Prologue
La totalité de cette pièce était blanche et ce détail en était presque maladif. Les murs, les meubles, les accessoires...cette couleur n'échappait même pas aux livres qui pendaient dans la bibliothèque. Malgré le fait que j'étais très à cheval sur la propreté, cette absence de nuance me rendait inconfortable. Je fixais obstinément la baie vitrée qui couvrait presque la moitié du mur du fond. Le soleil brillait de mille feux et on pouvait apercevoir la poussière suivre le chemin des rayons traversant la vitre. Après avoir passé mes derniers jours dans la noirceur, je n'avais jamais remarqué à quelle point le Soleil produisait autant de lumière.
Smith, le propriétaire des lieux, traversa la porte avec deux tasses déposées sur un plateau. J'avais beau lui répéter que je ne voulais rien, il avait insisté pour me donner une certaine forme d'hospitalité.
— J'ai présumé que tu voudrais ajouter du lait et du sucre. Du thé sans accessoires, c'est un peu fade.
— Merci.
Mes mains portèrent la tasse à mes lèvres et je pouvais sentir l'odeur suave du thé à la menthe poivrée. Le brun laiteux m'agressa presque dû au contraste des teintes de la pièce. La chaleur du breuvage brûla brièvement mes lèvres au contact et je pris la décision de patienter un peu afin qu'il refroidisse. Le psychiatre s'empara du siège vis-à-vis le mien et se servit de ce qui semblait être des biscuits au beurre. L'homme m'en tendit quelques unes mais je déclinai poliment l'offre. Ces derniers temps, je n'avais ni la force ni le courage d'avaler de la nourriture. Je mâchais un bout de pain ou croquais dans une pomme ici et là, mais uniquement parce que mon entourage et mon corps m'y forçaient. Si Lauren ou Mark n'avaient pas été présents, je serais probablement mort dans mon salon sans que personne ne le sache.
— Voyons, mon cher Travis, ne me fais pas ce coup-là. Ce n'est pas en t'affamant que tu te sentiras mieux.
— Je n'ai pas nécessairement envie de me sentir mieux.
Smith était clairement pris au dépourvu suite à ma remarque. Un silence tonitruant s'installa. Ses lèvres se déplacèrent jusqu'à former un sourire crispé, forcé, niais. Je ne m'étais jamais senti aussi mal à l'aise de toute ma vie. Pourtant, je connaissais bien Smith. Il avait été un ami de longue date de mes parents. Cela m'avait toujours laissé perplexe, car son côté mesquin et loufoque n'étaient pas compatibles avec le comportement serein de mes parents. Au décès de ceux-ci, l'homme s'était contenté de rendre visite à mon frère et moi de temps à autre et il avait fini par prendre Michael sous son aile. Quant à moi, c'était la première fois que j'entreprenais une séance avec lui.
— Travis, Michael n'aurait pas voulu te voir dans cet état.
Et voilà, la chose que je craignais le plus était sur le point de se passer. Mon coeur se mît à battre à la chamade et mes mains devinrent moites. Je détestais ce sentiment qui m'envahissait ; celui de la tristesse, de la culpabilité, voire de la frustration. Cela faisait plus de deux mois maintenant. Deux mois que Michael avait disparu de ma vie. Depuis lors, j'avais rarement mis le nez dehors. En prenant l'initiative de me rendre au cabinet du psychiatre, j'étais persuadé que je serais enfin capable d'affronter le monde. Seulement, il était clair que je n'avais nullement évolué durant ces dernières semaines. À cette réalisation, l'envie de disparaître à mon tour me frappa violemment au visage.
— Michael s'en foutait de moi.
— Ne dis pas ça. Je suis persuadé qu'il tenait beaucoup à toi. Il n'aimait pas partager ses sentiments mais-
— Je commence à comprendre pourquoi Michael ne vous aimez pas.
Plus je comprenais, plus j'avais envie de pleurer. J'avais envie de pleurer parce que je réalisais que j'avais peut-être tout gâcher. Je me trouvais exactement au même endroit où il se trouvait plusieurs mois auparavant. Je pouvais éprouver l'inconfort qu'il avait dû ressentir, lui aussi, face à ce décor tiré d'un tableau dénué de couleur, de vie. Je pouvais ressentir son angoisse face à cette situation pas naturel, sa frustration suite à la multitude de questions qu'on lui posait et pour lesquelles il n'avait aucune réponse. Pour moi, c'était la première fois mais pour Michael, le trois quart de sa vie s'était déroulé de cette façon.
— Votre frère était très têtu en même temps.
— J'ai vécu avec lui, je sais très bien comment il était.
— Ça fait toujours mal, c'est ça ?
— La ferme.
L'homme d'une quarantaine d'année lâcha un son qui ressemblait à un rire silencieux et je réalisai que mes mots étaient mal placés. Je ne m'excusai pas pour autant. Ma mâchoire se serra et ma peau devint encore plus blême qu'elle ne l'était déjà.
— Me la fermer ? C'est un peu ironique. Tu préfères qu'on passe la journée à se dévisager en silence ?
— Qu'est-ce que vous voulez de moi ?
— Je ne veux que ton bien.
— Je le voulais aussi pour Michael et voilà ce que ça a donné.
Ma voix avait craqué. Une boule se formait petit à petit au fond de ma gorge. J'avais une guerre contre les larmes qui menaçaient de transparaitre ma vulnérabilité. Smith m'observait intensément, comme s'il notait tous mes faits et gestes dans sa mémoire. Je me relevai brusquement pour saisir ma tasse de thé qui laissait échapper moins de buée. J'espérais que boire réussirait à faire éclater la boule qui m'étouffait.
— Tu sais, tu lui ressembles beaucoup.
— Pardon ?
— Le même air entêté, le même froncement de sourcils. Quand je te vois assis sur ce fauteuil, je ne vois aucune différence. À l'exception que toi, t'es plus bavard.
Est-ce que ça aurait pu le sauver ? Depuis la mort de nos parents, Michael s'était renfermé sur lui-même, ne parlait presque à personne. Même moi qui étais son frère, j'avais l'impression qu'il avait bâti un mur entre nous deux encore plus solide et insonorisé que les autres. Plus j'essayais de le faire sortir de sa torpeur, plus il filait entre mes doigts.
— Travis, je dois vous dire quelque chose. J'ai l'impression qu'on ne vous l'a pas dit souvent.
Je détachais le verre de mes lèvres. Mes yeux se déposèrent brièvement sur le psychiatre avant de se poser sur mes souliers.
— Michael n'est pas 'parti' ou n'a pas 'disparu', il est mort.
Pris par surprise, j'échappai le liquide chaud sur mes genoux. Mes yeux s'écarquillèrent et, inévitablement, des larmes roulèrent sur mes joues sans préavis. NON, NON, NON. Non. Arrêtez. Mon pantalon était mouillé et mes cuisses brûlaient mais je m'en foutais. Mon cerveau ne fonctionnait plus, mes nerfs avaient perturbé les connexions. Mes mains pendaient dans les airs et ma respiration n'était plus. Je ne sentis même pas Smith se redresser pour nettoyer les dégâts, quoiqu'il n'avait peut-être pas bouger non plus.
— Tu ne dois pas t'en vouloir pour avoir tenter de jouer les héros. Malgré l'amour, la compassion, l'attention que tu lui as donnés, tu dois admettre que tu as échoué et qu'on ne peut sauver quelqu'un qui ne désire pas régler ses problèmes.
Mes doigts tremblants agrippèrent mes cheveux au lieu de nettoyer les perles sur mes joues. J'avais remué ciel et terre pour tenter de lui donner une meilleure vie, pour nous donner une meilleure vie. Tout ce qu'il avait fait, c'était prendre son cadeau pour acquis, jouer un peu avec puis a décidé de le laisser tomber. Il avait abandonné le navire. J'étais désormais seul sur le bateau et essayais tant bien que mal de contrer la tempête.
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