Chapitre 9.2

E N E K O 


          Je n'avais qu'un souhait : m'endormir dans les bras de Malek et de Morphée et m'évader dans leur étreinte mutuelle. Hélas, ce nain de jardin mastoc semblait décidé à retarder ce moment onirique pour me parler de je ne savais quoi. Il m'attira dans un coin de l'Angélique, près du passage secret, de sorte que personne ne nous dérange. J'adorerais ça, moi, que l'on nous dérange. Je n'avais ni le temps ni l'énergie d'écouter ses sottises.

Je me posai contre un mur, face au guerrier à la musculature épaisse. Elle ne m'impressionnait pas le moins du monde, même si sa vingtaine de couches de vêtements peinait à la contenir.

— Tu m'écoutes ? postillonna-t-il.

— Parle, déjà, et je t'écouterai peut-être.

Il secoua la tête, les yeux relevés. Sa peau matifiée aux teintes caramel s'était assombrie et il se racla la gorge une énième fois.

— Je voulais m'excuser.

Mes lèvres se décollèrent dans la surprise et mes sourcils plissèrent mon front. Je croisai les bras et lâchai un soupir.

— Tu veux t'excuser ?

— Ouais, tu m'as bien entendu.

C'est bien ce qu'il me semblait...

Et donc, il s'attendait à ce que je lui pardonne et que j'oublie son hostilité et son insolence ? Je me fichais de son éventuelle histoire d'amour avec Sonja. Cette femme m'avait sauvé la vie et m'avait ramené la personne que j'aimais le plus au monde. Elle pourrait se révéler être la pire des ordures, je n'en aurais rien à faire.

— Et donc ?

Il remua la tête, confus.

— Et donc quoi ?

— Tu me crois vraiment aussi influençable, à te pardonner d'un coup d'un seul ?

— Bah, je t'ai dit que je m'excusais, ça me paraît logique.

— C'est pas... comme ça que ça fonctionne, me lamentai-je.

Quel manque de tact... Il n'avait pas dû retrouver de copine depuis, lui. Trouve-toi un plan cul, tu reviendras peut-être plus détendu.

— Ça fonctionne comment, alors ?

Cette fois, je ne pus retenir un bref gloussement, ce qui le mit bien évidemment en rogne. Mon crâne retomba sur mes épaules, les paupières fébriles. Quel garçon barbant. Un siphon entraînait ses mains, le préparant presque à un concours de bras de fer chinois.

— Allô ?

Comme c'est gênant. Je n'osais pas lui répondre ni même le regarder. Je fixai le sol sombre et carrelé en espérant qu'il me laisse en paix. Il soupira si fort que son souffle m'asphyxia le visage.

— D'accord, j'ai compris, grinça-t-il, le ton sombre. Je suis désolé, j'aurais pas dû dire ça pendant les funérailles, c'était déplacé. Et je sais que t'aimes pas ma façon de faire les choses, avec l'autre meuf... mais j'ai pas d'raison de te détester et j'ai déjà assez de problèmes comme ça, alors j'ai pas envie d'en rajouter un. C'est clair, comme ça ?

— Ouais, bah tu m'étonnes... moi non plus, j'ai pas besoin que tu me rajoutes des problèmes.

— Bon, alors on fait la paix ?

— On n'a jamais fait la guerre.

Quelques secondes déroutantes s'écoulèrent.

— Alors c'est bon ?

— C'est quoi, ton problème avec Sonja, concrètement ? T'es jaloux ?

Il me dévisagea de ses yeux couleur taupe, décorés d'épais sourcils en broussaille charbonneuse mariés à sa chevelure. Le regarder m'embarrassait, étrangement. Son aura me déplaisait.

— Ça veut dire quoi ça, jaloux ? se moqua-t-il.

— On m'a dit que vous étiez ensemble, avant.

Il s'esclaffa à gorge déployée. N'y avait-il pas réaction plus immature, face à cette supposition ? Par-là, il devait espérer que je la rejette, mais j'en comprenais surtout qu'il n'assumait pas cette relation.

— Mon problème avec elle n'a rien à voir avec ça, se dérida-t-il. Et puis, j'ai jamais été en couple avec elle — encore moins attiré par elle ! Compris ?

— Ouais, si tu le dis.

— Elle mentait à tout le monde et j'aime pas les menteurs.

— Donc là, tu me mens pas ?

— Quoi ? Non, bien sûr que non ! câbla-t-il, passant d'un extrême à l'autre. Écoute, je t'ai rien demandé en échange, j'suis juste venu m'excuser.

Je jetai un œil au-delà du mur derrière moi. Malek engloutissait ma pizza hawaïenne comme si demain n'existait pas. Je revins donc vers Valck.

— Alors c'est quoi, le problème ?

— Tu veux vraiment que je te dise ? J'vois. Alors, imagine ça. C'était y'a plusieurs années. Elle et moi, on s'entendait très bien, mais on n'était pas en couple, on passait juste beaucoup de temps ensemble. On se voyait, des fois, pour se relaxer... enfin bref.

Ah, bah tiens. Ils couchaient ensemble, alors forcément, à moins qu'il soit nécrophile, il n'avait pas pu baiser depuis un moment... d'où sa rigidité.

— Je pensais que c'était une fille super normale, reprit-il, puis un jour, on se baladait. Un gars a fait une remarque super désobligeante devant Sonja. Le genre de mec en chien quand il voit un joli boule. Et moi, j'suis quelqu'un de super carré, enfin, je l'étais surtout à l'époque. Maintenant, je suis un peu plus relax, précisa-t-il, confiant. Bref, du coup, j'ai répliqué.

Sa voix granuleuse avait pris un aspect nasillard. Les traits de son visage se marquèrent encore plus qu'ils ne l'étaient déjà au fur et à mesure de son histoire.

— Le problème... c'est que j'étais fatigué. Enfin, je l'ai quand même bien amoché, hein. Il avait un peu la gueule en sang, parce qu'entre-temps, il m'avait provoqué. Moi, j'aime pas les gens qui s'opposent à moi, donc je l'ai enchaîné, mais il visait trop bien. Du coup, j'ai fini à terre. J'ai cru que j'allais crever, mais le mec... J'étais par terre et il s'est effondré d'un coup. Quand j'ai voulu me retourner, j'ai vu Sonja...

J'espérais sincèrement qu'il disait vrai. Il avait l'air relativement honnête dans ses propos, du moins, pour la plupart. Au moins, cela me permettait de penser à autre chose que mes cauchemars réels.

— Et elle avait...

Il leva la tête et se griffa le cou.

— Les veines noires, conclut-il. Elle avait voulu le cacher, mais je suis sûr de les avoir vues. Elle a ligoté le gars avec ses... pouvoirs de monstre.

— Attends, tu me dis quoi, là ?

Il glissa le long du mur et s'approcha dangereusement de moi. Je reculai de quelques pas, mais rapidement, je me retrouvai coincé dans un angle. Il brisait ma zone d'intimité.

— Sonja était un démon avant d'être un ange, grommela-t-il, j'en suis sûr.

— Quoi ? pouffai-je d'angoisse en secouant le crâne. Comment tu veux que ce soit possible ?

Il blaguait. C'était invraisemblable...

— Justement, j'en sais rien, mais je l'ai vue. C'est pour ça que j'te le dis. Je l'ai vue !

— Si tu l'as vue, alors pourquoi t'en as jamais parlé à qui que ce soit ?

— Elle m'a menacé quand on a arrêté de parler. Je n'avais pas peur d'elle du tout, mais... J'ai... mais tu sais, quand elle a crevé, j'ai immédiatement prévenu le patron, mais il m'a ignoré. M'a fait comprendre que je ferais mieux de la fermer.

Le patron... lui et son air condescendant face à ce que nous pouvions lui dire ou demander.

— Il a l'air taré, soupirai-je.

— Les ordres sont les ordres. Je les respecte. J'ai peut-être fait une erreur de jugement et lui en ai parlé au mauvais moment.

Je peinais à saisir le sens de cette histoire. Elle m'avait désarçonné. Devrais-je le croire ? Je me remémorai le mois passé. Sonja avait connu bien avant nous les plans de Prairie, et pourtant, elle ne nous avait rien dit. Dans sa lettre, elle s'était montrée désolée, se plaignant qu'elle avait menti toute sa vie et qu'elle n'était bonne qu'à ça...

Alors, devrais-je le croire ? Était-ce possible que Sonja ait été un démon avant de devenir un ange ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top