Chapitre 2.2

E N E K O

           Malgré tout, le soir, nous nous lavâmes ensemble — de quoi me changer les idées. Une fois les pieds hors de la baignoire, mes poils se hérissèrent et le beau brun enroula la serviette autour de nos hanches trempées et nos corps se chatouillèrent. Mon ventre grogna lorsque nos flancs s'embrassèrent. Je penchai mon visage et nos lèvres se cajolèrent avec douceur. Sa salive se mêlait aux gouttes d'eau, mais ce contact réchauffait mon sang refroidi par la sortie de la douche.

Lorsque son faciès reprit de la distance, je plongeai dans ses yeux attendrissants. Mon regard courait sur ses joues fraîchement rasées, son nez busqué et sa peau brune, rugueuse, mais à la fois si douce.

— Tu bandes, koala, s'amusa-t-il.

— Enfoiré.

J'arrachai la serviette pour me l'approprier et Malek s'assit sur la baignoire pour se pâmer d'admiration.

— Tu vois bien qu'j'avais raison de t'faire faire du sport. Ça pousse déjà.

— On verra ça plus tard.

Je roulai des yeux, même si mon cœur fondait chaque fois qu'il me comparait au petit animal duveteux. Il passa sa main dans ses cheveux bruns qui retombèrent frisés sur son front.

— Tu vas être aussi sexy que moi.

— Ferme-la.

Nous nous essuyâmes dans une frivolité agréable et nous habillâmes. Cet appartement angélique, dans lequel nous nous étions réinstallés, restait petit et nous sortirions sans doute dans la journée.

Sur notre lit, soigneusement fait par Malek, je feuilletais un livre taclant le sujet de l'eugénisme. Je l'avais récupéré sur une étagère. Pendant ce temps, le garçon lisait mon visage, près de moi.

— Tu devrais pas être à l'université ? m'enquis-je.

— On est samedi, l'koala.

Je soufflai du nez.

— T'arrives à tenir, quand même ? m'inquiétai-je.

— Honnêtement ? Nan. Y'a aucune chance que j'passe l'année. Des fois, j'me dis même que personne va passer l'année, avec Hel. On pourrait tous crever.

— Toujours aussi positif, toi.

— Qui s'ressemble s'rassemble.

— S'assemble, me moquai-je.

— J't'ai demandé ?

Un coussin rebondit sur ma figure et froissa les pages de mon livre en y atterrissant. Non, mais lui... !

— T'es chiant, quand tu t'y mets !

— Merci.

— Tu devais pas aller chez les parents de Sonja ?

— Si, mais, j'sais pas, soupira-t-il. J'appréhende, t'vois. Puis j'aimerais bien trouver Prairie avant.

— Pourquoi elle t'obstine à ce point ?

— J'ai toujours pas compris c'que Sonja voulait dire sur sa lettre. Même morte, elle est jamais claire.

Eh bah, peut-être, mais elle s'est quand même sacrifiée pour toi ! Concernant notre ancienne thérapeute, je ne voyais qu'une solution.

— On n'a peut-être pas de chance. T'as plus son numéro ?

— Comment ça ?

— Bah, elle nous avait donné son numéro, au début.

— Ah, putain d'merde ! allongea-t-il le juron.

— Attends, t'avais sérieusement oublié ? Moi, je l'ai plus parce qu'Aversion a interdit les téléphones dans leur super prison, je te rappelle. À moins que tu l'aies supprimé...

— Attends.

Son fessier, caché par son jean, rebondit sur le matelas. Il empoigna son portable, posé sur la table de chevet de son côté du lit. Comment faisait-il pour ne pas l'avoir dans sa poche à toute heure de la journée ?

Les sourcils froncés, il pianota sur son écran. Ces biceps étiraient le t-shirt cannabis qu'il avait porté lors de notre première séance. Mes hormones brûlaient ma raison. Quelques lourds haltères suffiraient pour qu'il se déchire et que ma bave se déferle sur son torse...

Non... Un peu de décence.

Je posai mon livre et demandai :

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Rien, j'lui envoie un message.

Ses deux pouces dansaient la salsa à un rythme frénétique. Il se mordit la lèvre inférieure. S'il pouvait se concentrer ainsi pour ne pas finir à terre après une chope de bière, ce serait sympa.

— Tu lui écris un roman ? haussai-je la voix.

— Vu les poèmes dépressifs que j'écris, j'vais éviter. T'façon, j'sais pas aligner deux mots sans fautes.

Son timbre monotone me peinait. Il devait apprendre à partager ses écrits, et pas qu'avec moi. Il avait un réel talent, bien plus que moi qui m'improvisais penseur à mes heures perdues.

— Je suis là pour ça, hein.

Il m'adressa rapidement un regard souriant avant de claquer son téléphone dans ses mains et de me rejoindre :

— Les funérailles m'ont fait rappeler quelque chose. Quand on s'était posés ici avec Sonja et qu'on s'était amusés à se chercher des surnoms. C'comme ça que j'ai commencé à t'appeler koala.

— Oui, ricanai-je, on lui doit bien ça.

— Bah, on avait dit N, aussi. J'trouve ça toujours aussi cool. En plus, mon prénom commence par un M, et t'sais c'qu'on dit, le N et le M vont toujours ensemble.

— On dit ça ?

— Maintenant, ouais.

Nos éclats fondirent dans la douceur de la chambre. Une blaguounette du genre suffisait à m'apaiser. D'un côté, je n'en oubliais pas mes inquiétudes, de l'autre, notre couple n'avait pas eu le droit à la scène où l'un demandait à l'autre s'il accepterait de sortir ensemble. Je bondis sur cette occasion pour corriger cette faute.

— Alors, veux-tu être le M de mon N ?

— Et c'est moi qui suis chiant quand j'm'y mets ? pouffa-t-il en roulant des yeux.

— Bah quoi ?

— Rien... Ouais, j'veux bien, j'suppose.

Son embarras élargit mon sourire plus encore, mais il se réfugia dans son cellulaire. Lorsque ce dernier se para d'une bulle de notification, je compris que ma scène romantique prendrait fin. Il jura :

— Elle vient de répondre.

Les battements de mon cœur s'accélèrent. J'avais encore du mal à croire que nous avions été aussi stupides pour oublier ce moyen de contact. Je m'étais habitué aux rêves lucides et aux voyages astraux, même si peu pratiques.

— Tu lui avais envoyé quoi ?

— Alors...

De nouveau debout, il longea le lit. Mes pupilles le suivaient à la trace. Le bruit étouffé de ses chaussettes sur le tapis oriental se mélangeait aux frottements de son pantalon.

— « Prairie, c'est Malek. Sonja est morte pour que je revive et elle nous a dit que vous pouvez nous aider parce qu'il y a Satan qui se balade dehors. Merci. »

Mes yeux s'écarquillèrent. Il abordait la conversation ainsi, lui ? On ne parlait pas d'un chien en laisse, mais de la déesse de la mort !

— C'est pas ta meilleure amie, hein, caquetai-je. Par Satan, tu veux dire Hel ?

— Ouais. C'la même chose, non ?

— Si Hel est Satan, alors Ilça est Dieu.

— Ouais, mais c'est pas de la religion, là.

— Bah alors ?

Il fronça ses sourcils. Ses yeux confus me firent tomber à la renverse et je m'allongeai sur le lit moelleux. Les souvenirs de la nuit dernière me donnèrent la chair de poule. Mon regard retrouva le chemin du garçon.

— Bref, du coup ?

— Dans... une semaine. Elle veut nous voir à Mannah dans une semaine, samedi prochain.

— Une semaine ? m'écriai-je. Mais elle s'est pas dit qu'y'a assez de gens qui sont morts à cause de sa déesse ? On peut pas attendre une semaine !

— T'as qu'à lui dire toi-même, hein.

— Donne-moi ton portable !

— Euh... T'veux pas son numéro, plutôt ?

Il posa son téléphone sur sa poitrine où brillait sa nouvelle flamme couleur pêche. Je soupirai et m'appuyai sur un coude pour vider la poche de mon tartan.

— Si tu veux, cédai-je avec tracas.

J'enregistrai le contact sous le nom de « Satan ». Merci pour l'idée.

Lorsque j'ouvris mes messages, quelqu'un frappa à la porte. Le silence s'instaura dans ce petit appartement, enfoui dans les souterrains de l'Angélique. Nous engageâmes une bataille de regards lassés qui se disaient « t'y vas ? Parce que moi non » que je comptais bien gagner.

Conscient de mon caractère renfermé, le brun déverrouilla la porte en bois. Une fois ouverte, elle dévoila une silhouette à la carrure imposante. Je n'avais même pas besoin de voir son visage — c'était le gamin de l'autre fois qui ne connaissait pas le sens du mot respect.

— Tu viens t'sacrifier pour moi ? lâcha Malek avec toupet.

Ma mâchoire se décolla. Il n'avait clairement pas la langue dans sa poche. Cependant, cet intrus le méritait. Eh oui. Nous étions en couple et je racontais tout à mon partenaire.

Le manque de réponse trahit son désarroi. Malek le dépassait plus en taille que moi. Je me calai dans le lit de sorte à me cacher derrière sa silhouette, histoire de ne pas croiser le regard du visiteur. Ce n'était pas pratique lorsque l'entrée se situait à quelques mètres seulement.

— J'suis pas là pour m'embrouiller, soupira l'autre.

— C'est bien la première fois.

— T'es bien Malek, toi, non ?

— Ouais. Et toi, Valck ?

Valck ! C'est vrai... Depuis quand l'étudiant avait-il une meilleure mémoire que moi ?

— Écoute, je suis juste là pour vous prévenir, grinça Valck. On a eu un report de parents qui ont à priori été témoins de la possession de leur fille par Hel. Ils parlent de brume violette, de puissance divine et d'une forme humanoïde. La gosse a perdu ses yeux et a fui leur baraque.

Je déglutis. Nous avions été témoins d'une telle entité... la nuit du dernier combat. Cette enveloppe pourpre avait tenté de prendre contrôle de notre esprit. Alors on ne m'avait pas menti... Le cauchemar ne venait que commencer.

— Vous savez c'que ça fait d'être possédé par Hel, non ?

Je mordillai mes lèvres en balayant la salle du regard. Le dos de Malek se courba. Je me grattai la nuque. Valck ne pouvait-il pas juste partir ? J'avais besoin d'intimité !

Hélas, un silence s'instaura.

— Allô ?

— Oui, oui, j'sais c'que ça fait. Alors qu'est-c'que tu fais là ?

— Je viens de te le dire. Je me faisais chier. Désolé de vous prévenir ! brailla Valck en écartant les bras. On va vous amener au hall parce qu'y'a que vous qui connaissez la chose. Donc, débrouillez-vous. Soyez prêts. J'veux pas perdre mon temps.

La porte claqua et mon ami, le regard las, me jeta une oeillade. Les possessions de Hel étaient brèves, mais si ce qu'il disait était vrai, elle venait officiellement de se réfugier dans le corps d'une innocente.

Une nouvelle Prairie.

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