Chapitre 8.1
E N E K O
Le lendemain matin, plusieurs sonneries me tirèrent hors de mon sommeil — mon téléphone. Je palpai mon drap jusqu'à l'empoigner. Lorsque l'écran s'alluma, me brûlant les rétines, quelques notifications s'affichèrent.
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CELES : On a l'identité de la démone d'hier, on sait où elle habite, on prévoit d'y aller en petit groupe dans l'après-midi.
CELES : J'ai réussi à les convaincre de me laisser y aller, ils réfusaient car que je serais selon eux inefficace. En quoi ? Parce que je ne voulais pas l'abattre, sachant qu'elle est la seule personne à détenir les informations dont nous avons besoin ? Enfin, bref. Tu veux venir avec moi, ou pas ? Il y aura sûrement Valck, donc j'apprécierais. Je n'ai pas envie de perdre la raison.
MALEK : où sont tes bras quand on en a besoin -_-
Mes lèvres s'étirèrent. Malek avait envoyé le sien à trois heures du matin. Le pauvre ne dormait pas lorsque je ne n'étais pas là, on dirait. Je posai l'appareil sur le matelas et soupirai. Mes paupières papillonnaient et mon cerveau pesait lourd contre mon crâne. Une longue journée s'annonçait encore.
Durant quelques heures, je repris goût à l'écriture. Je m'étais dit que les expériences de mort imminente seraient un bon sujet à traiter. La façon dont ma perception de la vie et la mort avait changé, ce qui nous liait en tant qu'anges... je trouvais cela beau, en un sens. Un tabou tel que celui de quitter son corps, nous en avions fait une pratique de transportation, et notre voyage intradimensionnel, nous nous en étions servi pour devenir de meilleurs humains, alors que nous n'en étions plus — grâce à la mort.
Je rejoignis ensuite Celes dans la bibliothèque de l'Angélique — ma salle préférée — comme elle me l'avait demandé. L'époque où les livres me rebutaient après mon ratage complet au lycée me semblait loin. À peine ouvris-je la lourde porte en bois que des rails de bouquins gargantuesques me dominèrent. Les lampes incandescentes cachées derrière les vitraux colorés chatouillaient mes pupilles.
Dans un coin, Celes gisait sur un pouf azuré qui faisait ressortir la rousseur de ses cheveux lisses. Le livre qu'elle tenait obstruait son visage de guerrière. La couverture lisait « Cœur Écarlate » — drôle de titre. Vu son état, mon cœur l'était peut-être également, à deux doigts d'exploser d'un trop-plein d'afflux sanguin.
Elle remarqua mon ombre et m'offrit un sourire. Des cernes trahissaient sa fatigue.
— Je suis contente de te voir, souffla-t-elle.
Sous le crissement du coussin capitonné, elle se leva et ses bras m'accueillirent d'un chaleureux que je ne refusai pas. De quoi panser mes blessures.
— Alors... Vous l'avez retrouvée ? m'enquis-je.
— Agnes ? Oui. Dès que nous sommes rentrés hier, nous avons pu relever un peu de son ADN de ma joue. Les résultats sont arrivés rapidement.
— ADN ? Y'a des policiers spécialisés, ici ?
— Ah, ça, ricana-t-elle. Encore un des nombreux secrets du patron... Il a des liens absolument partout. Ça ne devrait pas t'étonner.
Ici, je me sentais léger. Je m'envolerais presque, dépassant le stade angélique. En ma présence, des ficelles tiraient les commissures de ses lèvres. Elle me montrait plus d'amour que Léanne et cela m'apaisait.
— On a encore un petit peu de temps, prends un pouf là-bas, lança-t-elle la tête. On part dans quelques minutes avec Valck.
J'aurais pu me passer de lui...
— C'est tout ?
— Malheureusement, oui. Je sais que tu ne l'aimes pas, mais c'est un des meilleurs d'entre nous... et même si l'avouer me rebute, nous sommes complémentaires. Son sang-froid excède n'importe lequel. En mission, son cœur est vide, contrairement au mien.
— Pas qu'en mission...
Son visage ne perdit pas sa joie face à mon dépit et mon agacement. Je l'avais encore en travers de la gorge, ce gars, depuis les funérailles de Sonja. Manquer de respect à une défunte au moment de sa commémoration relevait d'une imbécilité absolue. Pourtant, je dus affronter son visage au hall. Il nous attendait adossé à la table de la plateforme, le regard froid. Ses sourcils se froncèrent lorsqu'il m'aperçut.
— Il part, lui aussi ? cracha-t-il.
« Lui aussi », il a un prénom. Il devrait se calmer, avec sa carrure de Lego.
— Bien sûr que oui. Il a déjà affronté Hel. Je te rappelle que c'est grâce à lui, Malek et Sonja que la forêt est sortie des mailles d'Aversion, rappela Celes.
— Ah ! Bah alors, autant ramener toute la bande alors. Ah non, y'en a une qui est morte et l'autre doit préparer ses punchlines pour s'en servir contre moi.
Mais qui avait élevé cet énergumène ? Le ridicule ne tuait pas, mais la façon dont il luttait pour assouvir son manque de récognition m'exaspérait. Je le perçai du regard.
— Tu devrais prendre exemple, ça t'évitera peut-être de passer pour un con en disant des conneries.
— Attention, c'est redondant, se moqua-t-il. Con, conneries...
— Valck. T'as déjà une mauvaise réputation, ne m'oblige pas à faire part de ton attitude au patron.
Merci. Oh, merci ! Le visage de l'homme s'affaissa à vue d'œil, c'en est glorieux. Sa mâchoire carrée se raidit et ses iris sombres roulèrent d'un air condescendant. Il descendit de la plateforme vers la sortie, suivi par la géante, désolée. Ses yeux me sourirent.
— C'est quoi son problème, avec Sonja ? murmurai-je.
— Si je ne dis pas de bêtises, ils étaient en couple, à un moment, mais je ne préfère pas m'avancer.
J'arquai un sourcil. Typique. Sonja devait l'avoir quitté, la connaissant, et il avait piqué une crise de jalousie. Il avait inventé des rumeurs sur elle et était tant aveuglé par sa haine qu'il avait fini par s'en persuader, d'où son mépris. Quel gâchis...
— Allez, viens. Rendons visite à la démone, en espérant qu'elle soit chez elle.
— Elle habite où ?
— Chez ses parents, près des rues commerciales.
Les joues de Celes s'empourprèrent sans raison particulière. Elle marchait d'une allure droite, voire piquée, plus que d'habitude. Je la sentais inquiétée. Appréhendait-elle cette rencontre ?
Serait-ce... une romance qui se profilait à l'horizon ? Après tout, le monde avait besoin de plus de couples non hétérosexuels, avec le caïd d'un côté et la fille timide de l'autre. Non, une démone gothique et une guerrière angélique flamboyante... cela ferait un carton, mais je me voilais la face. J'avais tendance à jeter des arcs-en-ciel partout.
Ceci dit, Malek avait fini par être touché.
Je secouai la tête. Le vent frais m'agressa. Je détestais l'automne. Le trajet se déroula en silence avec Valck en meneur. Il avançait, poings serrés. Seuls son pantalon et l'ébène de ses cheveux dépassaient de son manteau déchiré.
Nous arrivâmes à destination — un petit immeuble près de l'ancienne habitation de la rousse, là où les appartements ne brillaient pas le luxe. Prêt à en découdre, Valck pressa le bouton correspondant sans plus attendre. Sa flamme apparut dans une brume perlée. Certains pourraient y voir une lueur dorée, mais pour moi, c'était du jaune pisse.
Une voix féminine et nasillarde grinça depuis l'interphone.
— Oui ?
— Agnes Bak est-elle présente ? enchaîna-t-il d'un son guttural.
Un silence lui répondit sous les bourrasques et les frottements de nos vêtements.
— Euh... Non, non. Pourquoi ? Qui est là ?
— Votre fille est recherchée par la police. Ouvrez.
— C'est la police, murmura la voix, moins distincte, avant de reprendre un volume normal. Désolée, elle n'est pas là.
Celes sautilla et poussa gentiment le guerrier, mais il claqua sa langue de mécontentement. Elle s'abaissa pour se faire entendre :
— Vous êtes sa mère ?
— Oui... pourquoi ?
— Nous apprécierons si vous pouviez nous ouvrir. Nous avons besoin d'informations et vous êtes la seule personne qui peut nous les donner. Nous ne savons pas ce qu'Agnes à l'intention de faire et tout aide pourrait sauver une vie innocente.
Elle pinça ses lèvres et roula plusieurs fois sa langue dans sa bouche. Attendant une réponse positive, elle me jeta un coup d'œil. Des souffles se distinguaient malgré les grésillements.
— Désolée, Agnes ne vit plus avec nous depuis un moment. Je ne l'ai pas revue depuis deux ans.
— Avez-vous vu ce qui se passe à la télévision ?
— Vous parlez des spectres ? Pourquoi ?
— Savez-vous si Agnes a un quelconque lien avec ses spectres ?
— Ça m'étonnerait pas, elle est folle ! Y'a que le fait qu'elle soit possédée qui pourrait expliquer son comportement !
Les yeux rivés sur les plantations qui poussaient près de la porte d'entrée, je soufflai du nez, légèrement amusé. Non, Madame, ce n'est pas votre fille qui est possédée... au contraire.
— Vous ne pouvez vraiment pas nous aider ? insista Celes.
— Non ! Désolée, mais c'est non. Si vous revenez, il faudra demander à mon avocat pour me faire parler de cette fille !
Un claquement. La connexion venait d'être coupée, ce qui signifiait un retour à la case départ. Génial.
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