Reject


Je sentis une présence dans la pièce.

Enfoui sous mes couvertures, je me trouvais dans un stade du sommeil où j'émergeais tranquillement de ma léthargie sans toutefois être 100% conscient. Je pouvais entendre le plancher couiner sous les pas de la personne qui venait d'entrer dans ma chambre. J'entendais une voix lointaine murmurer mon nom, mais ne réagissais pas. J'étais complètement assommé. J'avais l'impression que le sommeil s'abattait sur moi et qu'il me faudrait une force inimaginable pour le repousser. Après l'altercation d'hier soir avec mon frère, je m'étais enfermé dans ma chambre pour le restant de la soirée. J'avais tenté d'ensevelir ma colère et ma frustration sous la musique punk. Les hurlements dans mes oreilles étaient si forts que je n'entendais même plus mes pensées. Je m'étais couché sur mon lit, dans le noir, à regarder obstinément le plafond. Travis avait probablement frappé à la porte pour me pousser à dîner, sauf que mon égo surdimensionné m'empêchait de faire face à mon frère. Ceci dit, mon caractère têtu n'avait pas plus à mon ventre qui n'avait pas arrêté de crier au meurtre. Et moi, tel un psychopathe, je m'étais efforcé de laisser ma victime hurler à gorge déployée jusqu'à mort s'en suive. Or, être mort de faim ne présageait rien de bon. J'avais fini par mettre mon nez dehors après m'être assuré que Travis avait déserté le salon afin d'aller se coucher. Il était deux heures du matin lorsque mes pieds nus avaient trainé dans la cuisine et que mes yeux avaient parcouru la pièce dans le but de trouver une proie. En ouvrant le réfrigérateur, j'étais tombé sur une assiette de spaghettis couverte d'une pellicule moulante. J'avais soupiré avant de saisir le plat et de le réchauffer dans le four à micro-ondes. Pour m'assurer de ne pas réveiller mon frère à cause de mon escapade nocturne, je sortis mon plat deux secondes avant que la sonnerie se fasse entendre dans tout le quartier. Par la suite, je m'étais installé sur le tapis, adossé sur l'un des fauteuils du salon. Après avoir allumé la télévision en mode silencieux, j'avais zappé les chaînes jusqu'à tomber sur un vieil épisode de South Park. J'avais activé les sous-titres et le seul bruit qu'on entendait dans la maison était celui de la nourriture qui se faisait mâcher dans ma bouche. Après un épisode de South Park, de Family Guy et de Futurama, je m'étais enfin contraint à rejoindre mon lit à quatre heures du matin.

— Michael, réveille-toi.

La voix avait réussi à atteindre mon cerveau. Un grognement sortit du fond de ma gorge et je me calai encore plus au fond de mon lit. Ce fut avec horreur que je sentis un bras tiré sauvagement mes couvertures avant de les balancer dans un coin de ma chambre. Mes yeux s'ouvrirent subitement, ce qui était la pire erreur que j'avais commise de toute ma vie. Mes rideaux étaient grands ouverts et les rayons du soleil levant transperçaient mes innocents yeux. L'air frais attaqua mon corps nu à l'exception d'un simple boxer qui pendait autour de ma taille. Je hurlai.

— Mais qu'est-ce que tu fous ?!
— T'as oublié ? Je dois t'accompagner à l'école pour la convocation.

Sidéré, je passai une main dans mon visage, puis agrippai mes cheveux d'un brun fade, délavé. J'avais l'impression de vivre dans un cauchemar. En plus d'avoir eu à peine le temps d'entamer une bonne nuit de sommeil, je devais rencontrer ce foutu directeur. Le jeune adulte, sa mission accomplie, quitta ma chambre. Je l'entendais s'affaissait dans la cuisine alors que j'avais encore du mal à digérer le réveil brutal. Je tournai la tête pour remarquer que l'horloge numérique posé sur ma table de chevet affichait 07 : 03. En temps normal, Travis était déjà au travail à cette heure-ci. Je profitais de son absence pour sombrer dans le monde des rêves un peu plus longtemps que d'habitude, voire à ne pas me rendre en cours tout court. Cette occasion se présentait souvent lorsque j'avais un cours de philosophie ou d'éducation physique à mon horaire. Ces professeurs me considéraient comme un fou, alors je préférais dormir plutôt que de les confronter.

— T'es mieux de te lever maintenant si tu veux avoir le temps de manger.

Travis se tenait sur mon cadre de porte, un toast dans la main. Depuis qu'il fréquentait la salle de gym avec ses amis, son estime de soi ne cessait d'augmenter. Il se promenait toujours avec son pantalon et ne se fatiguait pas à enfiler un t-shirt. Évidemment, son désir était d'exposer les lignes de ses abdos qui commençaient à se prononcer ainsi que ses bras, autrefois frêles, mais dans lesquels les muscles avaient pris du tonus. Ses cheveux courts, bouclés et mal coiffés couvraient le trois quart de son front, mais je pouvais entrevoir ses yeux  bruns qui me fusillaient du regard. Je fus contraint de quitter mon lit non sans proférer des insultes. Je trainai les pieds jusque dans la cuisine et me servis d'un toast déjà préparé. J'ajoutai du beurre d'arachide et mordis dans le pain légèrement brûlé. Travis prit place sur la chaise devant moi et mangea tout en regardant son fil d'actualité Facebook. Quant à moi, j'observais passionnément les lignes ancrées sur la table en bois de la salle à manger. Il toussa sa vie dans son coude et je roulai des yeux.  

— Quoi ?
— Si tu continues à te dénuder comme ça, tu tousseras encore dans deux semaines, marmonnai-je.
— Ben à quoi ça sert de cacher des centaines d'heures de travail ? T'es pas fier de moi ?
— Tu veux impressionner qui ici ?

Travis leva les yeux au ciel avant de les reposer sur son téléphone. Le silence s'installa à nouveau. Il était rare que lui et moi partagions le même repas à la même table. Il travaillait à longueur de journée jusqu'à rentrer tard le soir. Lorsqu'il avait du temps libre, il se rendait soit au gym soit à une soirée avec ses amis. Il me demandait souvent de l'accompagner dans ses activités alors qu'il savait pertinemment qu'il recevrait toujours la même réponse : non. Ses amis étaient beaucoup trop bruyants et je me voyais mal trainer avec des gens beaucoup plus vieux que moi.

— Michael ! s'écria soudainement Travis

Je sursautai presque. Mon frère avait la mauvaise manie de réagir vivement sans crier gare.

— Quoi ?

Le jeune adulte ne me répondit pas tout de suite. Je levai légèrement les yeux vers lui. Son visage affichait un sourire énorme et je conclus qu'il devait avoir vu quelque chose de très excitant sur l'écran de son téléphone.

— Twenty One Pilots viennent à Toronto en juin !

Je l'ignorai complètement, me servant d'une énième tranche de pain avec du beurre d'arachide. Twenty One Pilots était un duo que mon frère écoutait souvent. Je le savais parce qu'au lieu de garder sa musique pour lui, il préférait me taper les tympans en la branchant sur des hauts-parleurs et en chantant à tue-tête. Je ne me considérais pas comme étant un fan d'eux, mais je devais avouer que leurs chansons n'étaient pas mauvaises. Quoi qu'il en était, je préférais, et de loin, ma musique punk.

— Twenty One Pilots viennent à Toronto ! répéta-t-il comme si j'étais sourd.

À vue d'oeil, Travis tentait de détendre l'atmosphère. Il savait que la rencontre dans le bureau du directeur n'allait pas être facile. Travis n'avait jamais été capable d'être autoritaire avec moi. Il élevait souvent la voix, mais le regrettait tout de suite après et tentait de se faire pardonner. Étant donné que la soirée d'hier s'était mal déroulé, il agissait comme si de rien n'était, comme s'il était le gentil de l'histoire. Or, ce n'était pas difficile de remarquer que j'étais complètement blasé.

— Viens avec moi.
— T'es malade.
— Allez ! Ça serait con de rater ça.

Je le fusillai du regard, ce qui le fit taire net. Je n'avais aucun intérêt à me rendre à un concert bourré de filles en chaleur, et il le savait pertinemment. Parfois, ses efforts pour me faire bouger étaient mal placés. Je le vis mordiller sa lèvre inférieur avant de quitter la table à manger.

— Dépêche, c'est le temps d'y aller.

——

Le bureau du directeur reflétait comme deux gouttes d'eau le caractère du propriétaire : ennuyeux, chiant, monotone. Pis, comme si l'homme avait tenté de donner vie à son antre, on pouvait remarquer des plantes placées un peu partout. Des annonces étaient accrochées sur les murs sans ordre logique. Aucune photo de famille, ce qui était un exploit. Aucun cadre photo montrant un petit garçon en uniforme de soccer ou une petite fille à sa prestation de ballet. Aucune photo de parents avec leurs enfants qui souriaient bêtement à une fête foraine. Aucune photo d'une femme qui posait gentiment derrière un océan tropical. Aucune photo d'un chien heureux qui courait dans un jardin. En revanche, une plaque représentant un prix que l'école avait gagné il y avait 10 ans de cela était accrochée en évidence au centre d'un mur de couleur ocre. Le bureau était propre, même trop. Les documents étaient parfaitement classés, les cartables placés en ordre chronologique.

La siège derrière, qui aurait dû être occupé par monsieur Steven McCall, était vide.

Ce crétin nous avait convoqués à 8 h 30 et pourtant, il n'était même pas foutu d'arriver à l'heure. Lorsque Travis et moi avions mis un pied dans l'office, la secrétaire, avec son sourire périmé, nous avait conduit dans la pièce fatidique et nous avait prié d'être patient en attendant que monsieur arrive. Cela faisait 10 minutes qu'on attendait. Alors que Travis tapotait son téléphone, j'analysais mon entourage. Dans la poubelle se trouvait au moins six pots de café extra larges provenant du Tim Hortons. Il y avait une tâche sombre dans un coin du rideau gauche et je n'avais même pas envie d'en connaître la source. Sur le sol, j'avais à peine eu le temps de compter 174 tuiles que Travis m'interrompit.

— Michael.
— Mmmh.
— T'as intérêt à bien te comporter. Laisse ta mauvaise humeur de côté et je ne sais pas, souris un peu plus. Ça sert à rien de paraître bête si ce n'est que pour empirer les choses. Je te rappelle que ça nous fait chier à tous les deux.

Je levai les yeux au ciel. Il le remarqua et s'emporta.

— Bah oui, je suis censé travailler pour rapporter de l'argent à la maison mais non, je dois me colporter une séance chez le directeur d'un certain monsieur qui ne fait qu'à sa tête.

Énervé, je me tus et me mordis les lèvres. J'observai un point inexistant devant moi. Il n'avait pas à balancer ça, à rejeter toute la faute sur moi. Je ne faisais pas exprès d'être chiant avec les gens ou de ne pas me plier aux conventions sociales. Ce n'était pas ma faute si je n'aimais pas utiliser ma voix, ne supportais pas les foules ni les bruits incessants. C'était moi, la victime devant l'immaturité de mes enseignants qui ne cachaient pas leur déception à mon égard. Je n'avais rien demander de cela et pourtant, c'était moi le supposé coupable.

— Tu m'as entendu ?

Je ne répondis pas. Il se tut à son tour. Alors que j'étais persuadé de pouvoir souffler à nouveau, il reprit ses attaques.

— Arrête de penser que le monde entier est contre toi. On veut tous ton bien ici.

Je bouchai mentalement mes oreilles pour ne plus avoir à écouter ses lamentations. Je n'avais plus envie de penser en ce moment. Je sentais que Travis était insulté par mon comportement, mais je m'en foutais. Lorsque Steven McCall entra dans son bureau, il ne pouvait manquer la tension qui dominait les lieux. Il portait le même costume qu'il portait à tous les jours : un veston gris avec une chemise blanche ainsi qu'une cravate foncée. Ses cheveux étaient si huilés qu'ils luisaient sous la lumière écarlate qui se trouvait à deux centimètres de sa tête tant il était grand.

— Pardonnez-moi pour le retard, j'avais des affaires importantes à régler.

Voyez comment je n'étais pas du tout important. Travis se leva aussitôt afin de serrer la main qu'on lui tendait.

— Ce n'est pas grave. On n'est pas pressés.

Menteur. Ce n'était pas pour rien que Travis venait de s'énerver sur moi. Il perdait littéralement son temps ici. Il stressait presque autant que moi. Monsieur McCall sourit chaleureusement à mon frère, puis porta son attention sur moi.

— Bonjour, Michael. Tu vas bien ?

Je ne répondis pas. Je pouvais sentir le regard de Travis dans mon dos.

— Ça doit être le stress qui a mangé sa voix.
— Sans doute, répondit le directeur, pas très convaincu.

Il s'installa sur le seul siège libre avant d'ouvrir l'un de ses tiroirs. Il farfouilla dedans quelques secondes, puis sortit une liasse de papiers qui devait probablement correspondre à mon dossier. Il enfila ses lunettes, puis commença à le feuilleter. Des nuages gris apparaissaient déjà dans ma tête. La tempête allait bientôt éclater.

— Je vous ai convoqué aujourd'hui pour la simple et bonne raison que Michael, ici présent, a de la difficulté à s'intégrer à la vie scolaire.
— C'est-à-dire ? demanda Travis.
— Il a accumulé 97 absences depuis le début de l'année. Les profs se plaignent qu'il refuse de participer en classe, qu'il refuse de mettre de l'effort dans ses travaux. Il échoue dans trois matières et le reste, il se trouve dans la zone limite.

Une bourrasque attaqua mes cheveux avec mes doigts qui avaient envie de les arracher. Mon pied gauche gigotait tout seul et je déposai la paume de ma main sur mon genou dans l'espoir de pouvoir le calmer. Mon visage avait beau afficher une expression impassible, je ne l'étais pas. Un tourbillon se déclencha dans mes pensées, si bien que je devins étourdi. J'oubliai même de respirer à plusieurs occasions. J'avais chaud, mes mains étaient moites et mes lèvres s'asséchaient à mesure que les secondes défilaient.  C'était dans les moments comme celui-ci où j'avais besoin de me perdre dans la musique. À mon grand désaccord, Michael m'avait obligé de laisser mes écouteurs dans sa voiture.

— Lorsque ses professeurs lui demandent de passer me voir, il réussit à s'enfuir. Il n'est pas présent lors de ses retenus non plus. Michael n'en fait qu'à sa tête et cette mauvaise habitude commence à devenir problématique pour son éducation.

Sans que je ne songe à ma mauvaise attitude, je pouffais soudainement. Travis frappa discrètement, mais sauvagement, mon pied sous la table. Son regard que j'essayais soigneusement d'éviter me lançait des éclairs.

— Je vous remercie de me faire part de la problématique. Mais vous êtes au courant que Michael a vécu des choses difficiles et l'école devrait être plus qu'indulgent avec lui.
— Oui, nous en avons conscience et nous essayons le plus possible de l'accommoder. Or, Michael doit aussi mettre de l'effort de son côté.

Mon cul. Ils n'avaient aucunement l'intention de faire des efforts et moi non plus.

— Je dois vous avouer que de mon côté, il n'est pas plus réceptif. Il est un peu une cause perdue.

Travis avait lâché un rire nerveux en prononçant ses derniers mots. Estomaqué, je regardai Travis, les yeux ronds. Il n'avait pas le droit de dire ça. En tant que frère, son devoir était de rester de mon côté, pas de concéder des arguments à l'ennemi. Il m'ignora complètement. Monsieur McCall hocha gravement la tête avant d'ouvrir son tiroir pour une énième fois. Il en sortir un pamphlet rouge, mon coeur battit à la chamade.

— J'ai ici un pamphlet qui pourrait vous être utile. Il décrit un procédé recommandé par plusieurs spécialistes, les cercles de parole.

Il remit le démon à Travis, qui l'examina sérieusement. Pitié, non.

— Un cercle de parole lui permettrait d'exprimer ses sentiments à un petit groupe qui, en général, vit les mêmes expériences que lui.

Non, non, non. Refuse.

— Ça a l'air intéressant. Je crois que ce serait important de considérer cette initiative. Au point où on en est...

— Je vous l'encourage, monsieur Standford. Quant aux actes de Michael, nous ne lui imposerons pas de sanctions pour l'instant. Mais il doit promettre de changer son comportement dès maintenant. On est d'accord ?

Les deux hommes me dévisageaient intensément. Je ne pouvais fuir la situation ni me cacher. J'avais envie de hurler, de leur faire savoir que je n'avais aucunement besoin d'aide. Je voulais leur expliquer que c'était ma vie et que je n'avais pas à la vivre au dépend des autres. Aucun son ne sortir de ma bouche. J'hochai la tête non sans un affaissement mental.

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