Au-delà de l'équinoxe du printemps 7


Chapitre 7

Le groupe avait décidé de poser ses valises dans une petite bicoque située en bordure de Fitzgerald. Les véhicules avaient été cachés au mieux à l'arrière de la maison, de crainte que les militaires ne passent par là et ne les reconnaissent. Mais Rick avait quand même pris le risque de tracer un grand R sur la porte d'entrée avec le sang du dernier rôdeur tué. Daryl saurait. Tous les membres du groupe s'étaient fait un petit nid aussi douillet que possible dans l'une des petites pièces qui composaient le premier étage. Sauf Carol qui, à la surprise générale, s'était portée volontaire pour une garde nocturne. Et Rick qui, même s'il était disposé à laisser plus de responsabilités à Carol, avait tout de même quelques réserves quant aux compétences de cette dernière et assurerait donc cette première garde avec elle. Sauf Daryl et Hakim aussi, Daryl et Hakim dont le groupe avait été séparé et qui étaient à présent Dieu seul savait où.

Carol pensait qu'ils les auraient rejoints avant la nuit tombée. Mais cela faisait plusieurs heures que le ciel s'était assombri, Daryl et Hakim demeuraient absents. Carol essayait de repenser aux paroles rassurantes de Rick. Daryl savait que Rick projetait de se rendre ici, ils en avaient discuté tous les deux la veille. Hakim et Daryl étaient deux gaillards qui savaient se défendre. Ils étaient tous les deux capables de survivre seuls quelque temps. Non, il était hors de question de lancer des recherches; c'était dangereux de se séparer davantage et quitter cette petite ville c'était prendre le risque de manquer les deux hommes lorsque ceux-ci parviendraient enfin à destination.

Cependant, alors qu'assise sur le petit balcon du premier étage, guettant le moindre mouvement, le moindre bruit, Carol ne pouvait empêcher l'inquiétude de monter en elle, de s'insinuer jusque dans chacune de ses terminaisons nerveuses. Elle se sentait incapable de surmonter une autre perte, la perte d'une autre personne qu'elle aimait sincèrement. Elle était angoissée à l'idée de ne plus jamais revoir Daryl, ni Hakim. Elle ne pouvait pas croire que ça puisse être la fin, car elle avait justement un affreux sentiment d'inachèvement. Toutes ces choses qu'il aurait fallu dire, qu'il aurait fallu faire hier et qu'on ne pouvait plus dire ni faire aujourd'hui. Et le corps de Carol vibrait de l'espoir qu'elle ait cette chance merveilleuse et magnifique de pouvoir dire et faire demain. Elle était terrassée par l'anxiété, aux aguets du moindre signe de l'arrivée imminente des deux hommes. Mais ils n'arrivaient pas et la rue était désespérément silencieuse, ce qui aurait dû être une bonne nouvelle, mais qui ce soir-là était le plus cruel des supplices. Il n'y avait aucune animation, rien d'autre que les ronflements et les gigotements agités des autres membres du groupe que Carol entendait par la porte-fenêtre entrouverte. Elle n'avait aucune autre distraction que ses pensées qui décrivaient une large courbe sinusoïdale, qui oscillait, dans un monotone mouvement de balancier, entre idées rassurantes et angoisse, entre espoir et abattement. Elle s'aperçut soudain que sa tête dodelinait, bercée par le pendule de ses pensées. Elle la redressa d'un coup et sentit la porte-fenêtre s'ouvrir derrière elle.

C'était Rick qui venait doucement s'assoir à côté d'elle. « Glenn est venu me relayer à l'arrière. Mais je peux tenir encore tenir une heure ou deux. Va te coucher. J'irai réveiller T-Dog quand je serai trop fatigué », annonça-t-il en guise d'explication.

Carol était exténuée et tentée par l'offre de Rick. Mais elle se savait trop tourmentée pour trouver un sommeil apaisant. Et puis, elle n'avait pas envie d'aller dormir, elle ne voulait surtout pas manquer Daryl et Hakim si d'aventure ils revenaient dans les prochaines heures. Elle savait bien qu'ils n'avaient sans doute pas pris le risque de se déplacer de nuit et qu'elle n'aurait aucune nouvelle d'eux avant le lendemain matin, au mieux. Mais elle ne pouvait pas s'en empêcher, il fallait qu'elle reste éveillée, il fallait qu'elle soit là. « Je ne suis pas fatiguée. Mais je ne suis pas contre un peu de compagnie », proposa-t-elle à Rick. Elle se décala un peu sur la droite pour laisser une petite place à Rick sur le plaid qu'elle avait étendu par terre. Ce dernier s'installa sans un mot.

Ils montèrent ainsi la garde dans un silence total. Le ciel s'était couvert et la nuit était maintenant noire et épaisse. Les pupilles de Carol étaient fixées sur l'ombre immense devant elle, une ombre qui semblait n'avoir aucune profondeur, mais qui paradoxalement paraissait s'étendre infiniment. Sa cornée était sèche tant elle essayait de garder les yeux ouverts, mais elle ne pouvait pas cligner des yeux, elle était sûre de ne jamais pouvoir soulever les paupières à nouveau.

Mais le jour s'était levé et elle marchait à présent dans une rue familière qu'elle ne reconnaissait pas. Elle cherchait quelque chose. Elle savait quoi et, en même temps, elle ne savait plus. Cette idée se fanait déjà car quelqu'un l'appelait. Quelqu'un essayait d'attirer son attention sur le trottoir d'en face. Elle reconnaissait cette personne, ce visage. Et son cœur fit un bond de joie, son corps entier en était secoué. Elle sentait quelque chose affleurer sa conscience. La rue autour d'elle s'évapora et ses yeux papillonnèrent jusqu'à deviner le contour du visage de Lori qui était penché sur elle. Carol était couchée sur un tapis de yoga, emballée dans une couverture, à l'intérieur de la pièce sur laquelle donnait le balcon. Lori la secouait toujours doucement. « Carol, Carol. Ils sont là, Daryl et Hakim. Ils viennent d'arriver. »

Carol se releva brusquement. Ils étaient là, sains et saufs. Elle laissa échapper un soupir de soulagement, et un sourire aussi. « J'arrive », répondit-elle à Lori. Elle se leva tout à fait, réajusta ses vêtements chiffonnés et suivit Lori hors de la pièce. Une fois sur le palier, elle reconnut immédiatement la voix d'Hakim qui provenait du rez-de-chaussée. Ils étaient là, sains et saufs. Elle glissa dans l'escalier, légère comme un vol d'aigrettes, et suspendit sa course sur la dernière marche au moment où Hakim, qui était toujours dans le petit hall d'entrée, se retourna vers elle. Ce fut lui qui initia le geste. Soudain les mains d'Hakim étaient dans son dos, soudain sa tête reposait sur l'épaule d'Hakim, son visage tourné vers son cou. Hakim serra ses bras un peu plus, juste un moment, leurs torses écrasés, puis relâcha la pression et se dégagea lentement de l'embrassade. Un sourire lumineux de Carol, mais... « Daryl? » Lori avait bien dit qu'ils étaient là tous les deux, non?

« Quoi? » Le ton de Daryl, qui venait d'apparaitre sur le seuil, était bougon, mais son visage était ouvert, comme éclairé par quelque chose. Et cette fois, ce fut Carol qui s'élança vers lui et le força dans une étreinte qu'il tenta de rendre de mauvaise grâce. Et Carol en était ravie. Elle ne voulait rien de plus que ça, et ce quelque chose sur le visage de Daryl, ouvert et éclairé.

***

Deux jours après les retrouvailles de Daryl et Hakim avec le reste du groupe, Rick avait pris Glenn à part pour lui confier une petite mission. Il voulait que Glenn prenne Hakim avec lui pour faire de la reconnaissance, faire un tour du voisinage. Ils pourraient par la même occasion faire un peu de ravitaillement en pillant les quelques maisons vides qu'ils croiseraient sur leur chemin. Mais tout cela n'était qu'un prétexte, n'était que la version officielle à servir à Hakim. La véritable mission de Glenn était d'éloigner ce dernier du reste du groupe pendant deux bonnes heures. Rick devait parler aux autres et, le sujet de la discussion, ce serait précisément Hakim. Mais Glenn ne devait pas s'inquiéter, Rick le brieferait plus tard. Et pourquoi était-ce lui qui devait chaperonner Hakim? Eh bien parce qu'il en était capable. Parce qu'il savait se débrouiller et qu'il pourrait gérer son compagnon de route en cas de problème. Et puis, il avait une montre pour vérifier que le temps était écoulé et qu'il pouvait rentrer.

Quelques minutes plus tard, Glenn et Hakim étaient équipés pour sortir. Ils passèrent tous les deux devant Rick qui échangea un hochement de tête discret et entendu avec son ami. Rick observa les deux silhouettes s'éloigner jusqu'à ce qu'elles disparaissent de son champ de vision. Il était temps de rassembler les autres.

Ils se réunirent tous dans le salon de la vieille ferme qu'ils occupaient pour l'instant. La pièce était décorée de meubles rustiques en bois massif. Aux murs étaient accrochés quelques tableaux de peintre amateur qui représentaient des scènes de la vie paysanne. Le gros divan moelleux était garni d'un tissu aux motifs floraux sur lequel étaient posés deux coussins aux housses brodées à la main. A côté, posé sur un guéridon recouvert d'un napperon en dentelle jaunie, trônait une cruche en poterie qui semblait également être le fruit d'un artisanat local. Enfin, un large buffet où était exposé de la vaisselle en porcelaine blanche avec des petites fleurs bleues achevait de donner à l'ensemble une ambiance à la fois champêtre et vieillotte qui n'était pas sans rappeler celle du salon d'Herschel. D'ailleurs, la scène entière avait un air de déjà-vu. Sauf que cette fois, Daryl n'était pas du tout en retrait du groupe, il était bien visible par tous, à la droite de Rick. Bien sûr, ce n'était pas lui qui allait parler, ça non, c'était le chef qui s'en chargerait. Mais Daryl allait peut-être devoir appuyer ses propos ou apporter des précisions puisque c'était lui qui avait été le réceptacle des confidences d'Hakim.

« On a de nouvelles informations sur Hakim. Des informations importantes. Et il faut qu'on discute de ce qu'on va en faire. » Ce fut ainsi que Rick introduisit son sujet. Tous les regards étaient braqués sur lui, en silence. « Il a peut-être dit à certains d'entre vous qu'il était radiologue. On sait maintenant que c'est pas vrai. » Hershel fronça les sourcils et entrouvrit la bouche pour protester, mais Rick l'interrompit en levant une main autoritaire. « Il était chercheur, virologue ou virologiste, un truc comme ça. » Rick se tourna vers Daryl qui cligna une fois des yeux, comme un code de confirmation. « Et devinez un peu sur quel virus il a travaillé, j'vous le donne en mille », proposa-t-il ironiquement. Il laissa alors s'étirer le silence, le temps que l'information capitale, qu'il n'avait pourtant pas clairement fournie, imprègne les cerveaux.

« Mais comment on sait que c'est vrai? » Avec sa question, Lori tira tous les autres de leurs pensées.

Et ce fut Hershel qui prit l'initiative de répondre. « Hakim a une connaissance approfondie de l'anatomie humaine. Qu'il ait fait des études médicales, je n'en doute pas une seconde. »

Mais Lori ne semblait pas satisfaite. Ca ne répondait pas à sa question, pas vraiment. Rick voyait bien qu'elle n'était pas convaincue. Il lui fallait exposer tous les faits. « Il y a au moins quelqu'un qui est persuadé qu'Hakim a des informations importantes sur l'épidémie. Les militaires qu'on a déjà croisés. » La main de Maggie caressa involontairement sa blessure cicatrisée. « C'est pour ça qu'ils le veulent, pour utiliser ce qu'il sait pour créer un remède ou un vaccin.

- Ben, c'est plutôt une bonne idée, non? intervint timidement Beth.

- Non », lâcha Daryl de sa voix bourrue. La petite assemblée était à présent unie dans sa perplexité, dans l'attente que Daryl développe sa pensée.

Attente qui ne serait pas comblée, Rick le voyait bien à la mine renfrognée et à l'air sombre de son camarade. Il fallait prendre le relai. « Hakim a des doutes... des réticences. Il pense que les militaires n'agissent pas dans l'intérêt de tous. Il est même persuadé que les militaires ne reçoivent plus leurs ordres du gouvernement.

-C'est absurde! » Nouvelle intervention de Lori. Elle secouait la tête avec dérision, cherchant l'approbation dans le regard de ses compagnons d'infortune. « Les militaires sont des agents fédéraux. De qui voulez-vous qu'ils reçoivent leurs ordres? Et puis en quoi un vaccin ne serait pas dans l'intérêt de tous? » Quelques murmures d'assentiment, quelques hochements de tête, Lori marquait un point. « Si Hakim a réellement travaillé sur le virus, s'il y a la moindre chance qu'il puisse créer un vaccin avec les militaires, alors il doit le faire. Peu importe que les militaires ne prennent pas leurs ordres du gouvernement. Peu importe même qu'il y ait encore un gouvernement. Et si ça se trouve, c'est ça. C'est pour ça que les militaires ne prennent plus ordres du gouvernement, parce qu'il n'y a plus de gouvernement! Et Hakim est juste parano! »

La cause de Lori semblait gagnée. Elle avait parfaitement raison. Si la possibilité de création d'un vaccin existait, il fallait en faire une priorité. C'était peut-être la seule issue à tout ce chaos. Donner toutes ses chances à ce vaccin d'exister, c'était vraiment la meilleure chose à faire, la seule chose à faire. Réunir Hakim et les militaires était la meilleure solution, la seule solution.

« Je ne crois pas qu'Hakim soit si parano que ça, intervint toutefois Maggie. Ces militaires, ils nous ont quand même tiré dessus sans sommation. Ils m'ont tiré dessus. » Maggie retroussa sa manche pour montrer sa cicatrice. « Et ils ont tué sa patronne.

-Ça, c'est ce qu'il dit, contra Lori. Mais en vérité, on n'en sait rien.

-Mais Maggie a quand même raison sur un point, enchaina T-Dog. Ces fils de pute nous ont tiré dessus.

-C'était peut-être un malentendu. Ils ont pensé qu'on ne voulait pas leur donner Hakim. » Il fallait qu'ils comprennent, Lori devait leur faire comprendre. Rien n'était plus important qu'un vaccin. Elle passa brièvement la main sur son ventre rebondi. « Et puis, de toute façon, qu'est-ce que vous voulez qu'ils fassent d'un vaccin, les militaires? A part vacciner les gens? »

Maggie s'apprêtait à intervenir quand son père la devança. Carol y allait de son commentaire à l'attention de T-Dog. Et une rumeur indistincte ne tarda pas à s'élever. Alors que le brouhaha commençait à vriller les tympans fatigués de Daryl, il lança un regard à l'adresse de Rick; il était temps de reprendre les rênes du débat.

« Le truc c'est qu'Hakim pense que le virus n'est pas... ». Rick cherchait ses mots, comment Daryl l'avait-il expliqué ce matin? Ça allait lui revenir. « Il pense que le virus est trop parfait pour être naturel. » C'était plus ou moins ça, non? Hochement de tête imperceptible de Daryl. « Il pense que quelqu'un l'a créé de toutes pièces. Comme une arme.

-Et il a dit un truc du style, celui qui a le vaccin peut acheter le monde. Parce qu'on serait tous prêts à donner n'importe quoi pour avoir ce vaccin », acheva Daryl. Un silence choqué tomba quelques instants, mais les discussions disparates et animées reprirent bien vite. Qui aurait bien pu créer une telle arme? Sans doute pas notre gouvernement? Mais si c'était notre gouvernement et que les militaires ne travaillaient pas pour lui, alors leur remettre Hakim restait une bonne option! Mais si c'était justement pas notre gouvernement? D'accord, mais comment savoir? La question se résumait à savoir si on décidait de faire confiance aux militaires, à l'autorité.

Des bribes de conversations se perdaient dans une cacophonie de voix, lorsqu'une autre voix, plus claire, plus forte, plus assurée, s'éleva au-dessus de la mêlée. « On doit laisser Hakim décider. Il fait partie de notre groupe depuis des mois. C'est à lui qu'on doit faire confiance. Ces militaires, on ne les a croisés que deux fois. On ne leur a même jamais parlé. Hakim, lui, les connait, les a fréquentés. On doit faire confiance à Hakim. On doit le laisser décider de ça. Après tout, c'est sa vie à lui qui est en jeu. Ou au moins sa liberté, probablement. » C'était Carol qui avait parlé, sa voix qui avait fait taire toutes les autres. Tous les regards étaient à présent braqués sur elle. Tant qu'elle eut soudain la tentation de gigoter, de se grignoter les lèvres, de baisser les yeux. Mais elle était déterminée à ne pas bouger, à ne pas reculer, pas maintenant qu'elle avait osé s'exprimer, exprimer une opinion différente plutôt que simplement se rallier à la majorité comme elle le faisait d'habitude. Lorsqu'elle aperçut le mouvement de tête approbateur de Daryl, elle sentit une tension en elle se dissiper, elle se sentit comme libérée d'un poids dont elle n'avait jamais eu conscience jusqu'alors.

« Carol a raison. » Rick venait ainsi d'entériner la proposition de Carol. Lori, les yeux brillants, était visiblement agacée. Son mari lui lança un regard désolé avant de poursuivre en s'adressant à elle. « On va parler à Hakim, réfléchir à nos options avec lui. Carol a raison, il doit prendre part à la décision. » Ces quelques paroles n'eurent pas l'air d'apaiser Lori qui tourna les talons et quitta la pièce. Carol en était désolée, mais elle était surtout ravie. Elle avait raison! Un petit sourire victorieux vint jouer sur ses lèvres et ses yeux trouvèrent ceux de Daryl qui lui offrit un nouveau hochement de tête. Daryl fit quelques pas vers la porte de la pièce et, en arrivant à la hauteur de Carol, il posa sa main droite sur le bras de celle-ci, exerça une brève et légère pression et retira sa main immédiatement. Carol ressentit ce geste furtif comme une étreinte; tu es mon amie, je te soutiens, je suis fier de toi, je t'aime très fort.

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