donc on ne sait même pas s'il fonctionne. »
Hakim, pour la première fois depuis le début de la conversation, releva le menton et planta franchement son regard dans celui de chacun des trois hommes, tour à tour. Il y avait un air de défi dans l'attitude d'Hakim. « Non, on ne sait pas. Mais je crois qu'il fonctionne parce que je veux croire qu'il fonctionne, je dois croire qu'il fonctionne. »
Rick le regardait toujours intensément, enregistrant les moindres paroles d'Hakim, ses inflexions de voix, sa posture inédite, pleine de confiance mais dépourvue d'arrogance. Le shérif avait envie d'y croire, tellement, de croire en cette possibilité de remède, de croire qu'il existait une fin à ce cauchemar, un retour à une vie sûre et heureuse pour lui, pour Carl, pour Lori, pour son enfant à naître, pour toute sa nouvelle famille. Alors, Rick décida qu'il allait y croire parce qu'il voulait y croire lui aussi, parce qu'il devait y croire, pour lui-même, pour Carl, pour Lori, pour son enfant à naître, pour toute sa nouvelle famille. Mais il restait un point à éclaircir, une dernière question à poser. « Les militaires qui ont tué ta boss, t'as dit toi-même que tu pensais que c'était un dérapage. Clairement, ils te veulent vivant, sinon on sait tous les deux que tu serais mort. Pourquoi tu ne leur donnes pas la formule? Pourquoi tu ne les laisses pas faire le vaccin? »
Hakim poussa un soupir. C'était la question difficile, à laquelle il avait du mal à apporter une réponse claire. Parce qu'elle reposait en partie sur des intuitions et des hypothèses, parce que ses implications étaient impensables, inconcevables. Hakim savait cependant qu'il allait devoir apporter une réponse, que celle-ci allait devoir satisfaire Rick, le convaincre. Il fallait que l'ancien policier place sa confiance en lui et non pas en les forces de l'ordre que représentaient les militaires. « Parce qu'ils ne travaillent plus pour le gouvernement, ils ne travaillent plus pour nous. » Hakim retint son souffle, attendant la riposte, mais Rick se contenta d'hocher lentement la tête. Il l'interpréta comme un signe qu'il pouvait poursuivre, développer. « Imagine un groupe de personnes qui œuvrent pour leur propre profit. Imagine que ce groupe détienne le vaccin du virus le plus destructeur de l'histoire de l'humanité. Imagine que ce groupe puisse décider qui reçoit ce vaccin et qui ne le reçoit pas. Imagine qu'il appartienne à ce groupe de fixer le prix à payer pour ce vaccin, ce qu'il pourrait te demander en échange, tous tes biens, tes armes, tes vivres, ta liberté. Est-ce que tu serais prêt à payer ce prix-là, Rick? Pour un vaccin pour ta famille? » Au moment où Hakim prononça ces derniers mots, il sut qu'il avait visé juste, qu'il avait réussi à choisir les bons mots pour convaincre Rick, et Glenn qui venait de glisser sa main dans la poche où se trouvaient la montre-gousset et le bijou féminin chapardé plus tôt, et Daryl qui avait un visage plus ouvert qu'Hakim ne lui avait jamais vu. « Ce vaccin, il faut que ce soit pour tout le monde. »
Rick le regarda longuement avant de déclarer: « Tu peux pas partir seul. Tu feras jamais le poids face aux militaires. »


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