Therapy

— Michael, tu m'écoutes j'espère.

Je restai stagnant. Il prenait déjà des airs dramatiques alors qu'on venait tout juste d'entamer la route. Mes écouteurs dans les oreilles, c'était à peine si je l'entendais me parler. Mes yeux, sans vie, fixaient les nuages gris qui se grouillaient d'envahir le ciel. Une de mes mains étaient posées, inertes, sur ma cuisse et l'autre agrippait mes cheveux en pagaille. Mon frère m'avait réveillé d'une sieste il y avait à peine 10 minutes. Assis sur le siège passager, je ruminais à l'idée que Travis me conduise à ce foutu cercle de parole.

— Dès maintenant, va falloir que tu apprennes à coopérer parce que sinon on aura tout fait ça pour rien.

J'augmentai le son de ma musique. J'ouvris les fenêtres pour laisser sortir les mauvaises vibrations de la voiture. J'avais été si énervé ces dernières heures que toute émotion avait fini par quitter mon âme. J'avais passé une nuit blanche et avais à peine touché au repas que mon connard de frère avait préparé. J'étais fâché contre lui et il devait le savoir. Peut-être qu'en continuant sur cette même lancée, je mourrais d'ici la fin de la semaine. Je fermai les yeux et tentai de calmer mon pouls. Peine perdue, car Travis arracha sauvagement ma zenitude de mes oreilles. Je sursautai vivement et dans mon geste, je renversai malencontreusement le contenant de café brûlant sur Travis. Il hurla à gorge déployée et je fis de même.

— Pourquoi t'as fait ça ?!
— Mais qu'est-ce que t'as foutu ?!

Je bouillais autant que le café noir qui s'était perdu sur son pantalon. Il n'avait pas le droit de m'arracher ma musique de la sorte. C'était le seul truc qui me détournait de l'idée de lui sauter à la gorge. Travis mania le volant tant bien que mal avec une main alors qu'il tentait de réduire les dégâts avec l'autre. J'avais envie de me jeter en bas de la voiture encore en mouvement, mais le risque de me péter la gueule me retenait sur mon siège.

— Michael, j'en reviens pas. Cette fois tu dépasses les bornes. Arrête de te comporter comme un bébe, bon sang ! On veut seulement ce qui est le mieux pour toi.
— Ah ouais ? Si c'est vrai alors fais demi tour.
— Quoi ? Non Mic-
— C'est ce que je pensais.

Il soupira. Depuis tous petits, il prétendait agir pour mon bonheur. À la mort de nos parents, il s'était donné comme mission de me sauver des monstres qui m'envahissaient. Au début, je lui faisais confiance vu que c'était mon grand-frère et que ses airs charismatiques arrivaient même à influencer quelqu'un comme moi. Or, depuis que Travis avait commencé à s'occuper de moi comme son fils au lieu de son petit-frère, j'avais l'impression d'étouffer avec lui. Il avait accroché des chaînes à mes pieds au lieu de me libérer.

Nous étions déjà arrivés. La voiture se gara devant un petit bâtiment moderne avec une fenêtre qui couvrait le trois quart du mur. On pouvait y lire l'insigne « Psycho & co. » Mon coeur bondit. Génial. Mon grand-frère sortit de la voiture puis, connaissant mon stratège par-coeur, il ouvrit ma porte et m'arracha à l'extérieur. Je me libérai sauvagement de lui avant de marcher lentement derrière lui. Chaque pas que je faisais me rapprochait de plus en plus des flammes de l'enfer. Encore la veille, j'avais tenté, en vain, de lui faire changer d'avis. Le pamphlet offert par le directeur avait risqué de se retrouver au recyclage à plusieurs reprises. Travis m'avait à peine regardé dans les yeux. Histoire de faire tourner le couteau dans la plaie, je l'avais attaqué en lui sortant que s'il tenait vraiment à moi, il ne me ferait pas subir ce supplice. Ses pensées et doutes s'étaient agités, je pouvais le voir à la manière dont ses sourcils s'étaient froncés, ses lèvres s'étaient humidifiées, sa respiration avait graduellement perdu son rythme habituel.

— Désolé, Michael, avait-il commencé à dire, mais je ne peux pas ignorer ça. Peut-être que ça te fera du bien. Au point où on en est, toute idée est bonne.

Mon sang s'était glacé. J'avais commencé à vociférer, à cracher sur sa minable personne, à lui balancer des insultes tranchantes, lacérantes sur le visage. Mais rien n'y fit. J'avais martyrisé la table à manger en la ruant de coup de pieds et de coups de poings. Mes mains avaient viré au rouge et l'adrénaline m'avait empêché de ressentir la douleur. Encore là, rien n'y fit. J'avais toujours su que mon frère avait l'art de rendre ma vie merdique, sauf qu'à ce moment précis, à 19 heures, il venait d'achever son oeuvre.

——

— Bonsoir, mon nom est Pénélope Nelson. Vous pouvez m'appeler par mon prénom ou tout simplement « madame », cela ne me dérange pas. Quoique, je préfère que vous m'appeliez par mon prénom, madame me vieillit !

Oh. mon. dieu. Achevez-moi.

La situation me blasait à un plus haut point. Travis avait quitté les lieux 10 minutes plus tôt, après s'être assuré que je ne m'enfuirais pas en courant. Six jeunes étaient assis en face de moi, en cercle, en plus de la jeune psychothérapeute qui nous observait avec amusement. À mon arrivée, elle m'avait encouragé à me servir de beignets et de jus posés sur la petite table dans un coin de la place. En général, l'endroit était plutôt vide, à l'exception de tableaux artistiques ici et là qui donnaient vie aux murs. Tandis que la dame se présentait, je me contentais d'éviter le regard de tout le monde. Alors que j'aurais dû me sentir soulagé de me trouver parmi des gens aussi fous que moi, j'avais honte de me trouver parmi eux. Un fou ne sait pas qu'il l'est jusqu'à temps qu'on l'enferme dans une institution. Je me sentais stupide et encore plus mal dans ma peau.

— Je sais que certains d'entre vous n'ont pas particulièrement envie d'être ici, mais je vous promets qu'on va bien s'amuser ! Je suggère une introduction toute simple afin qu'on puisse apprendre à se connaître. Vous aurez cinq minutes pour en apprendre le plus possible sur la personne qui se trouve à côté de vous. À la fin, vous allez devoir présenter trois caractéristiques sur cette personne en grand groupe. Vous êtes prêts ?

Non. Elle nous parlait comme si l'on était des enfants atteints d'un retard mental. Plus les secondes passaient, plus ma colère envers mon frère s'intensifiait. Je frissonnai lorsqu'une main effleura mon épaule. Je levai la tête, clignai des yeux, avant de remarquer une fille dont les yeux verts me fixaient avec curiosité. J'avais l'impression qu'elle me décortiquait sous son regard perçant et je me sentis soudain mal à l'aise. Par réflexe, je pris du recul.

— Hey, je m'appelle Amy. On est supposé avoir cinq minutes pour se connaitre, mais quarante cinq secondes se sont déjà écoulées.

Elle rapprocha sa chaise et j'éloignai mon corps. Je n'avais pas envie de parler. Ma voix s'était, une nouvelle fois, enfouie au fin fond de ma gorge. L'adolescente m'observait encore tandis que je la fuyais. Son visage ne m'était pas inconnu et je conclus qu'on devait aller à la même école.

— Tu t'appelles Michael, c'est ça ? On va à la même école. Je crois qu'on a même des classes ensemble.

Je ne connaissais pas vraiment mes collègues de classe et ne cherchais pas à les connaître non plus. J'avais dû me colporter certains d'entre eux pour des travaux d'équipe obligatoires, mais sans plus. Je me surpris à trouver cela curieux qu'une personne comme elle soit dans un endroit comme celui-ci. Aux dernières nouvelles, la jeune fille n'avait pas du tout le même profile que moi. Entre rejets, on se reconnaissait.

— Tu es muet ? Ce n'est pas grave, je suis assez bavarde. Tu vois, on se complète déjà ! Dis, rajouta Amy en baissant la voix, tu trouves pas cela morbide comme endroit ? Les filles me regardent de travers avec leur 20 000 tonnes d'eye-liner et j'ai l'impression qu'elles planifient une attaque terroriste.

Je relevai la tête pour constater qu'à part un obèse qui dégoulinait de sa chaise, j'étais le seul garçon. Les autres étaient des filles qui donnaient froid dans le dos. Je me demandais si moi aussi, je causais le même effet.

— Est-ce que t'as goûté aux beignes à la cannelle ? Je ne suis pas très sucrée comme personne, mais j'ai A-DO-RÉ. J'hésite à me resservir.

Surpris, je déposai enfin mon regard sur Amy. Celle-ci était différente des autres. Elle ne semblait pas être à sa place. Elle était trop... vivante. Un grand sourire était scotché à son visage. Comme un monstre qui se cachait sous les airs d'une princesse. Elle me faisait encore plus peur.

— Bon alors, on commence ? Comme j'ai dit, je m'appelle Amy. Je suis une fille, comme tu peux le voir, et j'ai 16 ans ! Tu crois que ça suffit ?

Je lui lançai un regard en coin, puis hochai lentement la tête. J'hésitai à jouer réellement la carte du muet. À chaque fois, j'avais l'impression que ses paroles m'attaquaient, étant donné que je n'étais pas habitué à autant de blabla.

— J'essayais d'être drôle, mais ce n'est pas grave. Ce n'est pas tout le monde qui possède le sens de l'humour.

Je fronçai les sourcils. Elle ne parlait que pour ne rien dire et cela me frustrait. Je ne supportais pas les personnes qui divaguaient sans cesse. La madame nous interrompit dans notre conversation, non, monologue, et nous demanda notre attention pour qu'on se remette en cercle. Par la suite, elle décida de se lancer en premier dans le but de montrer l'exemple.

— Amélie, ici présente, est une passionnée de musique rock. Son père l'a beaucoup influencée sur ses goûts musicaux quand elle était plus jeune. Elle possède sept piercings et aimerait se faire tatouer lorsqu'elle aura l'âge légal.

Amélie affichait un petit rictus qui aurait dû ressembler à un sourire. Comme les autres filles, elle avait les cheveux teints et une tonne de maquillage couvrait sa face. Ses nombreux piercings étaient fièrement exposés sur ses oreilles. Amy balançait ses pieds près de moi, ce qui dévia mon attention sur elle. C'était une fille tellement minuscule que s'en était presque mignon. Ses cheveux blonds méticuleusement coiffés étaient la figure la plus imposante de sa silhouette. Elle me surprit en train de la dévisager et me sourit, un sourire plus naturel cette fois-ci. Je tournai vivement la tête. Ce n'était pas comme si je la regardais de toute façon, j'étais simplement distrait.

— Amy, Michael, c'est à votre tour.

Je retins mon souffle. Nous étions les deux derniers qui bouclaient le cercle. Je n'avais guère entendu les autres se présenter, pas que cela m'intéressait de toute façon. Simplement, je n'avais pas eu le temps de me préparer mentalement. Comme toutes les fois où je devais m'exprimer en public, une boule se forma dans ma gorge. Mes mains devinrent moites, mes jambes vibrèrent de manière incontrôlable. Tous les regards étaient posés sur moi, attendant impatiemment que j'ouvre la bouche. Sous le poids de la pression, je craquai malgré moi.

— Euh...elle s'appelle Amy... c'est une fille de 17 ans...
— 16 ans, me corrigea cette dernière.

Je me tue. Mes yeux admirèrent le sol. Les tuiles étaient beiges et formaient des formes irrégulières et non uniformes.

— Très bien, Michael, mais c'est tout ? demanda Pénélope. Aucun hobby, passe-temps ou aspiration ?
— Désolée madame, renchérit Amy, mais on n'a pas vraiment eu le temps de discuter tous les deux. Michael est un adolescent qui va à mon école et... qui aime Guns N' Roses !

Je fus pris au dépourvu, car jamais je n'avais mentionné ce band. Puis, je me rappelai que je portai un t-shirt avec « Guns N' Roses » écrit dessus. Amélie s'excita en entendant la remarque.

— Sérieux ? Oh my god c'est quoi ta chanson préférée ?

Je la regardai comme si c'était un extraterrestre. Elle me lança un drôle de regard et se tue immédiatement. C'était justement dans les moments comme celui-là que j'évitais de me faire des amis. C'était plus fort que moi. Sentant le malaise étouffer la pièce, la psy se racla la gorge. Elle nous remercia de notre coopération et annonça la pause. Soulagé, je soupirai et cherchai mes écouteurs dans mes poches. J'eus une seconde de panique en remarquant qu'ils n'étaient pas là, puis me rappelai que Travis me les avait confisqués avant de partir pour le boulot. Je me sentais perdu sans ma musique. J'étais à deux doigts d'exploser. J'avais envie de sortir, de prendre l'air et de ne jamais revenir dans cet endroit. Lors de ce moment d'exaspération, Amy, dont j'avais complètement oublié l'existence, me fit un signe. En effectuant un petit sourire, l'adolescente me tendit la moitié d'un beigne à la cannelle.

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