Au-delà de l'équinoxe du printemps 5

Les militaires étaient toujours sur leurs traces, évidemment. Accroupi derrière un buisson de fougères, Daryl observait leur campement à l'aide d'une paire de jumelles. Il pouvait compter neuf hommes en tout, bien armés et, à n'en pas douter, bien entrainés. Leur groupe ne faisait clairement pas le poids. Les militaires avaient déployé une carte sur le capot d'une voiture. L'un d'eux parlait aux autres en se référant régulièrement à la carte, une sorte de débriefing surement, dont le but était de mettre la main sur Hakim, Daryl en était certain. Mais pourquoi voulaient-ils Hakim, pourquoi y mettre tant d'acharnement? Il était plus que temps d'obtenir des réponses claires à ces questions. Et Hakim était le seul à pouvoir les fournir. Malheureusement, les interrogatoires de Daryl avaient été vains. Le type était malin, ses réponses évasives jouaient sur les mots, ses semi-vérités étaient convaincantes. Daryl avait compris qu'il n'obtiendrait rien qui vaille par la force et qu'il ne faisait pas le poids pour jouer au plus fin avec Hakim. De là à penser que Daryl n'obtiendrait jamais rien du tout, il n'y avait qu'un pas, aisément franchissable. Mais si Daryl ne pourrait jamais lui tirer les vers du nez, quelqu'un d'autre était en mesure de le faire. Et ce quelqu'un d'autre, c'était Carol. Avec l'amitié grandissante - et déplaisante - qui la liait à Hakim, elle occupait une position privilégiée. Sa patience, son empathie et son air inoffensif ne pouvaient que l'aider dans cette tâche. Il fallait que Daryl parle de tout cela à Rick au plus vite, qu'il fasse le rapport de son observation du campement des militaires et qu'il réussisse à convaincre Rick d'envoyer Carol en mission. Discrètement, Daryl s'extirpa de sa cachette et refit le bout chemin qui le mènerait à sa moto pour retourner à son groupe.
La scène qui l'attendait au campement postposa ses projets. Une horde immense de rôdeurs était sur le point de déferler sur l'ancienne papeterie qui servait momentanément de refuge au groupe. La tête du cortège était d'ailleurs déjà sur place. Lori, Hershel et Carl étaient déjà dans les voitures. Glenn, Hakim, T-Dog et Rick repoussaient les premiers assaillants. Carol, Beth et Maggie couraient, chargées des quelques affaires qui avaient été déménagées dans le bâtiment. Daryl se précipita vers eux à plein gaz. Le temps qu'il arrive à eux, tout le monde était à l'abri des habitacles des voitures. Sauf Rick qui fracassait encore quelques crânes, à deux pas de la portière conducteur.
Et sauf Hakim qui s'était laissé entrainer assez loin des voitures. Et qui était maintenant encerclé de rôdeurs. Il se débattait furieusement. Mais il ne tiendrait pas longtemps. Et jamais il ne parviendrait à se frayer un chemin jusqu'à la voiture la plus proche. Daryl n'hésita pas. Même pas une fraction de seconde. Il fonça droit sur Hakim. Dégagea les zombies qui entravaient son chemin. Dans la cacophonie des râles et des vrombissements de son chopper, Daryl perçut le bruit des moteurs des autos qui s'éloignaient. Les autres étaient partis. Ils n'avaient pas eu le choix. Daryl arriva bientôt aux côtés d'Hakim. Il utilisa son couteau pour achever quelques rôdeurs dangereusement proches. Hakim continuait à asséner de grands coups de batte autour de lui. Il tourna la tête vers Daryl. Leurs regards se croisèrent. Vite. Hakim jugea rapidement la distance et les obstacles jusqu'à la moto. Encore quelques coups de batte. Il enfourcha le chopper, derrière Daryl. Mais quelque chose le retenait. Un zombie avait agrippé sa manche droite. Impossible d'utiliser la batte. Les dents pourries du rôdeur étaient à quelques centimètres à peine de sa peau. Hakim secoua frénétiquement le bras pour le faire dégager. Coup de couteau de Daryl, dans la tempe. Le zombie céda. Daryl remit des gaz. Ils avançaient. Hakim enlaça étroitement la taille de Daryl de son bras gauche. De sa main droite, il envoyait sa batte en tous sens, percutant encore quelques crânes au hasard.
Une fois éloignés de la horde, Hakim replaça la batte dans son sac à dos entrouvert, à tâtons. Et, comme ils prenaient de la vitesse, il serra également la taille de Daryl de son bras droit. Mais il sentit bientôt la main de Daryl agripper la sienne et la repousser vers l'arrière. A l'aveuglette, la main d'Hakim trouva une chose à laquelle s'accrocher, légèrement derrière lui. Ah, il y avait donc des poignées à cette moto! Il déroula son deuxième bras pour libérer Daryl et saisit la seconde poignée, de l'autre côté, sentant le rouge lui monter aux joues. Ils roulèrent ainsi pendant cinq bonnes minutes jusqu'à ce que Daryl ralentisse. Devant eux, un tronçon de route était complètement bloqué. Deux camions renversés entravaient la chaussée. De nombreux véhicules emboutis avaient été abandonnés de part et d'autre de ces camions.
Daryl s'arrêta tout à fait, les deux pieds au sol, et fit signe à Hakim de descendre. Daryl l'imita et fit sortir d'un coup de bottine le pied de la moto. Il fit quelques pas en scrutant le sol.
« Qu'est-ce qu'on fait? » Hakim faisait clairement un gros effort pour paraitre calme et contrôler la panique au fond de sa voix.
Daryl releva la tête. « Les autres sont pas passés par ici. Ils ont dû bifurquer avant. »
Un rôdeur parut sur le bas-côté de la route. Hakim sortit sa batte, s'élança et lui asséna un bon coup dans la tête. « Qu'est-ce qu'on fait? » répéta-t-il stupidement. « Comment on va les retrouver? » Ce n'était pas qu'il n'avait pas confiance en les capacités de traqueur de Daryl, mais bon, des bagnoles sur la route, ça ne laissait quand même pas des traces comme le gibier dans les bois, si?
« On a discuté hier d'un bled, Fitzgerald, avec Rick. C'est à une trentaine de kilomètres. C'est là qu'ils seront allés. » Daryl était sûr de lui. Il enfourcha à nouveau le chopper. « Allez, viens. On y va. »
De longues heures passèrent. A rouler, à s'arrêter, à chercher d'éventuelles traces des autres - qu'ils ne trouvèrent pas -, à slalomer entre des voitures abandonnées, à faire demi-tour parce qu'un pont était bloqué, à faire des détours pour éviter les villes, à consulter la carte qu'Hakim avait par chance dans son sac à dos, à siphonner de l'essence pour remplir le réservoir du chopper. Le soir tombait déjà. Ils s'arrêtèrent à un barbecue grill le long de la route. Ils planquèrent la moto dans un fourré tout proche. Puis ils grimpèrent sur le toit du restaurant. La nuit était venteuse. Ils auraient froid sur la toiture nue. Mais c'était l'option qui offrait la plus grande sécurité, la meilleure visibilité aussi. Ils partagèrent un paquet de biscuits salés en silence.
« J'ai vu les militaires ce matin. » Daryl ne savait pas pourquoi il avait dit ça. Il n'avait pas du tout eu l'intention d'en parler avec Hakim. En tout cas, pas avant d'en avoir discuté avec Rick, c'était certain. Et pourtant, c'était là, c'était lâché. Hakim le regardait, tendu, sans plus bouger, même sa mastication du dernier biscuit s'était interrompue. Il avait les yeux pleins de questions inarticulées. Il attendait que Daryl poursuive, développe. Mais Daryl ne disait plus rien. Il venait de mordre dans un autre biscuit.
« Ils sont là pour moi. C'est moi qu'ils veulent. » Hakim avait parlé tout doucement, presqu'un chuchotement.
« Ça, on sait. » C'était pas la peine de prendre Daryl pour un con et d'essayer de faire passer pour neuves des réponses anciennes. Par contre, l'attitude de Daryl ne s'était pas durcie. Son ton était resté calme, presque machinal. Comme à son habitude, il n'en dit pas plus et se contenta d'attendre. Attendre des explications qui viendraient ou qui ne viendraient pas. Il était résigné.
« Je suis pas radiologue. » Une pause. Hakim avait maintenant la pleine attention de Daryl. Maintenant qu'il était lancé, il devait continuer. Il voulait continuer. Mais il devait rester prudent, choisir soigneusement ses mots. Il ne fallait pas qu'il compromette sa mission. Mais ça faisait des mois qu'il avait laissé sa mission en suspens, si bien qu'il ne savait même plus si cette mission avait un sens. Tout semblait tellement foutu. Non, s'il était honnête avec lui-même, il devait bien avouer que c'était surtout sa propre sécurité qu'il ne voulait pas compromettre. Qui savait ce que le groupe ferait avec toute l'information qu'Hakim détenait. C'était un groupe de gens braves et honnêtes, certes, mais c'était surtout un groupe de survivants. Et si pour survivre, pour que sa femme enceinte et son fils survivent, Rick devait passer un marché avec les militaires, bien sûr qu'il le ferait. Hakim n'en doutait pas car, dans une situation similaire, il se savait capable de sacrifier un étranger pour la survie des siens.
Les réflexions d'Hakim durent se poursuivre quelque temps, car ce fut finalement Daryl qui rompit le silence. « T'es pas docteur, alors? » Toujours une voix neutre, contenue.
« Si. Je suis juste pas radiologue. Je ne suis pas praticien du tout en fait. » Haussement de sourcils de Daryl. « Je ne suis pas le genre de médecin que tu vas consulter quand t'as mal quelque part. » Hochement de tête de Daryl. « Je travaille dans la recherche. Enfin, je travaillais. Je suis spécialisé en virologie, les virus, tout ça. Il y a, hum, eh bien, un an maintenant, j'ai dû abandonner toutes mes recherches pour travailler sur un nouveau virus. »
Cette fois, tout était vrai, vraiment et absolument vrai. Daryl le savait. Parce que, ce qu'Hakim était en train de dire à demi-mots, qu'il avait travaillé sur ce virus-là, comme l'autre docteur du CDC, ça avait beaucoup plus de sens. Mais Daryl voulait faire une dernière vérification, faire passer une sorte de test à Hakim, en jouant avec la seule information scientifique qu'il détenait sur l'épidémie. « Tu sais comment on peut éviter d'être infecté quand on est mordu, alors? »
Hakim secoua lentement la tête. « Non. » Il hésita un bref instant avant de se lancer. « Le virus ne se transmet pas par les morsures. Les morsures, elles te tuent, c'est tout. Elles... » Hakim était à présent franchement indécis, pensant que l'information risquait d'être difficile à digérer pour Daryl. Et celui-ci l'écoutait très attentivement. « Le virus est dans l'air. On est déjà tous infectés, enfin pour la plupart. »
Mais Daryl n'eut pas la réaction violente qu'anticipait Hakim. Il se contenta de hausser à nouveau les sourcils. « Pour la plupart? »
« Statistiquement, un faible pourcentage de la population devrait avoir une immunité innée contre le virus. Mais là, j'en sais vraiment pas plus.
- Qu'est-ce tu sais alors? »
Dans les yeux de Daryl, Hakim ne pouvait rien lire d'autre qu'une curiosité sincère. Il se sentait en confiance, étrangement. « J'ai une certaine compréhension du virus, de son comportement. Mais je n'ai rien qui soit franchement utile. En tout cas pas là, comme ça, sans labo, sans matériel, sans rien. »
Daryl hocha la tête, semblant se satisfaire de cette nouvelle réponse évasive. « Et c'est quoi ton plan? Tu veux t'servir du groupe pour éliminer les militaires à ta place? » Cette fois, il y avait une pointe d'agressivité contenue dans la voix de Daryl.
Hakim voulut s'en défendre avec véhémence, mais Daryl n'était pas l'idiot qu'il avait d'abord cru. Non seulement, le chasseur ne se laisserait pas berner s'il niait, mais la confiance fragile qui venait de s'établir serait définitivement rompue. « A la base, c'était l'idée, oui. Mais plus maintenant. Je me suis attaché à vous. »
Daryl savait qui était ce vous. Vous, c'était surtout Carol. Et toutes ses observations ne faisaient que confirmer qu'Hakim s'était réellement attaché à Carol. Toutes les bribes d'informations lâchées ci et là par Hakim se connectaient enfin en un tout cohérent. Il ne restait qu'un élément incompréhensible aux yeux de Daryl, et un élément de taille, les militaires. « Y a un truc que je pige pas quand même... Pourquoi tu collabores pas avec les militaires? Le matos que t'as besoin, le labo, tout ça, eux, ils ont peut-être. Si tu vas avec eux, ils vont surement t'envoyer bosser avec d'autres gens comme toi, pour trouver un remède, non?
- Ils ont tué ma boss. » Il y avait une certaine finalité dans cette phrase d'Hakim.
Mais Daryl insista. « Ouais, mais ça non plus je pige pas. Pourquoi ils ont fait ça? Si elle avait découvert un truc... pourquoi? Ça n'a aucun sens. »
Hakim haussa les épaules. « A mon avis? C'était involontaire, un dérapage, un connard qui a fait de l'excès de zèle, un truc comme ça. Si je collabore pas avec eux, comme tu dis, c'est pas parce que j'ai peur qu'ils me tuent. Ils me veulent vivant, ça je le sais. Le truc, c'est que je sais pas ce qu'ils vont faire des informations que j'ai. Ma cheffe, elle leur faisait pas confiance. Elle pensait qu'ils n'étaient plus sous les ordres du gouvernement. » Le visage de Daryl avait pris les traits de la perplexité et, au-delà de ses yeux fatigués, apparaissaient clairement les rouages de son cerveau qui tournaient à plein régime. Hakim décida alors de répondre à la question que Daryl ne parvenait pas ou n'avait pas encore eu l'idée de formuler. « Vous pouvez pas vous rendre compte parce que vous ne l'avez pas vu. Si tu avais vu ce virus au microscope comme moi je l'ai vu... Je sais pas comment t'expliquer ça pour que ce soit clair. Ce virus, il n'a pas les aspérités, ce petit côté aléatoire qu'il y a dans toutes les choses vivantes qui apparaissent naturellement. C'est... c'est un peu la poupée Barbie du virus, si tu veux. Ça pue le truc créé de toutes pièces. » Daryl affichait à présent un drôle d'air qu'Hakim ne parvenait pas à déchiffrer. Ça y est, il doit me prendre pour un taré. Et le besoin impérieux de se justifier. « Écoute, je sais que j'ai l'air d'un cinglé qui voit des complots partout. C'est pas ça. Sérieux, si tu avais vu... Ce virus, c'est autre chose, vraiment autre chose. Tu aurais dû voir la beauté du truc. »
Hakim avait achevé d'une voix rêveuse, admirative peut-être, qui provoqua une moue de dégoût chez Daryl. Et un début de colère aussi. La beauté du truc? Il avait peut-être vu le virus, mais il n'avait pas vu Sophia sortir de la grange. La beauté du truc! Et il était beau son virus, peut-être, quand il avait englouti sa marraine? Mais Daryl comprenait l'importance de cette conversation. Il ne fallait pas qu'il gâche le moment en piquant une de ses crises dont il avait le secret. Et il se calma, chose qui aurait été impossible il y a quelques mois. « Donc tu penses que quelqu'un a créé le virus comme une sorte d'arme? »
Hakim fit un petit geste qui ne l'engageait pas à grand chose, ni oui ni non. « C'est juste une hypothèse, mais ça expliquerait pas mal de choses.
- Et les militaires alors?
- Encore une fois, ce sont juste des hypothèses. Mais réfléchis une seconde à ce que peut valoir une information pertinente sur l'épidémie, sur le virus. La monnaie d'échange que ça peut être. Et sans vouloir être pessimiste, je pense pas que les militaires vont filer l'info à une société philanthropique. Et imagine s'il y avait une cure, un remède sur la table. Ce que les gens seraient prêts à donner pour ça. Celui qui a le remède, il peut acheter la terre entière. C'est ça l'enjeu du truc. »
Hakim sentit d'un coup une boule d'air froid se former dans son ventre, comme un trou glacé qui grandissait et engloutissait tout sur son passage. Il avait fallu qu'il prononce ces mots à voix haute, qu'il les dise à quelqu'un pour les comprendre, pour en saisir toute la vérité, jusque dans ses tripes gelées. Il se leva d'un bond, comme pour tenter d'échapper à son mal-être, à cette réalité soudaine qui l'assommait. Il annonça qu'il prendrait le premier tour de garde et que Daryl pouvait dormir un peu. Celui-ci n'objecta pas. Il était éreinté. Et il avait besoin de fermer les yeux pour ruminer tout ce qu'il venait d'apprendre. En s'installant aussi confortablement que possible, il se rejoua toute la conversation, depuis le début. A présent, il avait le sentiment de mieux comprendre Hakim, d'avoir percé son mystère. Mais il ne savait toujours pas ce qu'il fallait faire de lui, vers quelle direction le pousser. Ce qu'il savait, c'était qu'il fallait à tout prix empêcher les militaires de mettre la main dessus. Ça, il en était maintenant convaincu. Il en parlerait le lendemain à Rick, quand ils le retrouveraient. Ce fut sa dernière pensée consciente avant de sombrer dans un sommeil agité, peuplé de rêves étranges.

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