Chapitre 4.2

E N E K O


          Le groupe se forma en quelques minutes seulement en position militaire. La rousse expliqua les bases et s'affirma comme chef de file et femme à suivre. Elle assigna un certain Antoine à rester ici et traquer notre cible. Au loin, concentré sur les hologrammes des caméras de sécurité, le blond de tout à l'heure leva son pouce en guise de réponse. Celes attacha ses cheveux en queue de cheval comme elle en avait l'habitude et se plaça en tête de l'escouade.

— Nous devons la capturer sans nous faire remarquer. Pour ce faire, Antoine nous guidera avec ceci.

Elle montra son téléphone.

— Pour l'instant, vous me suivez tous. D'accord ?

La dizaine de personnes hocha la tête simultanément. Je passai une main dans mes cheveux et déglutis. Je n'osais pas m'attirer les regards, alors à l'heure de monter, je me plaçai en milieu de file.

Dehors, le vent soufflait et rafraîchit mon sang. En tant que frileux reconnu, je me frottai ardemment les bras lorsque ma poche vibra. J'empoignai mon téléphone.

MALEK : ils étaient contents de me voir je vais un peu chez nayla ok ?

Je poussai un soupir de soulagement. Tout s'était bien passé.

Peut-être que moi aussi, je devrais aller chez eux un jour, mais j'ignorais comment ne pas rendre la situation gênante. Le brun manipulait mieux les mots que moi en général — je ne pouvais pas compter sur ma capacité à entretenir une conversation normale. Peut-être devrais-je lui demander de m'accompagner ? Les voir me ferait le plus grand bien. Cela m'aiderait à tourner la page, et puis, n'avais-je pas voulu prendre sur moi-même pour m'ouvrir au monde ? Dans ce cas, y aller seul de mon plein gré serait peut-être préférable, au moins pour les remercier d'avoir donné naissance à Sonja. Grâce à elle, je pouvais continuer à vivre mon Idylle avec Malek, même si l'on patouillait en enfer, en ce moment.

MOI : À tout à l'heure, bisous : *

J'accourus pour rattraper la troupe. La grisaille embrumait mon esprit et alourdissait l'atmosphère. Quelques rares citadins arpentaient les rues, c'était une journée tranquille. Celes nous dirigeait, un écouteur à l'oreille. Elle virevolta vers nous.

— Elle a l'air de faire pas mal d'aller-retour, comme si son esprit se battait avec Hel. Nous devrions pouvoir la retrouver facilement, mais nous devons tout de même nous...

Son regard se bloqua loin derrière nous et ses sourcils se froncèrent. Au bout de quelques secondes, elle reprit sa course avec violence, faisant du pavé son martyr.

— D'après Antoine, une fille louche tente de l'aborder, on doit se dépêcher ! tonna-t-elle.

Nous accélérâmes la cadence. Les rues défilèrent et nous traversâmes la ville entière. Au bout d'une dizaine de minutes, mon corps se figea. Quelqu'un me bouscula et se plaignit de ma lassitude, mais je l'ignorai. Mon cœur venait de s'alourdir et mes yeux, se verrouiller sur mes chaussures noires. Le trottoir s'effrita et s'écroula pour laisser place à une autoroute, quelques mètres plus bas. Les ronronnements des voitures se mêlaient aux bourrasques.

Le groupe freina.

— Eneko ?

Celes trottina vers moi et s'abaissa. Mes muscles se raidirent, je ne pouvais plus contrôler mes membres. Ma respiration s'accéléra.

— Tu... te... Où est-ce qu'on va ?

— Vers Notah, près du pont qui relie les deux villes. La fille y est restée.

Non... Ressaisis-toi, Eneko. Tu n'es plus faible. Tu n'es plus comme cela.

Mes pupilles tombèrent, mais je relevai le regard. Celes sursauta et recula d'un pas. Ma salive peinait à se frayer un chemin dans ma gorge, mais j'inhalai goulûment l'air frais d'automne pour calmer les pulsions qui broyaient ma poitrine. Je secouai la tête, comme pour chasser les démons qui me tournaient autour. Notah, la ville d'à côté...

Ma flamme brûla et se dissipa à travers toutes les cellules de mon corps à ma demande. Alors, mon cœur s'allégea et je grinçai des dents. Celes ne m'avait pas lâché du regard et je la dévisageai. Elle ne se rendait pas compte de ce que cela signifiait.

— C'est le pont de l'Arche. T'as pas entendu ? Les gens y viennent pour se suicider, ravalai-je mes mots. Quand Hel se baladait dans la nature, beaucoup en ont sauté.

— Tu penses que Hel la pousse à se suicider, mais qu'elle tente de lutter ?

— Soit ça, soit l'inverse... On doit pas la laisser sauter... crois-moi. On veut pas, bégayai-je.

— Non, bien sûr que l'on ne veut pas... je connais également ce sentiment.

Ses taches de rousseur se rapprochèrent de moi et elle posa ses mains sur mes épaules. Je savais qu'elle prenait du temps sur sa mission, au risque de l'échouer, pour me rassurer et me réconforter. Mes lèvres s'étirèrent. Son faciès mélodieux me rappelait celui de Sonja.

Si elle avait surmonté les mêmes épreuves que moi et qu'elle se montrait aussi puissante et valeureuse aujourd'hui, je n'avais aucune raison de ne pas pouvoir faire de même.

Je repris mon souffle et le groupe, sa course. Leurs chaussures frappaient le pavé. Les deux filles que traquait Antoine avaient disparu près d'un angle mort, sur le pont, qu'il ne pouvait atteindre. Que pouvaient-elles faire ?

Le paysage autour de moi s'agrémenta d'arbres et de carrés de pelouse, bons vieux souvenirs de ma promenade nocturne avant mon E.M.I.. Je déglutis lorsque le sol s'éleva au loin. En journée, le pont avait l'air moins effrayant, mais son histoire n'en restait pas horripilante.

Celes s'interrompit une fois ce dernier atteint. Près d'elle se tenait un lampadaire rond encerclé par des fils barbelés qui s'étendaient sur toute la rambarde. Ils avaient une nouvelle fois ajouté des protections, mais... pourquoi ?

Nous nous avançâmes sur cette pierre maudite. Il n'y avait personne de suspect aux alentours. Nous étions sans doute arrivés trop tard. D'un air inquiet, Celes nous cribla d'interrogations avant de jeter un œil sur l'autoroute d'en dessous. Les voitures y roulaient sans problème.

Mes doigts caressèrent la pierre. Les messages n'avaient pas changé.

« J'ai sauté le 21 juin »

Non loin, on en avait inscrit un nouveau au marqueur.

«Ils avaient raison, l'enfer est vide et tous les démons sont ici. Je les ai vus.»

Mon cœur s'alourdit. Sans doute une des victimes d'Hel et de la destruction d'Aversion...

La silhouette épaisse de Celes m'emporta un peu plus loin.

— Ce n'est pas de ta faute si ces gens sont morts.

— Oui, non, je... Je sais, murmurai-je.

— Non ! Je sais que tu t'en veux d'avoir laissé ces gens dans cette prison, et d'entendre que ces suicides se multipliaient, mais tu ne peux pas te blâmer, au contraire. On va en trouver la cause et l'éliminer pour de bon.

Elle savait comment me remettre sur pieds. Pour cela, je l'appréciais. Toutefois, la possédée ne se trouvait pas ici, et malheureusement, l'Angélique l'avait perdue de vue, alors...

— Vous cherchez Hel ?

Une voix claire, mais grave, retentit. À quelques pas de là, une femme approchait, les poings dans les poches. Le vent bousculait ses deux couettes noires. Elle nous regardait d'yeux curieux et maquillés d'un fard à paupières sombre qui tachait une peau cadavéreuse. Sa langue humecta ses lèvres exsangues.

Ses épaules et sa tête se balancèrent dans l'attente d'une réponse. Je redirigeai mon attention vers Celes, aussi brusquée que moi par cette arrivée. Cette dernière mordilla ses joues et je fronçai des sourcils.

— Qui es-tu ? s'enquit la chef.

— J'm'appelle Agnes. J'suis un démon. R'gardez.

L'inconnue souleva la manche de son hoodie pour laisser des veines de jais apparaître, alertant l'ensemble des guerriers.

Comme Anaël...

— Recule de là, démone ! Nous sommes prêts à t'attaquer ! menaça Celes d'un ton pour le moins convaincant.

Tous les soldats se mirent en position et empoignèrent leur arme. Certains cachaient des arbalètes sous leur chandail, d'autres des pistolets automatiques, et j'en passe. La dénommée Agnes s'esclaffa face à cette subite remontée.

— Ah ouais, on m'a pas menti à vot' propos. V'z'êtes au taquet. Si j'voulais vous tuer, j'l'aurais déjà fait, capiche ? Alors j'répète ma question, et p't'être que t'sauras m'répondre, jolie rousse. T'as l'air de diriger ce p'tit groupe d'moutons mal tondus, nan ?

Celes dépassait la démone d'une tête, et pourtant, elle perdit tout son sang-froid lorsque leur visage se frôla. La pomme d'Adam de la guerrière vibra face au manque de gêne de cette fille couverte de noir. Elle s'était approchée de l'ange avec un sourire narquois suite à ce compliment que Celes semblait avoir mal avalé.

— Alors ? souffla la brune.

— Oui, nous la cherchons.

— T'penses qu'si tu m'tues, une démone... qui en connaît sans doute bien plus à propos d'la déesse des morts et des démons... tout comme tu dois en connaître bien plus à propos d'Ilça... t'penses que j'pourrais vous aider ? Parce qu'il s'avère que j'sais où elle est, et qu'j'l'ai déjà persuadée d'pas sauter.

Agnes cajola la joue de Celes sous les regards incrédules des guerriers autour de nous. Son sourire ne la quitta pas. La rousse se métamorphosa en statue de cire écarlate, le souffle coupé face à ce geste intrusif.

— J'ai à faire. Laisse-moi passer et j'te promets qu'on s'verra, face d'ange. Toi et tes copains. Sinon, moi aussi, j'ai mes propres copains. Et j'pense pas qu'v'z'allez bien vous entendre. OK ?

Elle tapota son visage empourpré avant de se frayer un chemin avec nonchalance à travers l'escouade. Je reculai pour la laisser passer. Personne n'osa l'attaquer. Ainsi, elle traversa le pont et disparut dans l'horizon.

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