Ascension printanière 7
Chapitre 7
La nuit était claire et lumineuse, les étoiles brillantes et la lune laiteuse seulement voilées par quelques fins nuages épars qui se dissipaient rapidement, emportés par le vent vif et frais de janvier. Carol n'avait cependant pas le loisir de contempler la beauté du ciel ce soir-là, affairée qu'elle était, comme une petite abeille, slalomant sans bruit entre les membres du groupe, butinant leurs sacs posés à même le béton froid, protégés par le rempart de voitures stationnées entre la route et l'aire de repos où les survivants avaient pris leurs quartiers temporaires. Deux camions et une caravane, abandonnés là des mois sans doute avant leur arrivée constituaient un paravent efficace entre leur campement provisoire et la voie rapide. Ils avaient complété les fortifications en déplaçant quelques automobiles et en garant les leurs de sorte à former un cercle presque complet autour d'eux. Hershel était assis à l'une des tables en bois gorgée d'eau et recouverte de mousse verdâtre. Épuisé par l'opération de sauvetage qu'il venait d'effectuer sur Hakim dans des conditions plus que précaires, il tenait distraitement compagnie à la grand-mère du groupe qui somnolait enfin après avoir babillé gaiement des heures durant. Carol leur offrit un regard rapide, mêlé de tendresse et d'admiration. Elle éprouvait un respect grandissant pour le vieux vétérinaire, pour son sang-froid et sa détermination à sauver des vies, à un moment où elles n'ont encore aucune importance pour lui. Carl, Daryl, et maintenant Hakim. Carol aurait bien aimé avoir, elle aussi, cette capacité à sauver les gens; mais à part, comme toutes les mères, savoir soigner quelques bobos et quelques maladies infantiles bénignes, elle n'avait aucune connaissance des sciences médicales. Peut-être pourrait-elle à l'occasion demander à Hershel de lui enseigner quelques bases. A une époque aussi trouble, les savoirs sont précieux et se doivent d'être transmis avant d'être perdus à jamais si celui qui les détient venait à mourir prématurément. Ce serait aussi un bon moyen pour Carol de se rendre utile, d'avoir une place encore plus active au sein du groupe. Un autre moyen, peut-être, de redonner sens à son existence.
Mais ce projet allait devoir attendre un peu car Carol venait tout juste d'endosser un nouveau rôle et elle était présentement plongée dans la mission que Rick lui avait confiée. C'était enfin une tâche avec laquelle elle se sentait parfaitement à l'aise et où elle pouvait mettre en œuvre toutes ses compétences. Rick l'avait nommée responsable de la gestion du campement. Il lui incombait désormais de trier et inventorier toutes leurs possessions, de déterminer ce qu'il leur manquait ou quelles étaient les provisions en quantité insuffisante, d'établir avec l'accord du chef quelles seraient les priorités lors des missions de chapardage. Ce serait également à elle de rationner les membres du groupe, de distribuer équitablement les diverses victuailles en fonction des besoins de chacun. Quand Hershel aurait pris un peu de repos, il lui faudrait aussi passer en revue avec lui leur trousse médicale. Il n'y avait que la gestion des armes et des munitions qui restait entièrement entre les mains de Rick. Carol était ainsi, pour la première fois, chargée d'une mission lourde de responsabilités, mais une mission qui lui convenait à la perfection, qui semblait taillée sur mesure pour elle. Carol n'était peut-être pas une grande guerrière, mais elle était une excellente gestionnaire, elle avait, par le passé, toujours tenu son ménage avec efficacité et minutie.
C'était donc à cette nouvelle tâche que Carol, ignorante du somptueux tableau céleste, bien qu'aidée par sa pâle clarté, s'activait, répartissant de manière plus rationnelle le contenu des sacs. Elle en avait déjà extrait de quoi composer le repas du soir, uniquement des denrées consommables telles quelles, sans cuisson. Glenn avait voulu profiter du barbecue en dur érigé sur l'aire de repos pour faire un repas chaud, mais Rick avait refusé. La fumée risquait d'attirer une attention indésirable. Carol avait donc sélectionné quelques boites de conserves et des condiments qu'elle avait ensuite apporté à Lori et Beth qui devaient se charger de préparer les assiettes et gamelles de chacun. Carl était chargé de surveiller Hakim, toujours inconscient dans une des voitures. Tandis que les hommes se concertaient pour planifier leur journée du lendemain. Ils passeraient tous à table lorsque la petite réunion serait terminée. Une assemblée plus large avait été tenue une bonne demi heure auparavant. L'attaque des militaires avait secoué tout le monde et personne ne savait comment réagir à ce nouveau rebondissement. Ils manquaient cruellement d'informations pour examiner correctement leurs options. Le seul qui pouvait être en mesure de répondre à leurs interrogations, c'était Hakim qui n'était actuellement pas en état d'être questionné. Daryl avait voulu essayer d'obtenir de lui des réponses avant qu'Hershel ne le drogue pour le soigner, mais le vétérinaire s'y était farouchement opposé, l'opération ne pouvait, selon lui, souffrir d'aucun délai. Rien de concret n'était donc vraiment sorti de cette large réunion, si ce n'était qu'il leur faudrait plier bagage demain dès l'aube. Rick ne voulait courir aucun risque et, tant qu'on n'en saurait pas davantage sur ces militaires, on allait s'arranger pour éviter de croiser leur chemin. L'ancien policier, Glenn, Daryl et T-Dog s'étaient ensuite penchés sur une carte routière pour repérer le trajet et se mettre d'accord sur une éventuelle destination.
Et ils n'avaient pas encore relevé le nez de la carte éclairée par une lampe de poche. De là où elle se trouvait, Carol ne pouvait que distinguer des murmures. De temps à autre, un chuchotement contrarié s'élevait avec un peu plus de virulence. Elle avait même entendu un poing s'écraser contre le capot d'une voiture, mais avec douceur, la nécessité de ne pas faire de bruit l'emportant à peine sur l'énervement. « Ça, c'est Daryl et son caractère de cochon », s'était alors dit Carol avec un petit sourire et un mouvement de la tête résigné, cela sans même avoir à se tourner vers eux. Carol compatissait bien sincèrement. Trouver une destination... Voilà bien longtemps qu'ils n'en avaient plus de destination. Avoir une destination, c'est penser à long terme, et depuis des mois, depuis leur fuite de la ferme, ils n'avaient rien fait d'autre que survivre au jour le jour. Une vie de nomadisme, d'errance sans but, à chaque fois chassés de tous les refuges qu'ils se trouvaient. La vérité, c'était qu'ils n'avaient nulle part où aller. Et ils se laissaient passivement être ballotés d'un endroit à l'autre, de grange désertée en maison abandonnée. Tout cela était terriblement déprimant. Carol observa un instant ses mains bleuies, il fallait qu'elle cesse de penser à tout cela. Trouver une destination ne faisait pas partie de sa mission. Elle décida toutefois d'interrompre momentanément son travail pour vérifier que Maggie ne manquait de rien. La jeune femme était paisiblement assoupie dans l'un des véhicules, sur le siège passager qui avait été incliné presque à l'horizontale. En regardant par la vitre, Carol constata avec satisfaction que le bandage autour du biceps de Maggie était toujours bien blanc et propre. La balle qui lui avait frôlé le bras durant l'attaque de la matinée n'avait pas fait de réels dégâts, mais la jeune femme avait néanmoins perdu pas mal de sang et son corps avait grand besoin de repos. Son bref évanouissement dès qu'elle avait voulu sortir de la voiture avait été un signal clair en ce sens. Carol n'avait jamais vu Glenn aussi paniqué, ça en aurait presque été drôle si la situation n'avait pas été aussi dramatique. Mais c'était tout de même amusant de voir combien il était protecteur de sa petite amie. Il avait d'ailleurs été livide lorsque Rick avait évoqué la possibilité que les militaires puissent s'avérer être des alliés, considérant le fait que l'assaut n'avait peut-être eu pour cible qu'Hakim. Glenn avait été furieux et n'avait rien voulu entendre. Pour lui, le cas des militaires était réglé, ils étaient leurs ennemis, point final. Mettre tout le monde d'accord sur ce nouveau problème n'allait pas être simple, c'était une certitude. Mais sans une véritable discussion à ce sujet-là avec Hakim, toute polémique était bien vaine pour l'instant.
Quelques pas plus loin, dans la voiture juste à côté, Carl surveillait le mystérieux étranger avec le plus grand sérieux. Tout comme Carol, le jeune adolescent prenait également ses nouvelles fonctions très à cœur. Cette dernière fit un petit signe à Carl pour qu'il baisse la vitre de la voiture à l'aide du levier manuel. Se penchant au niveau de la fenêtre, elle s'enquit alors de l'état du patient qui n'avait pas bougé d'un cil selon son garde. D'après ce que Carol pouvait à présent observer, ce n'était pas tout à fait exact. Hakim avait même plutôt l'air agité. Il marmonnait de manière incompréhensible dans son sommeil, gesticulant fiévreusement. Cela n'augurait rien de bon. La fièvre n'était-elle pas un symptôme d'une infection? Carol se redressa, décidée à faire venir Hershel pour un autre examen. Elle laissa son regard s'attarder quelques instants sur la silhouette de l'homme blessé. Naufragé dans la pénombre, son visage paraissait incroyablement pâle, une barbe drue et noire recouvrait sa mâchoire et une partie de ses joues, rendant le contraste avec sa peau exsangue plus frappant encore. Carol n'avait pas vraiment eu de contact avec l'homme depuis qu'il faisait partie du groupe. Daryl lui avait dit que l'étranger était potentiellement dangereux et Carol avait évité de s'en mêler. Mais en le voyant comme ça, si fragile, elle avait du mal à concevoir qu'il puisse représenter un danger quelconque. Et la sympathie que la vieille Alzheimer éprouvait pour l'homme jouait, dans l'esprit de Carol, en sa faveur. Le destin d'Hakim au sein du groupe se déciderait certainement quand viendrait pour lui le temps de répondre aux interrogations de Rick, et à celles de Daryl. Et Carol, pour une raison qui lui échappait, se surprit étrangement à espérer que les réponses qu'il formulerait alors seraient les bonnes.
***
Je me sens un peu groggy, mon corps entier endolori. J'entrouvre les lèvres, ma bouche est pâteuse et ma langue, gourde, tâte un sale goût qui remonte de mon œsophage. L'acidité bileuse et caractéristique d'une vieille régurgitation. En décollant mes cils, fastidieusement, en faisant papillonner mes paupières, j'entrevois mon épaule emballée dans un bandage de fortune grisâtre et taché de sang coagulé. Une migraine atroce vibre dans ma tête et se répercute sur toutes les parois de mon crâne comme une bille de flipper qui finit par choir en me vrillant les tempes, game over. J'essaie de me redresser légèrement, mais ça lance une nouvelle bille. Je passe une main sur mon front pour tenter de calmer le jeu. Je me rends compte que je suis poisseux de sueur malgré l'air froid qui stagne à l'intérieur de la voiture dans laquelle je me trouve toujours. D'ailleurs un frisson malade me parcourt et convulse ma peau suante. Dessous, mes muscles sont raides, douloureux, courbaturés. Je suis affamé et nauséeux à la fois, brulant et grelottant; fiévreux. Je n'ai qu'une seule envie, fermer les yeux et sombrer dans l'inconscience. Ce que je fais sans peine, avec soulagement.
Quand je me réveille à nouveau, la luminosité est différente. Je crois que le jour décline déjà, j'ai dormi toute la journée. J'ai toujours cet arrière-gout atroce dans la bouche. Je ne me rappelle même pas avoir vomi. Je passe ma langue sèche contre mon palais puant. Je donnerais un rein pour une brosse à dent et du dentifrice mentholé. Je parviens même à sentir ma propre haleine fétide. En relevant un peu la tête, je me rends compte que je suis seul dans la voiture. Quelqu'un a replié mes jambes sur la banquette arrière et a posé une couverture sur moi. Je la repousse un peu et je remarque que l'on m'a confectionné une attelle. Je porte une chemise propre en flanelle chaude, un gilet de laine et un manteau d'hiver, mais à chaque fois seul mon bras droit est passé dans les manches. Mon bras gauche, plié en angle droit au niveau du coude est glissé à l'extérieur des vêtements par l'avant, un bouton déboutonné a laissé un interstice suffisamment large. Je me demande d'où viennent ces habits, ils ne m'appartiennent pas. Je fais glisser les couches de tissu de mon épaule pour examiner mon bandage. Il est propre, immaculé. L'affreux coton crasseux a été changé par une gaze antiseptique. J'aimerais bien ôter le bandage pour examiner la plaie, mais avec une seule main, l'opération demeure infructueuse. J'imagine qu'elle a été nettoyée. La gaze est complètement blanche, vierge de toute tache de sang ou de pus. Je ne sens pas non plus l'odeur douceâtre d'une infection. Tout ça me rassure un peu, mais je voudrais pouvoir m'examiner. Dans le meilleur des cas de figure, c'est un vétérinaire presque sénile qui m'a soigné. On peut douter de ses compétences. Il va pourtant falloir que je patiente jusqu'à ce que je puisse avoir l'assistance de quelqu'un.
J'essaie de retracer la chronologie des derniers événements. Je me souviens nettement des adieux, du ronflement au loin du moteur de la jeep, des quelques militaires à pied sortant des fourrés. C'est à partir de là que tout se brouille. La fusillade qui a suivi ne me revient que par bribes. Puis j'ai été touché et j'ai bien cru mourir, mais T-Dog m'a tiré dans la voiture. Après ça, plus rien, je crois bien que je me suis évanoui pendant un moment. Quand je suis revenu à moi, j'étais dans un sale état et la main de T-Dog faisait pression sur mon épaule pour stopper l'hémorragie. On s'est ensuite brièvement arrêté, pour déterminer la direction à suivre, il me semble, pas que ça m'ait tracassé au moment même. Je me rappelle vaguement Hershel me donner quelques rudimentaires premiers soins, mais la douleur débilitante que j'ai ressentie rend les souvenirs confus, épars. J'ai eu un plus long moment de lucidité au crépuscule un peu avant que le convoi s'arrête pour la nuit et que l'arrière de la voiture se transforme en bloc opératoire improvisé. Là, je sais simplement qu'ils m'ont drogué, avec quoi exactement, je n'en ai plus aucune idée, de la morphine sans doute, ou quelque chose de similaire. Ce que je sais avec certitude, c'est que je ne me suis jamais senti aussi mal de toute ma vie. Je n'ai jamais ressenti pareille douleur, je n'aurais jamais dû ressentir pareille douleur. Je n'étais pas destiné à ça.
Et ma voilà pourtant dans cet effroyable pétrin auquel rien ne m'a jamais préparé. Depuis le début de mon aventure, je n'ai jamais beaucoup compté sur mon physique pour m'en sortir. Je suis suffisamment lucide pour me rendre compte que mes atouts ne résident pas là. Mais, malgré mon corps sec de scientifique, j'ai jusqu'à présent toujours joui d'une très bonne santé qui m'a autorisé à me débrouiller seul, avec mon intelligence comme seule aide. Cependant, il me faut bien admettre qu'à présent la donne a changé. Mon bras immobilisé, même si c'est le bras gauche, constitue un handicap que je n'avais pas prévu. Si je veux que ma petite quête héroïque soit couronnée de succès, je vais devoir m'adjoindre l'aide de tiers, et une aide plus consistante que celle que peut me fournir Mémé Alza. Je vais avoir besoin de ce groupe dans lequel je suis tombé.
Mais eux, ils n'ont pas besoin de moi. Dès lors, comment vais-je bien pouvoir les convaincre de m'aider. Certainement pas par la force. Je suis tout seul et en piteux état et eux sont... je suis tellement patraque que je ne parviens même pas à les comptabiliser dans ma tête, enfin, ils sont nombreux. Il va donc me falloir les convaincre. Mais les convaincre de quoi? De m'escorter jusqu'en Floride? Aucune chance. Leur demander leur protection jusqu'à ce que je sois rétabli? Et pourquoi accepteraient-ils? La vieille et moi, nous ne sommes que deux bouches de plus à nourrir, deux poids morts qu'ils vont devoir trainer derrière eux. Ils n'ont aucune raison de nous aider parce que nous n'avons rien à proposer, rien qu'il leur soit utile, rien qui puisse les aider eux dans ce monde-ci. Que pourraient-ils faire d'une vieille Alzheimer et d'un scientifique estropié? Rien, rien du tout.
Quoique... Ils ont une femme enceinte dans leur groupe, la femme du chef en plus. Et la seule assistance médicale qu'ils ont pour le moment, c'est un vieux vétérinaire. Et il y a tout de même une différence entre faire vêler une vache et accoucher une femme. Je ne pratique peut-être pas la médecine, mais j'en ai une excellente connaissance théorique. Mon savoir couplé à la pratique du vétérinaire pourrait bien augmenter les chances de survie de la parturiente et du bébé. Voilà un atout que je pourrais bien faire valoir et qui pourrait m'offrir un ticket d'entrée dans ce groupe. Il va falloir que je leur révèle ma profession véritable, mais sans trop en dire, encore une fois. Je ne vais pas pouvoir leur dire que je suis praticien, le véto remarquera immédiatement que je n'ai pas les réflexes de la pratique. Mais si j'admets travailler sur les virus, ils sauront tout de suite que j'ai étudié l'épidémie qui ravage le pays, tous les scientifiques étaient sur le coup. Et ça conduira immanquablement à des questions que je veux éviter à tout prix. Je vais donc être contraint de tabler sur des demi-vérités... Il faut que je peaufine tout ça.
Je ne dois toutefois pas perdre de vue que pour eux, je suis un élément étranger, imprévisible. La sécurité leur préconisera peut-être de se fier uniquement à leur vétérinaire et de me pousser dehors à grands coups de pied. Il me faut donc prévoir d'autres arguments. Mais lesquels? Je n'ai pas grand chose d'autre à faire valoir. Je suis clairement en position de faiblesse ici. S'ils me laissent maintenant au bord de la route avec Mémé Alza pour seul compagnon d'armes, je suis foutu. Si les infectés, les rôdeurs comme ils disent - et c'est vrai qu'ils rôdent ces mort-ambulants, ne me déchiquettent pas à la première occasion, ce sont les militaires qui auront ma peau. Je jette un œil courroucé à mon épaule, ils l'ont presque eue, ma peau. Mais... mais, ces crétins ont aussi ouvert le feu sur le groupe. Avec un peu de chance, les militaires ont blessé quelqu'un d'autre que moi. Ils ont peut-être même tué un des membres du groupe. Ça ferait mes affaires, tiens ça! Le groupe et moi aurions alors un ennemi commun. Et rien ne rapproche plus que le fait d'avoir un ennemi commun. Je pourrais facilement jouer là-dessus. Bon sang, je suis sans doute vraiment horrible, mais j'espère que les sbires de Colonel Adipeux ont fait une autre victime que moi. Par contre, ils vont me demander des comptes à moi aussi. J'ai clairement laissé entendre que je connaissais les militaires avant même la fusillade. Encore une autre demi-vérité que je vais devoir préparer minutieusement.
Bien, l'ennemi commun et mes compétences médicales vont peut-être m'offrir une protection, voire même une occasion de me débarrasser définitivement des militaires si le groupe opte pour des représailles vengeresses. Mais tout ça, ça ne m'amènera pas en Floride. Si les conditions sont favorables, je pourrais éventuellement faire miroiter au groupe la perspective d'un abri sûr en Floride. Cependant, ça reste assez risqué. Ce genre d'information va aussi provoquer de nombreuses questions indésirables. Non, le plus sûr, dans un premier temps, c'est d'assurer ma sécurité tant que je suis vulnérable. Pour le reste, j'aviserai plus tard.
Et voilà mon plan de bataille ourdi. Il n'y a plus qu'à peaufiner les détails. C'est sur cette note positive que je vais pouvoir clore l'entrée du jour de mon journal immatériel. Je me rends compte d'ailleurs, non sans un certain amusement, que, bien que j'aie tenu dans ma tête ce journal quotidiennement et avec minutie tout au long de mon périple, depuis que j'ai croisé le chemin de Mémé Alza, et surtout celui de ce groupe, je ressens de moins en moins le besoin de me parler. Ce journal, ces dialogues entre moi et moi qui ont préservé ma santé mentale, qui m'ont gardé connecté avec ce que je suis, avec mon but, mon passé et ma mémoire, tout cela me semble de moins en moins nécessaire. Comme si le contact humain avait progressivement rendu cet exercice superflu. J'ai d'abord confié mes journées et mes craintes à Mémé Alza, sans avoir peur d'en dire trop. Sa petite cervelle ressemble à la mémoire vive d'un ordinateur, on l'éteint et tout s'efface instantanément, sans laisser de trace. Et voilà que je me retrouve maintenant à divulguer des parties de moi, de mon histoire, aux survivants de ce groupe. Je leur confie des morceaux de plus en plus importants, de plus en plus proches de l'entière vérité. Et ces confessions commencent, peu à peu, comme à mon insu presque, à remplacer mon journal intime et mental. Je me demande si mes monologues intérieurs finiront par cesser tout à fait.
Note de l'autrice:
Il n'y aura pas de publication la semaine prochaine car je pars en vacances (yeah!). Du coup, on se retrouve le 11 mars pour le prochain chapitre. Des bisous!
Illustration: Turner, Matin après le déluge.
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