Chapitre 4.1

E N E K O


          Les caméras de sécurité d'Ayan et des villages voisins se succédaient sous mes yeux ébahis. Je restais en retrait pour ne pas brusquer les guerriers professionnels qui manipulaient ce matériel hors-norme. La table courbée du hall principal projetait également une carte interactive des alentours jusqu'à cinq kilomètres. Grâce à des capteurs placés un peu partout sur Arkan, des points noirs y surgissaient, symbolisant l'activité démoniaque.

J'avais cru comprendre que l'on se partageait la tâche avec les deux autres cafés L'Angélique présents sur l'île pour tenter de retrouver la déesse.

— Comment ça se fait que vous ayez accès à toutes les caméras ? m'offusquai-je.

Les yeux verdâtres de Celes m'offrirent un regard curieux. Elle ne s'était pas éloignée pour ne pas me laisser avec des inconnus.

— Le patron a ses petits secrets.

Il ne s'agissait pas de n'importe quelles caméras. Les images diffusées provenaient de celles qui nous surveillaient jour et nuit. Les anges ne pouvaient pas être ceux à les avoir placés. Cela signifiait donc qu'une l'autorisation venait de plus haut dans la hiérarchie... mais si personne n'était au courant de notre existence, comment était-ce possible ? Se pourrait-il que quelqu'un les ait volées ou acquises illégalement ?

— Votre patron a pas l'air commode, hein, accusai-je. Si ce qu'a écrit Sonja est vrai, Prairie est la personne la plus apte à nous aider. Loin de moi l'envie de la revoir, mais objectivement, elle connaît Hel ! Et elle veut nous voir Malek et moi la semaine prochaine ! C'est pas parce que je suis plus un jumeau qu'il faut arrêter de me prendre au sérieux !

— Oui, je sais qu'il est... difficile à cerner.

La rousse me fit face. En plus de sa taille, elle se tenait sur la plateforme centrale qui lui permettait de me dominer d'autant plus. Sa carrure épaisse contrastait avec son allure bienveillante.

— Tu ne dois pas t'inquiéter. Fais ce que tu as à faire. Personne ne sait réellement ce qui se passe dans sa tête ni ce qu'il fabrique derrière les rideaux.

— En gros, il pourrait sacrifier des gens pour faire naître des anges que personne serait au courant.

— Voyons, n'abuse pas.

Je rigole, mais ça expliquerait pourquoi y'en a autant... non ?

Ses sourcils se froncèrent et elle quitta ses collègues qui glissaient leurs doigts sur les hologrammes, tapotaient sur un clavier plat ou discutaient entre eux. Elle s'approcha, perplexe.

— Comment ça ?

Les murmures de paroles lointaines vibraient dans mes oreilles. Le QG était bondé aujourd'hui et je levai les mains pour qu'elle réalise ce qu'il s'y passait. C'était Malek qui m'en avait parlé. Il avait l'œil sensible.

— Ça te choque pas, toi ? Tous les jours, je vois de nouvelles personnes ici. Je croyais que les expériences de mort imminente étaient super rares !

Son regard balaya la salle principale de l'Angélique. Quelques femmes attendaient l'ascenseur devant les portes d'entrée argentées. Les flambeaux brûlaient sur les murs épurés. Des âmes flottaient, accompagnées d'une flamme bleue, rose, verte, ou violette... Au fond, des adolescents discutaient adossés à une rambarde près des couloirs du complexe. Ce dernier regorgeait de vie et Celes revint vers moi. Ses sourcils épars se rehaussèrent :

— Eneko.

— Désolé.

Je roulai des yeux, un sourire mordu par mes joies. La tête de tueur en série du patron me faisait sans doute cet effet. Son âge avancé lui avait dépourvu de tout cuir chevelu et ses rides renfonçaient sa peau plus que ses cernes. Il n'avait pas l'air d'avoir d'âme. Pourtant, beaucoup semblaient le respecter. Apparemment, il avait été ange une grande partie de sa vie et ceux qui l'avaient élu avaient depuis disparu.

Celes craqua sa carapace et un sourire contagieux. Les commissures de ses lèvres marquaient son visage amusé quand la voix d'un guerrier blanc comme neige interrompit notre conversation.

— Amenez votre boule ici !

Un troupeau s'ameuta autour de lui. Il tenait dans sa main un téléphone.

— Des gens ont aperçu la fille sur la route vers Notah. Valck m'a envoyé une photo.

Le blond agrandit cette dernière et la montra à chacun d'entre nous. Elle était floue, mais l'on pouvait clairement y voir l'innocente se balader, les yeux obscurcis par les Enfers.

— Elle correspond parfaitement à la description de la famille.

— Dépêchez-vous de la retrouver sur les caméras et sur la carte ! hurla une femme.

On me bouscula et je manquai de trébucher sur quelqu'un qui passait. Je m'excusai maladroitement, mais ne reçus qu'un regard noir. La politesse, c'est pour les chiens ?

J'empoignai de nouveau mon téléphone afin d'avertir Malek de l'avancée des recherches, même si le bougre n'avait toujours pas répondu à mes messages. J'ignorais ce qu'il fabriquait, mais il avait à intérêt à le faire tôt ou tard !

MOI : Bon la fille est bien possédée, des gens l'ont vue dehors.

Pourquoi Celes m'avait-elle demandé de l'accompagner ? Je ne servais à rien, si ce n'était poser des questions et regarder de loin les professionnels s'activer. La grille des caméras de surveillance affichait les alentours de là où la photo venait d'être prise et l'on agrandit la carte en relief en quête d'une trace de la déesse.

Toutefois, si leurs pseudo-capteurs n'avaient jamais réussi à retrouver Prairie, j'ignorais comment ils comptaient retrouver la fille. J'analysais les images de sécurité qui alternaient lorsqu'un détail attira mon attention.

— C'est pas elle ? m'exclamai-je.

Je me ruai vers l'hologramme et pointai la jeune femme et ses longs cheveux secs retombant aux hanches. Une frange masquait son visage, mais l'on pouvait superposer sa posture frêle à celle de la photo sans problème.

— On doit absolument lancer le Plan Assaut, rugit l'homme près de moi. La latence entre les images et la réalité est d'une minute... On ne doit pas la perdre de vue.

— Je compte sur toi pour la garder en ligne de mire, alors, lança Celes.

— Moi ?

L'inconnu se renfrogna, mais obéit.

— C'est à combien de temps d'ici ?

— Une bonne vingtaine de minutes, si on court vite.

— On va devoir nous guider.

— Mais si on la retrouve, on va faire quoi ? Tu crois qu'elle va se laisser faire, après tout ce qu'il s'est passé ?

Je soupirai. Si seulement nous avions parlé à Prairie avant, nous aurions acquis des informations capitales qui nous auraient aidés à nous occuper de ce cas délicat. Malheureusement, c'était trop tard, et j'ignorais pourquoi, mais Malek avait semblé réticent à me donner son numéro.

— Tous les guerriers concernés par la mission sont convoqués au hall immédiatement ! hurla Celes. Maintenant !

La jeune femme ne rigolait pas avec cela. Son attitude envers ses congénères prouvait sa détermination, mais aussi son grade. De quelle mission ou quel plan parlaient-ils ? Dans tous les cas, elle avait l'air d'en être la carte maîtresse.

Cela m'arrangeait. Si le vieux ne voulait pas m'écouter malgré mon statut d'ancien jumeau et ma flamme doublement puissante — elle pourrait concrètement anéantir la sienne — alors il écouterait peut-être l'une des anges les mieux placées et plus compétentes. En attendant, je veillai à prévenir Malek de mes nouvelles aventures.

Quelques soldats avec leur feu de toutes couleurs disparurent de mon champ de vision. Certains continuaient à manipuler les caméras et la carte au milieu des papiers étalés sur la table lustrée. Mon amie posa sa paume forte sur mon épaule et m'emmena en retrait, dans un coin mort où traînaient des sofas de cuir.

— Si je t'ai appelé, commença-t-elle d'un ton inquisiteur, c'est car nous avons choisi à la majorité de t'emmener.

Je hochai la tête. Une flamme verte accrochée au mur brûlait près de nous et brillait dans son iris.

— Tu as prouvé maintes et maintes fois que tu avais ce qu'il fallait pour survivre. Et maintenant que tu as fait deux expériences de mort imminente, tes pouvoirs sont décuplés et l'on n'en sait pas assez. Tu comprends ? Lorsque tu triomphes de la mort, tu gagnes en puissance... mais mieux vaut ne pas essayer à en pousser les limites.

J'abaissai les yeux. Quelle relation entretenaient réellement les anges avec les humains ? J'inspirai longuement. Moi-même ignorais les secrets que ma nouvelle flamme renfermait. Elle m'embrasait le torse entier, désormais. Ilça devait me faire confiance...

— Tu te souviens de tes entraînements, non ? Ta flamme a revigoré plusieurs personnes à la fois et tu m'as dit toi-même que lorsque tu te dématérialisais, tu te sentais plus puissant. Ça ne s'arrête sans doute pas à ça. Alors n'oublie pas tout ce que j'ai pu te dire à ce moment, d'accord ?

— Oui, oui, je sais.

— Quand tout le monde sera là, on va tenter de retrouver le réceptacle d'Hel. Tu viendras avec nous. Est-ce que tu es d'accord, au moins ?

J'en avais déjà affronté un — Prairie, même si j'étais sacrément amoché. Malek et Sonja l'avaient survécu, alors cela n'allait pas présenter de problèmes pour des guerriers expérimentés. Bien entendu, j'ignorais ce qu'ils comptaient lui faire, mais cela ne me regardait pas.

— D'accord.

— Bien, alors allons-y. 

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