Loser
Couché sur l'herbe dans un coin perdu de la cours, les écouteurs dans les oreilles, j'étais complètement reclu du monde. La chaleur bâtait son plein à l'extérieur, mais je m'étais assuré de m'installer dans l'emplacement le moins ensoleillé. Je me trouvais sous un gigantesque arbre dans lequel le feuillage empêchait les rayons de soleil de traverser. Je n'étais pas très partisan de la chaleur et des températures humides. Certes, j'aurais pu me réfugier à l'intérieur, mais il y avait trop de personnes dans le bâtiment alors que je détestais encore plus le contact humain que la chaleur. Tous les jours, je me réfugiais soit dans une salle de classe vide soit dehors. Auparavant, j'avais l'habitude de me rendre à la bibliothèque pour lire des bandes dessinés sauf que miraculeusement, de plus en plus de gens dévastaient cet endroit autrefois paisible. Alors je restais couché dehors, à fuir le soleil et à écouter ma musique en somnolent.
La société m'épuisait.
Elle se foutait de moi, m'agaçait, m'oppressait. Elle évoluait tandis que moi, je restais stagnant. J'avais tellement de la difficulté à la suivre que j'avais décidé d'abandonner la course et d'agir comme bon me semblait. Dans une foule gorgée de clones possédant le même visage et agissant de la même façon, j'étais celui qui sortais du lot. Au lieu de sourire aux passants et de prétendre d'être heureux, je préférais regarder le sol plutôt que le ciel. Au lieu de posséder une démarche stressée par le mode de vie et le travail, je trainais les pieds et m'évadais avec mes écouteurs. Au lieu de hurler, de cracher des mots ou d'entamer des conversations qui ne menaient à rien, je préférais conserver mon énergie en taisant ma voix. Je n'étais pas muet, loin de là. Parler juste pour parler, ça me blasait.
J'avais 17 ans et tout espoir en lien avec mon existence s'était envolé. Je m'exilais dès que l'occasion se présentait et évitais les gens comme la peste. À force de les ignorer, j'étais devenu le bouc-émissaire de mes collègues. J'aurais préféré qu'ils passent à côté de moi sans avoir à me bousculer ou à chuchoter dans mon dos assez fort pour que mes oreilles puissent les entendre. J'aurais voulu qu'ils ne sachent pas que je suis là, qu'ils m'oublient.
Un torrent d'eau se déversa soudainement sur ma tête. Ma sérénité se brisa en mille morceaux irrécupérables. Une quinte de toux s'enfuit de ma bouche alors que je me relevai brusquement. L'eau avait envahi mon nez et ma gorge et j'étais sagement en train de m'étouffer. Je pris la peine de passer ma main sur mon visage afin de réduire les dégâts. Des éclats de rire se mirent à fuser de partout. Le son avait l'effet d'un strident signal d'alarme dans mon cerveau. Je ne pris même pas la peine de lever les yeux sur les fautifs de mon malheur, n'ayant aucune difficulté à reconnaître les abrutis.
— La belle au bois dormant est enfin réveillée ? ricana Josh.
Josh. Ce gars prétentieux qui m'adorait tellement qu'il ne pouvait me lâcher. Sa posture me dominait et sa voix me donnait envie de le frapper. Il représentait le profil parfait de l'adolescent populaire qui s'en prenait aux autres pour avoir de l'attention. Je l'avais toujours trouvé pathétique qu'il s'en prenne aux plus faibles plutôt qu'à des gens de son niveau.
— La cloche vient de sonner et je ne voulais pas te causer un énième retard. Tu sais comment monsieur McCartney déteste qu'on n'arrive pas à l'heure à son cours.
« Mais qu'est-ce que ça peut te foutre si je suis en retard ou pas, t'essayes juste de trouver une raison pour me faire chier, salaud. » Mes pensées n'avaient encore jamais eu la chance de mettre une raclée à cette brute. Je savais qu'argumenter avec lui n'arrangerait en rien mes problèmes, les empirant au contraire. Fermant les yeux sur les multiples regards moqueurs posés sur ma personne, je me rendis, non sans un croc-en-jambe, en direction de cet enfer qu'était le lycée. J'entrai dans la salle de bains, puis utilisai des serviettes en papier afin de tamponner l'eau qui souillait mon t-shirt. J'avais de la chance que ce n'était que de l'eau. Ma colère me poussait à m'acharner sur cette tâche qui n'avait pas l'air d'avoir envie de partir. Cela faisait des mois que Josh et sa bande ne vivaient que pour polluer mon atmosphère. À ce point, j'aurais dû m'habituer et les ignorer. Malgré tout, ses provocations trouvaient toujours un moyen de m'atteindre. Je lâchai un grognement involontaire, trop frustré par la situation. Quelqu'un s'introduit brusquement sur les lieux, ce qui me fit revenir à la réalité. La personne me lança un drôle de regard et je sortis des toilettes en trombe, tête baissée tout au long du chemin me conduisant à ma salle de classe.
À peine après avoir mis un pied dans le trou du diable que l'envie d'en sortir me frappa.
— Où crois-tu aller comme ça ? grinça monsieur McCartney.
Je rejoignis ma place à côté de la fenêtre sans même prendre la peine de lui daigner un regard. Le professeur se leva de son bureau et emprunta un pas exagérément lent vers mon pupitre. Inutile de lever les yeux pour deviner le regard mauvais qu'il m'adressait.
— Tiens ? Monsieur a décidé de jouer au sourd-muet aujourd'hui ? Ah non, avec toi c'est tous les jours.
Quelques ricanements résonnèrent dans la classe même si la « blague » était loin d'être marrante. Certains élèves se contentaient de me regarder en silence, d'autres préféraient fermer les yeux sur la scène. Le professeur de philosophie gloussa avant de se promener lentement entre les pupitres. Présumant qu'il avait finalement décidé de me laisser en paix, je laissai échapper un petit soupir. Cependant, mes prières furent ignorées.
— Michael James Standford, tu as 10 secondes pour me convaincre de ne pas t'envoyer chez le directeur.
« Je n'ai pas besoin d'élèves comme toi dans ma classe » avait-il murmuré dans sa barbe en croyant que ses mots ne parviendraient pas à mes oreilles. Mes dents se serrèrent si fort dans ma bouche que les os formant ma mâchoire étaient prononcés. Ma langue était claquée contre mon palais, je n'avais pas l'intention de prononcer un seul mot. Mes mains se faisaient littéralement étranglées tant les poings qu'elles formaient empêchaient le sang de circuler comme il se devait. Ce n'était pas la première fois que cette scène se déroulait. En début d'année, McCartney se bornait à fermer la porte au son de la cloche et étant donné que j'arrivais toujours en retard, je tournai les talons dès que je voyais la porte fermée. Remarquant que je ne faisais même pas l'effort d'entrer en classe, il avait fini par laisser la porte ouverte. Or, dès que j'entrais, il s'excitait à l'idée de m'humilier devant tout le monde.
Mon pied droit frappait frénétiquement le sol. Je me hurlais silencieusement d'arrêter de laisser paraître autant d'émotions. L'envie de lui lancer ses quatre vérités à la figure me saisit, mais ma gorge refusait de m'obéir. Ma voix avait disparu au fin fond de ma gorge. Mes yeux fixaient la crasse qui était prise dans mes ongles.
— J'attends toujours.
« Eh bien je n'ai pas à m'expliquer alors va voir ailleurs si j'y suis. » J'entendais pratiquement les tics tacs dans ma tête. 3...2...1...
— Ok, Michael, je t'écris une note.
L'enseignant sortit un billet rose de l'un de ses tiroirs et barbouilla dessus. Je me levai violemment de ma chaise, la faisant tomber au sol. Je ne pris même pas la peine de la replacer et me contentai d'arracher le papier des mains de l'adulte.
— Bon séjour.
Sous les regards sidérés des élèves, je fis claquer la porte derrière moi.
———
Évidemment, je ne me rendis jamais au bureau du directeur. À l'instant où j'étais sorti de la classe, j'avais jeté le bout de papier à la poubelle. Il était hors de question de rentrer à la maison, alors je me dirigeai vers le premier endroit qui me venait à l'esprit. Mes écouteurs avaient retrouvé leur foyer tandis que mes pieds suivaient le chemin que je connaissais trop bien à présent. Un peu plus de trois kilomètres de marche m'attentaient, pourtant l'idée d'emprunter le transport en commun ne me traversa même pas l'esprit. Je ne supportais pas les autobus, : ils comprenaient beaucoup trop de monde à l'intérieur et j'avais l'impression de suffoquer dans cet espace restreint. Un vent frais s'était installé dans l'air et je n'avais malheureusement pas assez de vêtements pour me tenir en chaleur. Mon nez commençait à couler et mes mains s'étaient enfouies dans les poches de ma veste. J'accélérai quelque peu le pas afin de ne pas tomber frigorifié au milieu de la rue. J'abandonnai rapidement l'idée car, n'étant point sportif, mon pouls battit à tout rompre seulement quelques minutes plus tard. Quoi qu'il en était, j'arrivai à destination après 45 minutes. Je poussai le grillage qui couina au mouvement, puis mis un pied dans le jardin. Mes petits pas, qui écrasaient les feuilles mortes sur mon passage, perturbaient le silence paisible des lieux. C'était un bel endroit et pourtant, rares étaient ceux qui y passaient du temps. C'était un jardin normal, avec des chênes, des saouls et des bancs un peu partout. Et de l'herbe. À perte de vue. Quelques femmes passaient avec leur poussette de temps en temps ou des coureurs empruntaient le chemin dessiné par l'accumulation des traces de pas. Un ruisseau coupait le sol en deux et se déversait dans une rivière à plusieurs mètres d'ici. Je pris place sur un banc placé devant ce ruisseau et laissai Mère Nature m'envahir.
J'avais dû m'endormir parce que lorsque je repris conscience, le ciel était déjà sombre. Une goutte d'eau atterrit sur mon visage, puis deux, puis 20. Après un grand soupir, je saisis mon téléphone et tombai sur cinq appels manqués venant de la même personne. L'horloge marquait 19 : 48, ce qui signifiait que j'avais pris une méchante bonne somme. Je me redressai péniblement, tout contorsionné vu mon manque de mouvement pendant plusieurs heures, avant de d'entamer la route vers ma maison.
———
Je ne vivais pas dans les quartiers riches de la ville, loin de là. À ces 18 ans, Travis avait décidé de loger dans un petit immeuble désuet, mais où le loyer était rentable. Mon frère s'était empressé de me libérer de l'emprise du diable ayant pris l'apparence de notre tante. Depuis le décès de mes parents, le gouvernement avait cru bon de nous placer chez la soeur de ma mère. Sauf qu'elle ne s'était pas simplement contenter d'essayer de remplacer ma mère, non. Cette raison n'avait été qu'un voile pour masquer le désastre qui avait pris naissance dans sa petite maisonnée. Avec mon frère, elle avait était un coeur. Enfin, il fallait avouer qu'il avait été l'enfant parfait d'une famille parfaite. Chez ma tante, il proposait toujours son aide, cuisinait, faisait les tâches ménagères. Il parlait beaucoup, était premier de classe, l'adolescent cool quoi. On l'admirait pour sa dévotion et son optimiste, car la mort de nos parents ne l'avait pas détruit. À l'inverse, je m'étais renfermé sur moi-même. Je ne sortais presque pas de ma chambre, vivant comme un fantôme dans la maison Par conséquent, j'avais dû subir les châtiments de ma tante suite à ses excès de colère exagérés. J'avais refusé de me soumettre à cette femme, avait osé lui tenir tête alors que tout le monde tremblait au son de sa voix venimeuse. Je n'avais pas ressenti les sueurs froides qui auraient dû couler sur mon front lorsque ses yeux sombres perçaient mon esprit et il avait fallu que je paie le prix de ma rébellion. Pouvait-on vraiment m'en vouloir ? Je venais de perdre mes parents, j'étais jeune et n'étais pas aussi fort que Travis. Je n'essayais pas de plaire à tout le monde. Depuis des années, j'avais prié pour qu'une lettre apparaisse dans la cheminée, un mot qui m'annoncerait mon admission à Poudlard. Si Harry Potter avait réussi à s'échapper de sa misère de cette manière, pourquoi pas moi ? Je n'avais que 11 ans à l'époque et c'était l'unique chose que je souhaitais : la liberté. L'enfer avait seulement duré quatre ans, sauf que j'étais déjà calciné. J'avais fait mes adieux à ma tante et à mon oncle, certes, mais avec le temps, je m'étais retrouvé coincé dans un piège qui me retenait prisonnier. Ce piège était destiné à causer ma perte et tout ce que je pouvais faire était subir les répercussions en silence, sans me plaindre et en les acceptant.
L'ascenseur prit trois bonnes minutes à ouvrir ses lourdes portes en métal. Je m'engouffrai à l'intérieur, puis appuyai le bouton servant à laisser le passage ouvert afin qu'une femme en compagnie de ses enfants puissent entrer. Elle me remercia avec un grand sourire qu'elle ne reçut pas en retour. J'hochai la tête avant de refermer les portes. Je ne savais depuis combien de temps mon visage n'avait pas songé à sourire, mais ma tête n'arrivait même pas à supporter l'idée. Le rictus ne voulait tout simplement pas se former sur mes lèvres. C'était la raison pour laquelle les gens m'évitaient ; je ne souriais jamais et évitais de croiser le regard des autres.
Le ding annonçant mon arrivée au cinquième étage m'extirpa de mes pensées et je clignai des yeux en remarquant que la petite famille n'était plus présente. Mes pas résonnèrent dans le couloir sans vie de l'immeuble et j'étais porté à me demander s'il y avait d'autres habitants hormis mon frère et moi. Pensant à lui, son âme devait être rongé à force de s'inquiéter pour moi. Dès que je ne donnais pas signe de vie, Travis ne pouvait s'empêcher de toujours penser au pire et de se lancer dans une crise pouvant perdurer des heures. Ceci dit, on ne pouvait lui en vouloir de se faire du souci puisque ses raisons étaient pertinentes. Il avait simplement peur que je parte et ne revienne plus.
La clé entra à peine dans la serrure que la porte s'ouvrit à la volée. Un fort sentiment de colère m'accueillit avant de laisser place à un soupir de soulagement. Le visage de Travis s'adoucit, malgré ses yeux qui bouillaient toujours de rage. Il essayait de contenir ses émotions avec moi. Il ne voulait pas me blesser. Il ne voulait pas que je me retourne contre lui. Il m'exaspérait.
— T'étais où ?
Sa voix me fit frissonner. Je me dégageai de l'entrée et il en profita pour fermer la porte derrière moi. Je sentis son regard glacial dans mon dos, me forçant à porter mon attention sur mes lacets de chaussure. Mes doigts tremblaient et je devins maladroit.
— Michael ? répéta Travis avec un ton plus provocateur.
Je me relevai sans broncher. Un grognement fit trembler mes cordes vocales en réaction à son commentaire. Lorsque vous entendiez mon frère m'appeler par mon nom, vous saviez que les choses devenaient sérieuses. La plupart du temps, il utilisait le stupide surnom qu'il avait inventé pour moi et mes dents grinçaient à chaque fois qu'il le prononçait. Néanmoins, je préférais qu'il m'appelle Mickey, car cela signifiait que j'étais en paix.
— MICHAEL JE TE PARLE.
— JE PRENAIS L'AIR.
Pour une fois que je prenais la décision d'être en contact avec le monde extérieur par moi-même, il avait intérêt à ne pas faire passer sa colère sur moi. J'entrai dans le salon et abandonnai ma veste sur l'un des fauteuils. Je me dirigeai vers le réfrigérateur et saisis une canette de soda. Du coin de l'oeil, j'aperçus Travis guetter le moindre de mes mouvements. Il ne m'avait toujours pas sermonné, se contentant simplement de m'observer. C'était dans ces moments comme celui-ci où il était facile de deviner les pensées qui traversaient son esprit : « Mais qu'est-ce que je vais faire de lui... » Je pris une grande inspiration avant de me retourner. Je lui fis face ; il croisa ses bras contre son torse.
— Ton école a appelé.
J'arrachai le bout de métal de ma canette, libérant ainsi un psssh discret. Oh, que j'aimerais bien être à la place de ce bourdonnement gazeux. Avoir la capacité de m'évaporer serait tellement utile, surtout en ce moment.
— À ce qu'il parait tu t'es sauvé de ton cours ?
Je pivotai afin de ne plus avoir à supporter ses yeux accusateurs et me téléportai jusque dans ma chambre. La discussion prenait une direction dans laquelle je ne voulais pas m'aventurer. Il allait me demander la raison de mon départ précipité, qu'est-ce que j'avais fait, où j'étais allé. Puis, il s'énerverait sur moi, car il n'aurait pas ses réponses espérées et ma frustration augmenterait. Travis n'avait pas besoin d'être au courant de mes activités personnelles et je n'avais pas l'intention de lui en parler. Alors que je refermais la porte derrière moi, mon frère prit quand même le temps de s'écrier d'une manière frustrée et exaspérée.
— Mais qu'est-ce qui te prend ? Michael !
— Je suis fatigué.
— Très bien. Repose-toi bien parce que le directeur m'a convoqué demain matin et je n'irai pas seul.
Je manquai de renverser le contenu de ma bouteille sur le plancher. Je fronçai les sourcils et utilisai toute mon énergie dans la portée de ma voix.
— Quoi ? Non ! attaquai-je
— Oh ! voilà que monsieur daigne enfin à s'exprimer.
— Hors de question que je t'accompagne.
— Ouais bah t'aurais dû y penser plus tôt avant de disparaître comme ça.
— Je n'irai pas.
— Je ne me rappelle pas t'avoir demandé ton avis.
Je serrai mon emprise autour de ma canette. Un sourire narquois prit place sur le visage de mon grand-frère tandis que je n'avais qu'une envie, celle de lui balancer une chaise à la figure. Son expression envoyait un message très clair : tu me fais chier, alors je te fais chier aussi. Sur le champ de bataille, j'étais obligé de brandir le drapeau blanc. Travis était le maître fort, robuste, empli de convictions et j'étais l'âne qui paraîssait ridicule à ses côtés.
Je claquai la porte, les murs tremblèrent.
Fin de la discussion.
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