Chapitre 25.2
E N E K O
— Eneko ! Eneko !
Des hurlements me tirèrent hors de mon sommeil. C'est reparti... Léanne avait déjà oublié notre conversation d'hier et était redevenue sans cœur et agressive. Je peinais à ouvrir les yeux. Des tambourinements approchèrent et me forcèrent à me redresser. La claque résonna avant le moindre choc — je n'avais rien fait à part dormir ! Que...
La porte fracassa le mur.
— Eneko ! Viens voir, vite ! s'étouffa-t-elle. T'es à la télé !
Elle se rua vers moi. Je m'asseyais à peine sur le bord du lit. Elle m'agrippa le poignet et m'en déracina. Mes organes se soulevèrent, comme après deux verres d'alcool de trop. Mon corps somnolait, je luttai pour ne pas tomber. Elle me poussa dans le couloir jusqu'au salon où la télé grésillait dans la lueur matinale.
Attends... Je passe à la télé ?
Mes poings frottèrent mes cernes énormes. L'appareil m'aveuglait, seule une boule lumineuse m'apparaissait, mais doucement, elle s'atténua. Léanne criaillait et m'empêchait d'entendre les nouvelles. Heureusement, après quelques papillonnements des paupières, ma vision revint et le volume augmenta.
Ma mâchoire se déboîta. Toute envie de me recoucher s'évapora. Mon abdomen gargouilla sous les contractions de mon estomac.
Je savais ce qu'il se passait.
Je ne passais pas juste à la télé.
Je passais à la télé avec Malek, Celes, et Agnes, avec nos photos d'identité placardées près du présentateur.
—... précise bien qu'aucun d'entre eux ne détient de casier judiciaire. Les quatre suspects seront interpellés prochainement et nous vous mettrons au courant des futures mises à jour de l'enquête. Pour rappel, l'un des hommes les plus affluents d'Arkan, Barron Slom a été retrouvé mort dans les cuisines l'un des cafés de l'enseigne l'Angélique, situé au cœur d'Ayan...
Comment ça, «les suspects seront interpellés prochainement ?» Pourquoi afficher notre photo avant de nous... bon sang.
Je devais partir.
— Eneko, qu'est-ce que c'est ? Est-ce que c'est vrai ? balbutia Léanne.
— C'est pas moi, je te jure que c'est pas moi.
— Alors je vais leur dire ! Hors de question que t'ailles en prison !
— Non, maman !
Ce mot nous surprit autant l'un que l'autre. Mon cœur battait la chamade, je n'avais pas le temps de m'attarder sur ces détails, pourtant, ses yeux scintillèrent. J'ignorais s'il s'agissait de la joie de m'entendre l'appeler ainsi, la tristesse de ma malchance ou la colère de ne lui avoir rien dit. Je secouai la tête.
— Tu peux pas leur dire que j'suis venu ici.
— Ils vont le savoir ! T'as mangé, t'as dormi ici ! s'écria-t-elle, le visage ridé par le stress.
Elle avait raison. Si elle mentait à la police, elle serait coupable de complicité, alors...
— Alors tu dis la vérité. Que je t'ai menti et que j'ai fui aussi vite que j'ai pu.
— Eneko !
Je me ruai dans ma chambre, enfilai mes vieux vêtements de la veille et y ajoutai un pull à capuche pour masquer mon visage. J'empoignai des lunettes de soleil poussiéreuses, même si nous étions en octobre. Elle me conjurait je ne sais quoi. Je ne l'entendais plus, je n'avais plus le choix. Mes chevilles s'entremêlèrent, mon manque équilibre me menaçait.
Avant que je puisse quitter ma chambre, Léanne m'enlaça à m'en broyer les os. Je n'osai pas lui rendre, toutefois. Les émotions me submergeaient.
— N'oublie pas que je t'aime, même si je n'ai jamais trouvé le moyen de te le montrer ou de te le dire, sanglota-t-elle.
Les ruptures de sa voix me brisèrent le cœur. Habituellement, sa rage aveuglante les causait, mais elle se dévoilait d'un angle qu'elle m'avait caché toute ma vie. Timidement, j'enroulai mes bras autour de sa taille. Les mots me manquaient, les larmes débordaient. Quelques gouttes salées cajolèrent mes joues, persuadées de couler pour un adieu.
Je ne pouvais y croire.
— Moi aussi, murmurai-je.
À contrecœur, je m'éloignai de la femme qui m'avait élevée et détalai, direction Mannah.
La porte claqua et résonna comme le point de non-retour. J'étais devenu l'un des hommes les plus recherchés d'Arkan. Dix-huit ans de bons et loyaux services pour se faire traquer par la police — mais ils ne m'auraient pas. Nous sauverions les innocents de leurs griffes avant. Je remerciai silencieusement Isabelle de nous avoir forcés à détruire nos téléphones. Malek, allume la télé et attends-moi à Mannah... !
Des piétons enfonçaient leur nez dans leur portable, les yeux collés à nos photos. Elles faisaient le tour d'Arkan, tous médias confondus. Je baissai la tête et accélérai. Mes chevilles flanchaient. Je refusais de ralentir. Je trottai une bonne demi-heure à l'allure d'un coureur de marathon. Le manque de petit déjeuner aussi m'accablait ; je voyais flou, mais tant que je voyais mon petit ami et pouvais m'écrouler dans ses bras... je survivrais.
Le soleil plombait Mannah. Nous n'étions pas seuls. Une grue s'était élevée derrière un patelin de maisons. Des employés détruisaient les anciennes habitations. Bon sang. La caverne ne ferait pas long feu, à ce rythme ! Je dérapai au niveau de la fontaine et accourus au bord du village, à notre repère. Une silhouette recroquevillée m'attendait. L'adrénaline me força à appuyer sur la pédale. Malheureusement, ce n'était pas Malek, mais ses cheveux roux voltigèrent.
— Celes ! Tu as vu les infos ?
— Quelles infos ?
Elle tenait son téléphone, près des débris qu'avaient formés les nôtres hier. Que fabriquait-elle ici, si ce n'était pas pour... nous ?
— On est recherchés par la police. Y'a notre photo partout, à toi, moi, Agnes et Malek. Pour avoir tué le gouverneur.
Son visage pâlit, si toutefois c'était possible.
— Est-ce qu'ils sont là ? continuai-je sans lui donner de répit.
— Agnes oui, et je crois que Malek est resté avec sa sœur, je... Vraiment ?
— Oui, au journal. Tout le monde doit avoir vu notre photo. Qu'est-ce que tu fais là, toi ?
— Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.
Elle me tendit la brique qui lui servait de cellulaire avec son écran minuscule. Je l'analysai.
— Valck ? Tu parles avec Valck ?
— Lis, s'il te plaît. À partir de là.
Elle remonta la discussion — à cette nuit, 3 h 34.
VALCK : CELES
VALCK : RPD STP
MOI : Valck ? C'est toi ?
De longs intervalles s'écoulaient entre les demandes de Celes et les réponses du guerrier.
VALCK : jumelles
MOI : Quoi ? Valck, où es-tu ? Tout le monde te cherche ? Es-tu avec Hel ?
VALCK : appelle-moi
MOI : Allô ? Tu réponds pas !
MOI : Valck, tu vas bien ? Réponds, s'il te plaît ?
VALCK : on chasse des jumelles
MOI : Réponds à mes appels !
La conversation ne descendait pas plus. Que cela signifiait-il ?
— Il a fini par me répondre, il m'a dit que depuis qu'il est possédé, Hel le contrôlait jour et nuit et l'épuisait, qu'il sentait la mort approcher, qu'il avait peur. Ce n'est qu'il y a quelques jours qu'il a réussi à s'imposer, et cette nuit qu'il a pu me contacter. Il m'a dit que des nouvelles anges jumelles étaient apparues, que Hel les traquait, mais qu'il ne survivrait pas longtemps. Il n'est pas Isabelle. Si nous restons là, il mourra ! Je ne l'aime pas non plus, mais personne ne mérite ça ! On doit faire quelque chose.
— On doit trouver les jumelles avant elle, répondis-je du tac au tac.
Il a donc fallu près d'un mois pour que la nature rétablisse son équilibre et crée de nouveaux jumeaux — enfin, jumelles. Du moins, il fallait encore qu'elles soient nées de façon naturelles, pas par force comme l'avaient été les guerriers. Dans tous les cas, les trouver était notre nouvelle priorité. Mais avant d'établir un plan, nous devions alerter les caverneux.
Valck...
Merci de nous avoir prévenus.
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