Ascension printanière 10

Chapitre 10

Deux semaines ont passé, filé, emportant avec elles mes douleurs nocturnes, les risques d'infection, mes accès de fièvre; ne me laissant qu'un rhume tenace qui semble impossible à éradiquer, malgré la température qui s'adoucit de jour en jour, mais qui n'ôte rien à l'humidité persistante. Le vieil Hershel a enlevé mes points de suture deux jours auparavant. Son travail est d'une qualité remarquable étant donné les circonstances, même moi je suis bien forcé de le reconnaitre. Si je parviens à résister aux démangeaisons occasionnées par la cicatrisation, je ne devrais garder qu'une légère marque qui pâlira avec le temps, et il ne restera sûrement qu'un petit morceau de peau plus fine, plus tendre, pour témoigner de cet incident. Je suis presque déçu, c'était ma chance d'avoir ma balafre de guerre qui aurait attesté de mon courage et de ma vaillance au combat. Mais de courage et de vaillance, je n'en ai point, je crois. Ce n'est donc sans doute que justice.

Après un interrogatoire bref mais intense, Rick a accepté mes explications et mes aveux avec circonspection. Il n'a pas confiance en moi. C'est réciproque. J'ai cru que c'était Carol qui, par affection pour Mémé Alza, avait plaidé en ma faveur. Mais lorsque j'ai tenté de la remercier, elle m'a fait savoir, avec un petit sourire énigmatique, qu'elle n'y était pour rien. J'ai laissé tomber. Je ne saurai probablement jamais ce qui s'est passé dans la tête du chef. Quoi qu'il en soit, la journée d'hier a certainement marqué un tournant dans mes relations avec le groupe, et avec le couple présidentiel en particulier.

Nous avons fait halte dans une petite ville fantôme. Glenn a repéré la plus grosse maison et, après avoir inspecté le périmètre, c'est là que nous nous sommes installés pour la nuit. Nous avons garé les voitures dans un garage indépendant qui se trouve légèrement vers l'arrière de la maison et nous les avons recouvertes de bâches sales qui se trouvaient là. C'est le protocole habituel. Avant d'avoir un vrai plan, le boss préfère éviter les militaires. Sage décision, je trouve. Un peu après la petite fusillade, Rick a voulu qu'on change de véhicules pour trouver des voitures que les militaires ne pourraient pas identifier comme étant les nôtres. En plus de ça, double précaution, on les dissimule toujours soigneusement.

Toujours est-il que par un heureux hasard, nous avons rapidement découvert que notre maison du jour abritait le cabinet privé d'un obstétricien. Contrairement aux hôpitaux, personne ne semble avoir pensé à piller les petits cabinets chez les particuliers. Tout était intact. Seule une épaisse couche de poussière indiquait l'état d'abandon de la pièce. Après plus d'une heure de bricolage, nous sommes parvenus à mettre en route l'échographe. Tout a été très vite, la batterie n'a même pas tenu deux minutes. Mais j'ai quand même pu rassurer Lori, de ce que j'ai vu le bébé a l'air très bien formé, le rythme cardiaque est puissant et stable. Impossible d'en déterminer le sexe cependant. Ces quelques informations ont tout de même rendu Lori radieuse. Le matériel que nous avons trouvé là-bas nous a aussi permis, à Hershel et à moi, de faire quelques examens complémentaires. Carol et le vieux vétérinaire ont ensuite décidé de renflouer la trousse médicale du groupe. J'ai même été consulté à plusieurs reprises durant l'opération. J'ai eu envie de leur suggérer de mettre le paquet sur les gants et le désinfectant, mais je me suis dit que ce n'était peut-être pas le moment de faire une remarque stupide et désagréable. Alors je les ai aidés à sélectionner ce qui pourrait être utile. Malheureusement, sans réfrigération artificielle, de nombreux produits pharmaceutiques ont subi les chaleurs de l'été passé et sont donc aujourd'hui inutilisables. Ça ne nous aura pas empêchés de compléter notre stock de quelques médicaments et de matériel médical, le plus gros de notre larcin étant bien sûr destiné à la parturiente et à son futur bébé.

Lori était aux anges. Elle a même été cordiale avec moi ce soir-là. Rick, lui, n'a pas poussé la sympathie jusque là; il m'a tout simplement ignoré. Ce qui m'arrange très bien, je préfère mille fois l'indifférence qu'il a affichée hier et ce matin à l'attitude méfiante et soupçonneuse qui a été la sienne depuis ma mise en liberté conditionnelle.

Enfin, en substance, je peux aisément affirmer qu'hier a été une bonne journée pour moi. Mais j'aurais dû me douter que rien n'est gratuit dans ce monde, et qu'une bonne journée se paie par une journée de merde le lendemain.

***

Et le lendemain avait en effet été une journée de merde. Oh! elle n'avait pas si mal commencé. Mais les accalmies ne durent jamais.

Le groupe s'était levé de bonne humeur, Beth fredonnait même d'un air guilleret. Les militaires, invisibles depuis plusieurs semaines, n'étaient plus qu'un lointain souvenir, comme les résidus vagues et brumeux d'un mauvais rêve ancien, des fantômes issus d'une vilaine chimère. Le temps était plus doux, le soleil moins paresseux offrait de plus longues heures de clarté. Les découvertes médicales de la veille avaient réjouit tout le monde. Enfin, les auspices étaient favorables et la matinée soufflait l'haleine fraiche et enjouée de l'optimisme et de la gaité.

L'euphorie ambiante dura ainsi un bon moment, jusqu'à ce que Rick entre dans la cuisine, ouvrant la porte à toute volée, sa mine inquiète contrastant avec les visages détendus des autres membres du groupe. « Voitures! Elles seront là dans trois, quatre minutes. On dégage! » s'exclama-t-il. Le reste n'était que mécanique bien huilée. Les sacs n'avaient pour ainsi dire pas été défaits la veille, ce n'était jamais le cas. Dans un ballet savamment orchestré, chacun prit ce qu'il avait à prendre, bagages, armes et munitions; et l'on fit disparaitre tous les indices d'une occupation récente des lieux. Daryl était déjà dehors où il poussait silencieusement sa moto vers l'orée du bois à l'arrière de la maison. Glenn courait vers la grange pour s'assurer que les véhicules étaient toujours bien couverts par la bâche sale et poussiéreuse et que rien ne trahissait leur utilisation récente. Le reste du groupe se dirigeait au pas de course vers l'espace boisé qui constituerait la meilleure cachette le temps que les militaires fouillent le quartier. Rick, bientôt rejoint par Glenn, fermait le cortège et s'attelait à masquer les empreintes de pas à l'aide d'un râteau, selon une technique que Daryl lui avait enseignée. Les traces n'étaient pas effacées, mais camouflées de sorte que seul un œil exercé à la traque pourrait les repérer.

Lorsque tout le monde fut à l'abri, caché par des bosquets touffus et planqué au bas d'un petit dénivelé creusé par un ru, l'attente commença. Le convoi de jeep était passé devant la maison. Puis le bruit des moteurs s'était éloigné, seulement pour mieux revenir. A en croire leur son, les véhicules s'étaient dispersés. Et enfin les ronflements s'étaient tus, les moteurs éteints. L'infanterie allait commencer sa battue. Il ne fallait pas particulièrement tendre l'oreille cependant, les militaires étaient loin d'être discrets, comme si une confiance inébranlable en leurs propres forces les rendait insensible au danger, les immunisait contre la peur. Le colonel vociférait ses ordres sans s'inquiéter des rôdeurs qu'il pourrait ainsi attirer.

Ce manque de discrétion de leur part, ce comportement flagorneur, fut une chose qui frappa immédiatement Rick. Et l'ancien policier catalogua derechef cette attitude comme étant sans doute la principale faiblesse de leur ennemi. D'autant plus que cela concordait parfaitement avec certains éléments du témoignage d'Hakim. Ce dernier lui avait conté dans les détails sa fuite depuis Washington, décrivant ses différentes rencontres avec le groupe de militaires. Et c'était, semblait-il, les habitudes bruyantes de ceux-ci qui avaient permis à Hakim de s'en tirer plus d'une fois puisqu'il pouvait les entendre arriver bien avant même de les voir. Ces militaires de carrière paraissaient avoir également gardé le réflexe d'utiliser en priorité leurs armes à feu face aux rôdeurs. Et cela avait également joué en faveur d'Hakim. Ainsi accroupi dans la terre humide, Rick réfléchissait déjà à la manière dont il allait pouvoir utiliser les failles de l'ennemi.

Car les militaires étaient des ennemis, Rick en était convaincu à présent, surtout depuis l'interrogatoire d'Hakim. Et même si Rick n'avait pas entièrement confiance en Hakim, il avait une foi absolue en Daryl. Le chasseur avait laconiquement, mais efficacement, plaidé la cause de l'étranger. Daryl et Rick s'étaient tous les deux accordés à dire qu'Hakim leur cachait quelque chose. Au tout début, dans les jours qui avaient suivi leur rencontre, Daryl avait insisté sur le fait que l'Arabe était sûrement un terroriste, mais Rick l'avait progressivement détourné de cette idée-là. Des truands de toute sorte, le shérif en avait vu passer dans son commissariat. Il en avait croisé énormément, en avait interrogé beaucoup, en avait fait plonger certains et avait été contraint d'en relâcher d'autres. Ce n'était pas une science exacte, bien sûr, mais Rick avait fini par développer une certaine intuition pour ces choses-là. Et il était prêt à parier qu'Hakim n'était pas du mauvais côté de la loi. Ce type n'avait clairement pas les couilles pour ça. Mais il cachait un truc. Il avait dit la vérité, mais pas toute la vérité. Rick finirait bien par tirer ça au clair, pas en confrontant le suspect directement, non. Il l'aurait à l'usure, comme la première fois qu'ils l'avaient poussé à parler. Hakim finirait par commettre une erreur, par laisser glisser quelque chose, une remarque anodine qui le trahirait. En attendant, Rick comptait bien garder un oeil discret sur lui, histoire de le surveiller sans qu'il ne sente surveillé.

Les minutes s'écoulèrent ainsi et une bonne demi-heure passa avant que le groupe ne perçoive des bottes lourdes et des éclats de voix se rapprocher. Les militaires devaient être quatre ou cinq maintenant autour de la maison du gynécologue, et à l'intérieur aussi, probablement. Les membres du groupe, quant à eux, s'étaient tapis, la tension palpable autour d'eux, aussi dense que du plomb. Même la vieille dame avait compris que le silence le plus absolu était de mise. Elle devait avoir senti, mue par une sorte d'instinct à l'instar des très jeunes enfants, que le moindre bruit pourrait entrainer leur trépas à tous. Personne ne bougeait. L'immobilité tendue était telle qu'on aurait pu croire qu'ils ne respiraient plus, que leur cœur même avait cessé de battre. Ils s'étaient figés, suspendus entre la vie et la mort. Finalement les pas en uniforme s'éloignèrent, sans doute pour prendre d'assaut l'habitation suivante une cinquantaine de mètres plus loin. Les militaires n'avaient apparemment pas suspecté leur présence dans la maison. Silencieusement, tous sortirent de leur apnée, remontèrent à la surface pour prendre une discrète bouffée d'air et de soulagement.

Tous, sauf Hershel. Qui semblait coincé au fond de l'eau, une main sur la poitrine et l'autre sur la gorge. Ce fut Beth qui le remarqua en premier. Elle était déjà à côté de lui et venait de se rapprocher davantage encore. Un air paniqué sur le visage, elle se mit à agiter le bras en direction de Rick. Celui-ci ne tarda pas à la voir et, comprenant immédiatement la gravité de la situation, accourut à pas de loup auprès du vieil homme. Le déplacement de Rick attira l'attention du reste du groupe. Une sorte de confusion silencieuse suivit. Chacun essayait de faire quelque chose: s'approcher, respirer profondément pour donner l'exemple à Hershel, fouiller un sac à la recherche d'une potion magique ou articuler des lèvres en silence pour donner des conseils à Rick. Enfin, la plupart faisait surtout n'importe quoi. C'était une scène de cohue tout droit tirée d'un film muet qui se jouait là. Le temps qu'ils s'agitent tous bien inutilement, Hershel sombra dans l'inconscience. Ce fut l'électrochoc dont Rick avait besoin. Il se secoua aussitôt et commença un massage cardiaque, pratique de secourisme qu'il avait apprise et déjà mise en œuvre dans le cadre de son ancienne profession. Il venait à peine de commencer lorsque soudain les râles d'un rôdeur retentirent. Daryl l'élimina facilement et rapidement en lui fichant un carreau dans le crâne. Il arma son arbalète derechef car un autre zombie apparut dans l'instant. Et puis un autre et encore un autre, tant et si bien qu'une meute avançait maintenant sur eux. Daryl, suivi de quelques autres, alla à leur rencontre et ils furent tous bientôt pris dans un combat rapproché. Il sembla très vite à Rick que tout le monde s'était élancé dans la bataille. Tandis que lui massait toujours Hershel sans succès. Quelques secondes plus tard, il aperçut du coin de l'œil Carl qui se trouvait en mauvaise posture face à deux rôdeurs. Sans réfléchir, il vola au secours de son fils qu'il aida à achever un des deux zombies. Mais tout aussi vite, il se retrouva confronté à d'autres rôdeurs et il n'eut plus l'occasion de retourner vers Hershel. Au cœur de la bataille, il nota distraitement le bruit des voitures qu'on démarrait, le son des pneus qui crissaient et le ronflement des moteurs qui s'éloignait. La bataille fit rage quelques minutes encore. Quand il n'y eut plus aucun zombie debout près de Rick, il regarda alentour et vit Maggie donner le coup de grâce au dernier ennemi. Les seuls cadavres qui jonchaient le sol étaient ceux des rôdeurs. Une boule prit forme dans la gorge de Rick lorsqu'il se rendit compte qu'il y aurait quand même une perte pour leur camp, celle d'Hershel. Il se retourna vers l'endroit où le vieil homme était allongé, pivotant lentement pour retarder le moment où ses yeux se poseraient sur l'homme qu'il avait laissé mourir.

Mais ce n'était pas le spectacle qui l'attendait. A sa stupéfaction, Rick croisa le regard ahuri d'Hershel dont la poitrine se soulevait et s'affaissait lentement et régulièrement. Juste à côté de lui, Hakim était agenouillé, dans une main un défibrillateur portable qu'il avait trouvé Dieu seul sait où. Et Rick se sentit bien malgré lui un élan de sympathie pour le type, jusqu'à ce que ce dernier n'ouvre la bouche avec un air de petit malin un peu hautain plaqué sur le visage. « Si vous voulez mon avis médical, pour un homme de son âge, il mène une vie un peu trop stressante. » La remarque agaça légèrement Rick, mais, à la surprise du policier, elle fit doucement rire Daryl.

Note de l'autrice:

Illustration: Tapisseries de l'Apocalypse d'Angers (détail).

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